Période de garde sous régime d’astreinte selon la CJUE : temps de travail ou période de repos  ?

Par Luis Fernando Paillet Alamo, Elève-Avocat.

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Un des problèmes essentiels dans le domaine du Droit du Travail est la délimitation et séparation entre le temps de travail et la période de repos. Certaines prestations de services ont des caractéristiques particulières. Lesdites caractéristiques compliquent la fixation d’une frontière entre ces concepts.

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Il semble évident qu’un travailleur qui se trouve physiquement sur son lieu de travail (une usine, un bureau, une chaîne, entre autres) pendant son horaire du travail tout en développant les tâches ordonnées par l’employeur, se trouve en temps de travail.

Mais, que passe-t-il avec les périodes de garde sous régime d’astreinte ? Il est possible qu’elles soient développées de différentes façons et à travers de diverses conditions établies par l’employeur. Il s’agit d’un problème dans le domaine européen. L’article 2 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, donne des définitions de temps du travail et période de repos. La Cour de Justice de l’Union Européenne (en avant, CJUE) a complété l’article 2 de ladite directive, et nous a dit plusieurs fois que le temps du travail et la période de repos sont exclusifs l’un de l’autre.

Les périodes de garde sous régime d’astreinte en domaine européen, sont-elles de temps de travail effectif  ?

Une période de garde est le temps pendant lequel le salarié reste à disposition de l’entreprise pour développer des fonctions en cas de besoin ou retourner à son poste de travail. Ces périodes sont caractéristiques de certaines professions comme les pompiers quand ils doivent rester à disposition dans le cas où il y a un incendie, situations dans laquelle ils doivent se déplacer sur son lieu du travail pour intervenir immédiatement.

Il y a eu plusieurs doutes sur les périodes de garde sous régime d’astreinte, tant au niveau européen qu’à l’intérieur de chaque État membre. Établir une frontière entre le temps de travail et la période de repos est fondamentale, mais parfois difficile, surtout dans les situations dans lesquelles ces deux concepts paraissent se mélanger.

L’importance de sa délimitation pendant les périodes de garde est importante pour calculer les repos du salarié et permettre une conciliation majeure entre sa vie privée et professionnelle.

Les périodes de garde sous régime d’astreinte ne sont pas les mêmes dans tous les travaux ni dans un même travail. Elles seront différentes selon les conditions imposées par l’employeur.

À partir de ces conditions, on peut se poser les questions suivantes :
- Est-ce qu’il s’agit de la même situation si un travailleur développe la garde hors de son lieu de travail, élu librement par lui-même ou sur son lieu de travail  ?
- Que se passe-t-il si un salarié est obligé à se présenter sur le lieu de travail dans dix minutes ou dans quarante, sa liberté pour planifier son temps libre est limitée de la même manière ? Et si le travailleur est appelé rarement à effectuer ses prestations pendant la garde sous régime d’astreinte ou au contraire, avec une fréquence importante  ?
- Et si le salarié est autorisé à renoncer à certaines prestations, lesquelles sont demandées durant la période de garde sous régime d’astreinte  ? Ou si, au contraire, il doit réaliser toutes les prestations demandées durant ladite période ?

Évidemment, il s’agit des situations bien différentes, lesquelles exigent différentes réponses.

Si le temps de travail et la période de repos sont exclusifs entre eux, les périodes de garde sous régime d’astreinte seulement peuvent être classifiées comme temps de travail ou période de repos.

Le long chemin parcouru par la CJUE.

La CJUE nous a donné différents critères pour classifier la période de garde sous régime d’astreinte comme temps de travail ou période du repos. Évidemment, chaque situation de cette garde présente des caractéristiques particulières, lesquelles doivent être analysées et prises en considération. Il n’est pas possible d’établir une seule règle qui rassemble toutes les situations possibles.

Le lien de subordination comme clé.

En général, la CJUE a donné beaucoup d’importance à la capacité du salarié de pouvoir dédier son temps à ses propres intérêts.

Une méthode utilisée pour distinguer ces deux temps est la présence d’une des notes caractéristiques de toute relation de travail : le lien de subordination juridique. Le temps du repos est caractérisé par l’absence de la note de la subordination, c’est-à-dire, le pouvoir de l’employeur de donner des ordres et des directives au salarié, de contrôler l’exécution du travail et sanctionner les manquements de non-accomplissement.

Pendant la période de garde sous régime d’astreinte, la présence d’une subordination majeure a comme conséquence que le salarié sera de plus dissuadé de dédier son temps à d’autres intérêts différents de ses tâches de travail. Donc, s’il y a des indices de subordination durant le déroulement de la période de garde sous régime d’astreinte (comme l’ordre d’être dans un certain lieu ou bien l’obligation du salarié de suivre les ordres de l’employeur), ladite période sera considérée temps de travail.

La jurisprudence de la CJUE essaie de répondre à la question suivante : dans quel point les contraintes ont un impact très significatif sur la gestion du temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités  ? Pour cette raison, une règle simple est établie : si les contraintes imposées au salarié lui génèrent plus des difficultés pour se dédier à ses intérêts, plus de probabilités il y aura que ce temps soit considéré comme temps de travail.

Des indications données par la CJUE.

Plusieurs indications peuvent être prises en considération pour répondre à cette question :

1. L’élément du lieu : la garde développée sur le lieu de travail.

Selon le lieu où se déroulent les services de garde, on distingue :
- Si, pour le développement de la période de garde, la présence physique du salarié est exigée dans l’établissement de l’employeur ou dans un autre lieu désigné par lui-même, la totalité de la période de garde doit être qualifiée automatiquement comme temps de travail (arrêt CJUE du 3 octobre 2000 et 1 décembre 2005). C’est la garde sur le lieu de travail. La CJUE comprend que pendant ces types de garde, les conditions prévues dans l’article 2 de la directive sont accomplies : le salarié se trouve au travail et à la disposition de l’employeur,
- Si, au contraire, les périodes de garde sont développées dans le domicile du salarié ou dans un autre lieu non ordonné par l’employeur, il s’agit d’une période de garde sous régime d’astreinte. En principe, elle sera qualifiée comme période du repos, sauf s’il y a des indices desquels je parlerai à continuation.

2. L’élément temporel : le délai donné pour répondre et la fréquence moyenne des prestations effectives lesquelles sont normalement réalisées.

Tout en prenant en considération le facteur temporel des prestations effectives demandées pendant la période de garde sous régime d’astreinte, deux critères sont établis par la jurisprudence de la CJUE.

La brièveté du délai dans lequel il doit, en cas d’intervention nécessaire, se remettre au travail. Évidemment, lorsqu’un salarié dispose des plus de temps pour se remettre au lieu de travail, plus de possibilités il y aura pour s’occuper de ses propres intérêts.

L’arrêt de la CJUE du 21 février 2018 (Matzak), se prononce sur la situation d’un pompier belge, lequel reste à son domicile et doit répondre les appels de son employeur avec l’obligation de répondre à leurs demandes dans un délai de huit minutes. Les points 60 à 66 réfléchissent sur la question. Le temps de garde qu’un salarié passe à son domicile, avec l’obligation de répondre aux appels de son employeur dans un délai de huit minutes, restreigne très significativement son activité et les possibilités de se dédier à ses propres intérêts. Il s’agit d’une limitation objective imposée par l’employeur, laquelle limite au salarié de gérer librement son temps dès un double point de vue :
- D’un point de vue temporel, le salarié est obligé à se rejoindre au lieu de travail dans huit minutes,
- D’un point de vue géographique, le salarié ne peut pas se trouver n’importe où. Imaginons un travailleur qui développe la garde à Pau et habite à Biarritz. Il est exigé à rester à Pau et il ne peut pas se déplacer à son lieu de résidence, car le trajet est d’une heure.

Géographiquement, le salarié ne peut pas se déplacer à une distance laquelle l’empêche de se rendre à son lieu de travail plus de huit minutes.

Tout en suivant l’article 2 de la directive, la garde dans ces conditions doit être considérée comme temps de travail puisque le salarié est complètement limité pour gérer ses propres intérêts.

La fréquence moyenne des prestations effectives qui sont normalement réalisées par le travailleur, au cours de chacune de ses périodes de garde sous régime d’astreinte.

L’arrêt de la CJUE de 9 mars 2021, analyse un litige existant entre D. J. et Radiotelevizija Slovenija concernant le salaire réclamé par D.J pour les services de garde sous régime d’astreinte que ce dernier a réalisé. Le travailleur veut que les services de garde sous régime d’astreinte soient payés comme ceux effectués pendant le temps de travail. L’arrêt, dans les points 51 à 54, analyse comment la fréquence moyenne de l’intervention du travailleur durant les périodes de garde est un élément fondamental pour déterminer s’il s’agit de temps de travail. La CJUE explique, de manière très adéquate, que

« lorsqu’un travailleur est, en moyenne, appelé à intervenir à de nombreuses reprises au cours d’une période de garde, il dispose d’une latitude moindre pour gérer librement son temps durant ses périodes d’inactivité, compte tenu de leur interruption fréquente ».

La question à répondre est la suivante : l’interruption du repos du travailleur est fréquentée ou occasionnelle  ? Selon la réponse donnée, deux situations doivent être différenciées :
- Si un salarié est appelé à donner ses prestations rarement pendant la période de garde, la plupart de ce temps doit être considéré comme période du repos (à l’exception du temps dédié à développer la prestation) ;
- Au contraire, si un travailleur salarié est appelé à travailler avec une fréquence telle que le travailleur ne peut utiliser cette période pour ses intérêts, en aucun cas ne peut être qualifiée de période de repos.

Sans aucun doute, ce dernier critère de la CJUE va avoir des influences sur les arrêts de chaque État membre concernant ce sujet.

Tout en suivant cette indication, on va aller à un domaine des gardes spécifique : celle des médecins. Que passe-t-il si un médecin de garde à son domicile pendant une période de 24 heures est appelé à intervenir toutes les deux heures ? Et que la période de repos maximale qu’il y a au maximum durant le temps de garde est d’une heure. Les 24 heures dans leur ensemble doivent être considérées comme temps de travail.

3. Les conditions plus ou moins restrictives que l’employeur fixe au salarié pour se dédier pendant la période de garde sous régime d’astreinte aux autres activités différentes qu’aux interventions requises.

Si on prend en considération les conditions plus ou moins restrictives données par l’employeur au salarié pour développer les prestations demandées durant la période de garde sous régime d’astreinte, il y a des indices qui nous indiquent si ladite période de garde peut-être qualifiée ou non comme temps de travail :
- La possibilité offerte au travailleur de se dédier aux autres activités différentes (soit par son propre compte ou par un autre employeur) pendant la période de garde sous régime d’astreinte est une indication très importante que le salarié n’a des restrictions très importantes pour se dédier à ses propres intérêts. Au cas que la fréquence et l’intensité d’interventions l’empêchent de se dédier librement à l’autre activité.

Dans l’affaire de l’arrêt CJUE de 11 novembre 2021, le salarié avait le permis d’exercer une autre activité professionnelle n’excédant pas 48 heures hebdomadaires en moyenne.

- Que le salarié ne soit pas obligé de participer à l’ensemble des interventions pendant la période de garde sous régime d’astreinte, une indication différente qu’il peut bien gérer une partie de la période de garde comme si c’était période de repos.

Luis Fernando Paillet Alamo, Elève-Avocat

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