Le titulaire d’une marque peut interdire l’usage, sans son consentement, d’un signe identique ou similaire à sa marque par un tiers lorsque cet usage à lieu dans la vie des affaires, qu’il concerne des produits et services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée et, en raison de l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public, porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la garantie d’identité d’origine, fonction essentielle de la marque.
Bien que les juridictions françaises et européennes rencontrent régulièrement la problématique de la similarité entre parfums et vêtements, des incertitudes persistent quant à l’appréciation de cette similarité.
Quels critères retenir pour apprécier le degré de similarité entre des produits ?
La Cour de Justice de l’Union Européenne a énoncé à plusieurs reprises différents facteurs pertinents à prendre en compte pour l’appréciation du degré de similarité entre des produits ou services. Sont pris en compte la nature, la destination, l’utilisation, les canaux de distribution ou encore le caractère concurrent ou complémentaire des produits ou services concernés.
Néanmoins, si ces critères font défaut, le Tribunal de l’Union Européenne admet qu’un degré de similarité puisse subsister si les produits présentent une certaine complémentarité esthétique. Cette complémentarité sera retenue lorsque trois conditions cumulatives sont réunies. Il faut qu’un produit soit indispensable ou important à l’utilisation d’un autre, que les consommateurs jugent habituel et normal d’utiliser ces produits ensembles et enfin que les consommateurs considèrent comme courant que ces produits soient commercialisés sous la même marque.
La Cour de cassation retient une conception différente de celle de la Cour de Justice en recherchant si le consommateur est en mesure d’attribuer une origine commune aux produits ou services litigieux. Or, si cette interprétation est appliquée de manière trop large, cela reviendrait à qualifier de similaires des produits dès lors que le risque de confusion n’est pas impossible.
Bien que la condition de l’atteinte à la marque doive être interprétée à la lumière du risque de confusion, l’article 9 du Règlement 2017/1001 rappelle que la notion de similarité est à la fois une condition nécessaire et un critère interdépendant du risque de confusion. Par conséquent, la similarité des produits ou services ne peut dépendre de la possibilité d’un risque de confusion alors même que c’est ce dernier qui dépend en partie de la similarité.
Les parfums et vêtements peuvent-ils être considérés comme des produits similaires au regard de ces facteurs ?
Dans la présente affaire, la Troisième chambre du Tribunal judiciaire estime que vêtements et parfums ne partagent ni la même nature, ni la même destination et ne sont pas en général vendus dans les mêmes magasins. En dépit du fait qu’ils puissent présenter une fonction similaire de mise en valeur du porteur, celle-ci reste secondaire et peu convaincante. La fonction primaire du vêtement obéit à un but purement utilitaire tandis que le parfum a pour finalité la diffusion d’une odeur agréable. Leur utilisation commune lors des activités extérieures quotidiennes ne peut suffire à caractériser un facteur pertinent de similitude.
Mais qu’en est-il de la complémentarité esthétique ?
Le Tribunal Judiciaire a estimé que les parfums n’étaient pas des produits importants voire indispensables pour l’utilisation des vêtements et ces derniers ne sont pas non plus importants à l’usage des parfums.
Ce jugement peut sembler surprenant au regard de la jurisprudence dégagée par la Cour d’appel en matière de similarité entre parfums et vêtements. En effet, dans un arrêt du 23 septembre 2021, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait reconnu comme justifiée l’opposition à l’enregistrement d’une marque déposée à l’INPI pour des vêtements sur le fondement d’une marque antérieure enregistrée pour désigner des parfums et cosmétiques.
La réponse de la Cour d’appel avait été principalement fondée sur la présence de réseaux de distribution identiques. Elle avait en outre accordé une place déterminante à la fonction esthétique alors que cette dernière ne peut, selon le Tribunal Judiciaire, être considérée comme un facteur suffisant.
Ce mouvement consistant à assouplir le principe de spécialité se reflète principalement dans le domaine du luxe où les marques de renommée sont très présentes. Ainsi, de nombreuses décisions reconnaissent la similarité entre des produits de classe 3 (parfums et cosmétiques) aux produits de classe 25 (vêtements) voire de classes 14 (bijoux) et 18 (maroquinerie). En effet, des maisons comme Louis Vuitton ou Maison Margiela proposent à la fois des vêtements à la vente et, pour conquérir un public plus large, des parfums. Cependant, cette diversité de produits se retrouve aussi chez des enseignes non luxueuses, de gammes différentes, comme Zara ou Lacoste.
Dans ce jugement, le Tribunal Judiciaire va à l’encontre d’une tendance jurisprudentielle française qualifiant de similaires les parfums et vêtements. En effet, le fait que les entreprises du secteur de la mode commercialisent sous leur marque des parfums ne peut être un facteur suffisant à rendre ces produits similaires, selon la Troisième chambre du Tribunal judiciaire.
Est-il alors impossible d’agir en contrefaçon d’une marque commercialisant des parfums sur le fondement d’une marque antérieure enregistrée pour des vêtements (ou inversement) ? Pas nécessairement mais la décision rendue montre que les chances de succès pourront être à nuancer.
Néanmoins, les juridictions françaises ne donnent pas encore de réponse unifiée et homogène à ce sujet et les décisions restent casuistiques. A titre d’exemple, la Cour d’appel de Paris a récemment jugé dans un arrêt du 14 septembre 2022 qu’il existait bien un risque de confusion entre une marque antérieure déposée pour la parfumerie et les cosmétiques et une marque destinée à désigner des vêtements. Pour statuer sur cette similarité, la Cour s’est fondée sur le fait que ces produits relèvent tous du domaine de la mode, assurent la même fonction esthétique, s’adressent à une même clientèle et peuvent être commercialisés sous les mêmes marques par les mêmes entreprises et distribués sous le même réseau de distribution.
Par conséquent il faudra sûrement attendre que la Cour de cassation se prononce à ce sujet pour tenter d’obtenir une réponse homogène et claire assurant une plus grande sécurité juridique pour les titulaires de marques.