Cet arrêt est dans la droite ligne d’un arrêt récent [1] ayant statué dans le même sens.
L’intérêt toutefois de l’arrêt du 6 juillet 2022 réside dans le fait que la prime à laquelle le salarié prétendait était mixte, fondée à la fois, à hauteur de 70%, sur une performance individuelle, et, pour le reste, sur la performance collective du Groupe de sociétés à laquelle l’employeur appartenait.
Une part de cette prime n’était donc pas « en contrepartie de l’activité » du salarié, de sorte que la décision de la Cour n’était pas évidente.
En effet, si l’attribution d’une gratification est fixée selon les résultats de l’entreprise, et donc sans contrepartie de l’activité du salarié, celui-ci a droit à cette gratification dont le montant dépend seulement de ces résultats. Mais il ne peut prétendre au paiement prorata temporis de cette prime lorsqu’il a quitté l’entreprise avant son versement [2].
La Cour a probablement penché en faveur du salarié au constat que la prime avait essentiellement (70%) pour « contrepartie » l’activité du salarié.
Cette question de « contrepartie de l’activité » est donc déterminante d’un droit à paiement de la prime après départ du salarié.
Cet arrêt permet également de rappeler que distinction doit être faite entre la situation visée dans l’arrêt du 6 juillet 2022 (éléments du salaire qui sont la contrepartie de l’activité du salarié, afin de déterminer si le salarié a droit au paiement prorata temporis d’une somme versée à ces titres, lorsque le départ du salarié est antérieur à son versement) et les gratifications sans lien avec une quelconque contrepartie de travail.
Selon une jurisprudence constante, la Cour de cassation juge que le droit au paiement au prorata du temps de présence d’une telle gratification pour un salarié ayant quitté l’entreprise, quel qu’en soit le motif, avant la date de son versement, ne peut résulter que d’une convention expresse ou d’un usage dont il appartient aux salariés demandeurs d’administrer la preuve [3].
Ainsi en est-il de la prime de treizième mois [4], de la une prime de fin d’année [5] ou encore de la prime de vacances [6].
Enfin, et très accessoirement, cet arrêt est intéressant en ce qu’il a rejeté le premier moyen du pourvoi (« rejet non spécialement motivé ») qui reprochait à la Cour d’appel de ne pas avoir retenu la prise d’acte du salarié qui n’avait pas été payé d’une somme proche de 18 000 euros (part variable de rémunération sur une période de 4 ans).
Selon la Cour d’appel :
« il ne s’agit pas d’un manquement suffisamment grave empêchant la poursuite du contrat de travail, ceci ne l’ayant pas empêché pendant 4 ans, de sorte qu’il conviendra de considérer que la prise d’acte de la rupture de son contrat travail par (le salarié) doit produire les effets d’une démission ».
La question de l’ancienneté des manquements est donc très importante dans l’appréciation de la gravité. Selon les circonstances, ce qui a été toléré ne peut faire ensuite l’objet de reproches.
« Mais attendu que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ; Et attendu que la cour d’appel, qui a retenu que les manquements de l’employeur étaient pour la plupart anciens, faisant ainsi ressortir qu’ils n’avaient pas empêché la poursuite du contrat de travail, a légalement justifié sa décision » [7].
Pour des heures supplémentaires non réclamées pendant 5 ans (soc. 14 novembre 2018, n°17-18.890) [8].
Au surplus, le salarié doit prouver avoir été contraint, en raison des manquements, de rompre le contrat au moment où il prend cette décision.
En effet, un manquement grave n’empêche pas systématiquement la poursuite du contrat de travail [9].
La prise d’acte sera alors requalifiée en démission.
Enfin, les juges du fond apprécient souverainement la gravité des manquements, et les effets sur le contrat de travail (rupture aux torts de l’employeur, ou démission).
La Cour de cassation exerce à cet égard un contrôle léger sur les décisions des juges du fond.