OQTF : qu’est-ce qu’une menace à l’ordre public ?

Par Léonard Balme Leygues, Avocat.

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Explorer : # menace à l'ordre public # infraction # juge administratif

Les Préfectures dégainent avec une facilité déconcertante la fameuse “menace à l’ordre public” pour édicter des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF).
Et ce mouvement ne cesse de prendre de l’ampleur : la récente circulaire du ministre de l’Intérieur du 5 février 2024, qui vante une “réforme sans précédent du régime des expulsions, ainsi que des refus de renouvellement, des retraits de titre de séjour et des obligations de quitter le territoire français (OQTF)” signe la volonté de faire un usage massif de “l’arme” OQTF.

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Qu’est une “menace à l’ordre public” ?

Cette définition n’appartient pas au ministre de l’Intérieur, mais au juge administratif.

C’est lui, en tant que juge de la légalité de la décision qui lui sera déférée, qui déterminera si la menace relève ou non d’une telle qualification.

Or à cet égard, il est constant qu’une infraction mineure ne saurait présager de l’existence d’une menace à l’ordre public.

S’il est difficile de dresser un tableau exhaustif de la "menace à l’ordre public", un certain nombre d’indices peuvent être mobilisés pour la caractériser.

Pour l’essentiel, le juge tiendra compte :

  • de la gravité de l’infraction ;
  • de leur nombre (autrement dit, du "passif" de l’intéressé) ;
  • de leur ancienneté ;
  • de la sanction éventuellement infligée au pénal ;
  • et de l’existence d’une menace "pour l’avenir".

Il résulte de l’analyse de la jurisprudence que même s’il a commis beaucoup d’infractions, un individu ne représente pas pour autant automatiquement une menace à l’ordre public.

En ce sens, celui qui a commis "de multiples délits entre 2004 et 2010, tels que des faits de rébellion, d’outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique, de transport, acquisition, détention, offre ou cession non autorisée de stupéfiants, d’usage de stupéfiants, contrebande de marchandise prohibée, de conduite d’un véhicule sans permis et de conduite d’un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique, pour lesquels il a été condamné à un an et onze mois d’emprisonnement dont quatre mois avec sursis, à 70 heures de travaux d’intérêt général et à 6 046 euros d’amende" ne présente pas une menace telle à l’ordre public qu’un refus de renouvellement de son titre de séjour soit justifié, compte tenu de l’ancienneté des faits (3 ans) et de son comportement irréprochable depuis sa dernière condamnation (TA Cergy-Pontoise, 30 mars 2016, n° 1310374 [1]).

Les exemples d’infractions routières sont à cet égard relativement topiques (Voir par exemple, pour la personne qui a été interpellée pour conduite d’un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique de 0,8 grammes par litre de sang : TA Bordeaux, 27 juillet 2015, n° 1503438 ; dans le même sens, s’agissant de l’individu “interpellé à la sortie de la maison d’arrêt après avoir purgé une peine d’emprisonnement pour conduite d’un véhicule en état d’ivresse” (TA Nice, 22 août 2014, n°1403580 [2]).

Méfiance toutefois en cas de cumul d’infraction : celui qui s’est rendu coupable d’usurpation d’identité échappera à la "menace à l’ordre public" s’il "n’a jamais fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire" (TA Melun, 21 août 2014, n°1407504 [3]).

Le juge tient également compte de la nature de la peine effectivement infligée par le juge pénal (TA Limoges, 5 juin 2014, n° 1400428 [4]).

Enfin, il ne faut pas négliger "l’appréciation prospective : c’est l’existence d’une menace pour l’avenir” (Conclusions de M. Lallet [5] sur CE, 19 juin 2020, n°428140 [6]). Celui qui, par son insertion dans la société (travail, vie familiale, engagements associatifs etc.) a fait preuve de "rédemption" pourra se voir épargner de la sentence d’une menace à l’ordre public.

En définitive, le juge administratif fait preuve de pragmatisme : il distingue “l’erreur de jeunesse” ou l’infraction isolée de la situation de la personne qui a commis une infraction d’une exceptionnelle gravité.

Ces dossiers demeurent toutefois extrêmement sensibles et nécessitent d’être soigneusement préparés : il s’agit bien l’un des rares cas où les Préfectures font (un peu plus) l’effort de défendre leur décision devant le juge administratif.

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