Instruction des titres de séjour : du récépissé au rejet implicite.

Par Léonard Balme Leygues, Avocat.

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Explorer : # titre de séjour # dossier complet # rejet implicite # procédure administrative

Ce que vous allez lire ici :

Pour obtenir une attestation de prolongation d'instruction ou un récépissé lors d'une demande de titre de séjour en France, il faut déposer un dossier complet. En cas de non-remise des documents alors que le dossier est complet, il est possible d'exiger leur délivrance, y compris par voie judiciaire.
Description rédigée par l'IA du Village

Demander un titre de séjour en France est un parcours semé d’embûches. Récépissé, attestation de prolongation, décision implicite de rejet : décryptage d’une procédure administrative souvent complexe.

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Comment obtenir une attestation de prolongation d’instruction ou une API ?

Lorsqu’un étranger dépose une demande de titre de séjour (première demande ou renouvellement), il doit se voir « remettre un récépissé qui autorise sa présence sur le territoire pour la durée qu’il précise » en cas de dépôt « papier » (article R431-12 Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)) ou une « attestation de prolongation de l’instruction » (API) en cas de dépôt dématérialisé (article R431-15-1 Ceseda).

Pour obtenir un récépissé ou une API, il est nécessaire d’avoir déposé une demande complète [1] : le dépôt d’un dossier incomplet fait obstacle à l’enregistrement d’une demande de titre (CE, 10 juin 2020, n°435594) et donc à la délivrance de ces documents.

Attention, les documents de type « confirmation de dépôt » ou toute autre pièce qui indique qu’il « ne constitue pas une preuve de régularité du séjour » ne confèrent aucun droit au séjour.

Qu’est-ce qu’un dossier complet ?

Le dossier complet est celui qui comprend à tout le moins l’ensemble des documents visés à l’article R431-10 du Ceseda, c’est-à-dire :
1° Les documents justifiants de son état civil ;
2° Les documents justifiants de sa nationalité ;
3° Les documents justifiants de l’état civil et de la nationalité de son conjoint, de ses enfants et de ses parents lorsqu’il sollicite la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour pour motif familial.

Ces documents sont impératifs.

S’y ajoutent, en fonction du titre sollicité, les pièces listées à l’annexe 10 au Ceseda.

Pour une admission exceptionnelle au séjour, il faudra produire l’ensemble des documents relatifs à l’état civil (passeports, acte de naissance, justificatif de domicile, acte de mariage, actes de naissances…), les justificatifs de présence en France (quittances, factures, assurances, relevés bancaires, rendez-vous médicaux, titres de transport, attestations etc.), les preuves de travail (contrats, fiches de paie).

Pour déposer un dossier complet, vous pouvez vous faire accompagner par une association ou un avocat. Gardez une copie (électronique ou papier) du dossier tel qu’il a été déposé : cela peut être utile par la suite, notamment en cas de recours devant le juge.

Une nuance cependant : s’il manque l’une des pièces spécifiques au titre de séjour demandé, le dossier ne sera pas nécessairement incomplet.

Il ne le sera que si « l’absence d’une pièce mentionnée à l’annexe 10 à ce code, auquel renvoie l’article R431-11 du même code, rend impossible l’instruction de la demande » (CE Avis n° 472831 du 10 octobre 2023).

Il faut donc se livrer à une analyse au cas par cas : tel ne sera pas le cas des attestations de cercles amicaux sur l’insertion dans la société française, puisque ces documents ne sont pas strictement indispensables à l’examen de la demande.

Pour autant, est toutefois (très) opportun de les intégrer au dossier, en particulier pour le demandeur qui a déjà fait l’objet d’une OQTF (Obligation de quitter le territoire français) et qui engage une procédure d’admission exceptionnelle au séjour.

Que faire en cas de demande incomplète ?

Ne pas être mis en possession d’un récépissé ou d’une API peut être le signe d’une incomplétude du dossier.

Dans ce cas, l’administration peut vous demander de compléter votre dossier. Mais aucun texte ne l’y oblige, dans ce cas, la demande ne sera pas enregistrée et il faudra la réitérer.

Si l’administration formule cette demande, elle devrait le faire dans un délai de 4 mois à compter du dépôt de la demande : à défaut, le silence vaut refus implicite d’enregistrement. Et ce refus n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, si le dossier est effectivement incomplet (CE Avis, 10 octobre 2023, n° 472831).

Il est donc particulièrement important de former, dès le début, une demande complète : car si ce refus d’enregistrement intervient alors que votre titre de séjour est expiré, le risque est de se retrouver en séjour irrégulier et de n’avoir plus d’autre choix, à l’avenir, que de quitter le territoire ou de déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour.

Il est aussi possible de compléter son dossier de sa propre initiative (CE, 4 juin 2014, n° 370515).

Si le dossier est rejeté au motif qu’il est incomplet (décision de « classement sans suite » ou « refus d’enregistrement »), aucun recours n’est en principe possible… sauf à ce que vous soyez en mesure de démontrer que votre dossier était complet, auquel cas le juge vérifiera la complétude du dossier au regard des critères dégagés par l’avis du 10 octobre 2023 précité (n° 472831 ; par exemple TA Paris, 30 août 2024, n° 231957 [2] ; TA Grenoble, 4 septembre 2024, n° 2202876 [3]).

Que faire si on ne me remet pas d’API/de récépissé alors que mon dossier est complet ?

Les textes [4], comme la jurisprudence du Conseil d’État le rappellent : « l’étranger a le droit, s’il a déposé un dossier complet, d’obtenir un récépissé de sa demande qui vaut autorisation provisoire de séjour » (CE, 12 novembre 2001, n° 239794).

L’administration doit vous remettre ce document : ce n’est pas une simple possibilité, il est possible de l’exiger.

En cas de refus de la Préfecture ou du service dématérialisé de vous remettre ce titre, il sera possible de saisir un juge, qui enjoindra à l’administration de vous le remettre (voir par exemple CAA Paris, 24 janvier 2024, n° 23PA04000 ; TA Paris, 20 juin 2024, n° 2410373 [5] ; TA Paris, 18 juillet 2024, n° 2324076 [6]).

Et le droit au récépissé vaut également en cas d’admission exceptionnelle au séjour : dans ce cas, si le dossier est complet, le préfet ne peut se borner à remettre à l’intéressé une « confirmation de dépôt d’une demande d’admission exceptionnelle au séjour », qui n’atteste pas de la régularité du séjour le temps de l’instruction du dossier. Il doit impérativement remettre au demandeur « le récépissé prévu par les dispositions de l’article R431-12 du Ceseda » (CAA Paris, 24 janvier 2024 précité).

Que faire si ma demande de titre de séjour n’évolue pas pendant plusieurs mois ?

C’est une situation courante... et anormale.

La délivrance d’un récépissé ou d’une API constitue la matérialisation de l’enregistrement d’une demande de titre. S’il n’est pas délivré, il faut recourir au juge (voir ci-avant).

Une fois la demande enregistrée, elle est mise en instruction.

Ce délai d’instruction est limité dans le temps, car « le silence gardé par l’autorité administrative sur les demandes de titre de séjour vaut décision implicite de rejet » (article R432-1 du Ceseda), au terme d’un délai de 4 mois (article R432-2 du même code).

Il est permis de considérer qu’il y aura donc naissance d’une décision implicite de rejet d’une demande de titre dans deux hypothèses :

  • Soit 4 mois après la remise du premier récépissé/de l’API
  • Soit, s’il n’y a pas eu remise d’un récépissé / de l’API, 4 mois après le dépôt d’une demande complète (CE, 10 octobre 2024, n° 49351)

Il faut cependant être très vigilant et ne pas considérer que la demande de titre sera nécessairement favorable au seul motif que les récépissés/l’API sont régulièrement renouvelés.

En effet le fait d’avoir un récépissé/une API ne permet pas de considérer qu’une décision de refus implicite n’est pas intervenue.

Il est ainsi possible d’être mis en possession pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, de documents provisoires, alors qu’une décision implicite de rejet est déjà née de longue date (CE, 26 mars 1997, n° 134349). La jurisprudence est certes "curieuse", mais elle est encore régulièrement appliquée par les tribunaux administratifs [7].

Il faut donc impérativement saisir le juge administratif de ce rejet, afin d’en obtenir l’annulation et qu’il soit enjoint à l’administration de délivrer le titre ou de réexaminer la demande.

Ce recours semble n’être encadré par aucun délai (CAA Lyon, 11 octobre 2018, n° 18LY01362 : s’agissant d’une décision implicite du 15 novembre 2015 déférée au juge le 8 février 2018), mais il est évidemment conseillé d’agir rapidement.

Enfin, ce délai de 4 mois suivant le dépôt d’une demande complète n’est pas reporté par des demandes de pièces complémentaires. Il arrive en effet souvent que l’administration sollicite de nombreux compléments.

Il faut distinguer deux situations :

  • Soit la demande initiale était incomplète (il manquait un document nécessaire à l’instruction du dossier) : dans ce cas, le dossier sera complet à compter de la réception de la pièce manquante et le délai de 4 mois commencera à courir à cette date.
  • Soit - et c’est souvent le cas - le dossier était déjà complet lors du dépôt initial et dans ce cas, la demande de l’administration n’est pas fondée : le délai à compter duquel naît une décision implicite de rejet n’est donc ni suspendu ni reporté par ces demandes, il court à compter du dépôt de la demande (cf. par exemple CAA Lyon, 21 décembre 2023, n° 23LY02697 : « aucune de ces pièces n’est au nombre de celles que l’intéressée doit, en vertu des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile applicables à sa situation, fournir à l’appui de sa demande de titre de séjour pour lui conférer un caractère complet »).

Conclusion.

La procédure de demande de titre de séjour en France nécessite une attention particulière aux détails, notamment concernant la remise d’un récépissé ou d’une attestation de prolongation de l’instruction (API). Pour éviter des complications, il est crucial de soumettre un dossier complet dès le début. Si le dossier est complet et que ces documents ne sont pas remis, il est possible de les exiger, le cas échéant en saisissant le juge administratif.

Il est également essentiel de rester vigilant sur les délais et en particulier le délai de 4 mois à compter duquel une décision implicite de rejet naît à la suite du dépôt d’un dossier complet.

Léonard Balme Leygues
Avocat au Barreau de Paris - Grapho Avocats AARPI - Fondateur de SOS-OQTF
https://grapho-avocats.com
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contact chez grapho-avocats.com

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Notes de l'article:

[4Article R431-12 Ceseda pour le récépissé ; article R431-15-1 du Ceseda pour l’attestation de prolongation d’instruction.

[7Conclusions de Mme Bretonneau sur CE, 9 novembre 2015, n°380864.

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