Mandat fiscal et urgence.

Par Philippe Gérard, Avocat.

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Explorer : # contrôle fiscal # révélation spontanée # mandat d'avocat # droits de mutation

Un fiscaliste sans procédurier encourt deux dangers pour son client : ne pas définir précisément son mandat et courir le risque de ne pas l’aviser à temps en cas de contrôle.

Commentaire de l’arrêt du 28 janvier 2020 de la Cour d’appel de Versailles.

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A l’occasion d’un Examen Contradictoire de Situation Fiscale Personnelle (ESFP) pour les années 2011, 2012 et 2013 de M. et Mme B, ceux-ci ont remis leurs comptes bancaires au service vérificateur à l’occasion du premier rendez-vous organisé en novembre 2014.

Mme B. a alors indiqué avant même le début du contrôle avoir reçu d’importantes sommes d’argent sur l’un de ses comptes bancaires au cours de la période objet du contrôle, précisant qu’il s’agissait de donations.

Elle a déposé aussitôt deux formulaires de révélation de dons manuels pour des montants s’élevant à des sommes supérieures à 150.000 euros pour chacune des années 2011 à 2013, sollicitant le bénéfice de l’option de paiement des droits de mutation afférents à ces dons après le décès du donateur en application de l’article 635 A du Code Général des Impôts (CGI).

Estimant que la révélation de ces dons était toutefois intervenue dans le cadre d’un contrôle fiscal et non spontanément, l’administration fiscale a refusé ce bénéfice de l’option et elle a adressé à Mme B. en juillet 2015 un rappel de droits de mutation à titre gratuit entre non-parents, outre les intérêts de retard et la majoration de 10% prévue à l’article 1728-1-a du CGI pour déclaration tardive.

La réclamation de Mme B. ayant été rejetée par l’administration fiscale, elle a fait assigner la direction générale des finances publiques pour solliciter l’annulation de la décision de rejet de réclamation, ce dont le tribunal l’a déboutée au visa des articles 635 A et 757 du CGI.

En jugeant devoir refuser au donataire l’application de l’option offerte pour un don supérieur à 15.000 euros portant sur la déclaration et le paiement des droits dans le mois qui suit la date de décès du donateur aux motifs que la révélation ne doit pas être, comme ce serait le cas en l’espèce, la conséquence d’une réponse du donataire à une demande de l’administration ou d’une procédure fiscale.

Mme B. soutenu devant la Cour l’irrégularité de la procédure (I) et au fond elle s’opposait à l’administration fiscale sur la notion du moment de la révélation spontanée des dons manuels faite avant le commencement proprement dit de l’examen de sa situation personnelle fiscale, avec pour conséquence son droit ou non au bénéfice de l’option (II).

I- sur la procédure : opposabilité d’une élection de domicile.

A. Le principe de la validité d’une élection de domicile.

Madame B. soutenait devant la Cour qu’elle avait expressément mandaté le cabinet d’avocat ED, auteur d’observations lors du contrôle en 2015 et 2016 et qui aurait donc dû être destinataire de la réponse du 21 septembre 2015 et de la décision de rejet du 22 juillet 2016 notifiée à la seule Mme B. sans jamais que l’administration ne conteste que le mandat donné par Mme B. emportait élection de domicile auprès dudit cabinet.

La justiciable pensait pouvoir s’appuyer sur une jurisprudence.

En 2009, l’administration fiscale avait notifié à un couple de contribuables une proposition de rectification de leur impôt de solidarité sur la fortune ; leur réclamation amiable ayant été rejetée, l’administration avait émis des avis de mise en recouvrement au titre des droits éludés et des intérêts de retard ; l’un des deux contribuables, épouse divorcée depuis et soutenant que la procédure de rectification suivie était irrégulière faute de notification des actes de la procédure à son mandataire, avait saisi le tribunal et obtenu la décharge de ce supplément d’imposition.

Devant la Cour d’appel de Paris [1], l’administration fiscale s’était bornée, dans ses conclusions d’appel, à soutenir l’impossibilité d’adresser la réponse aux observations du contribuable au cabinet d‘avocat dès lors que l’époux avait récusé le mandat donné à ce cabinet, mais sans jamais contester que le mandat donné par l’épouse emportait élection de domicile auprès dudit cabinet.

Le 24 octobre 2018, la Chambre commerciale de la Cour de cassation [2], saisie par le directeur général des finances publiques, rejetait le pourvoi.

La Haute Cour relève que l’administration fiscale, qui reconnait qu’elle avait connaissance de l’existence d’un mandat donné par la contribuable à un avocat, qui emportait élection de domicile auprès dudit cabinet, avait adressé sa réponse aux observations du contribuable à l’adresse personnelle de la contribuable, laquelle, étant à l’étranger, ne l’avait pas reçue ; que la Cour d’appel en avait déduit, à bon droit, que la procédure de rectification était irrégulière.

B. Opposabilité et dénonciation du mandat.

La simple déclaration du bénéfice d’un mandat par l’avocat ne suffit pas à obliger l’administration.

En l’espèce, l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles rappelle justement ce qu’est un mandat quant à son contenu qui doit être précis puisqu’il doit être interprété de manière stricte, et l’obligation de le dénoncer à l’administration fiscale, ce qui - sous la responsabilité du conseil fiscaliste de Mme B ? - n’avait probablement pas été prévu pour l’élection de domicile ni dénoncé, à la différence de la décision citée supra :
« …selon l’article 1984 du Code civil, le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom et selon l’article 1989 du même Code, le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat ;
Qu’en l’espèce Mme B. ne démontre pas avoir chargé le cabinet ED d’un mandat emportant élection de domicile, ni a fortiori qu’elle en aurait informé l’administration fiscale ; que ledit mandat n’emportait pas habilitation de ED à recevoir tous les actes de la procédure ; que la nature d’un tel mandat doit être expressément dénoncée à l’administration fiscale ;
Que le seul fait que (ED) se soit déclaré, dans sa réponse du 2 septembre 2015 à la proposition de rectification du 2 juillet 2015, en sa qualité d’avocat "expressément mandaté par ses clients" n’emportait pas dénonciation d’un mandat comportant élection de domicile
. »

Le mandat ne doit donc pas être une vague formule générale mais, par nature d’interprétation restrictive, une mission précise. Pour le rendre opposable à une administration, encore faut-il le lui dénoncer.

II- Le moment ultime de révélation spontanée d’un don manuel.

A. Quand commence la procédure de contrôle ?

L’avis d’un contrôle n’est pas le commencement de l’examen.

Pour l’administration, dont l’argumentation avait été reprise par le tribunal, la révélation a été effectuée « dans le cadre du premier rendez-vous avec le vérificateur ». Elle est donc la conséquence directe de l’engagement de la procédure de contrôle. Elle ne peut donc pas faire l’objet de l’option visée à l’article 635 A a) du Code général des impôts consistant à retarder le paiement des droits de mutation à la date du décès du donateur.

Mme B. soutenait au contraire qu’à l’évidence, la Direction du Contrôle fiscal commettait une erreur flagrante d’appréciation puisque le contrôle qui allait commencer concernait le couple B. et non uniquement Mme B., que ce contrôle s’était achevé expressément par un « Avis d’Absence de redressements » et qu’en toute hypothèse nul ne pouvait nier la spontanéité de Mme B. puisqu’elle avait expliqué sa situation avant même que le vérificateur ne lui pose la moindre question à ce sujet.

Les parties s’accordaient sur le caractère taxable des dons manuels révélés par Mme B., à condition d’admettre, selon la jurisprudence de la Cour de cassation [3] , que les dons manuels ayant bénéficié à Mme B. aient fait l’objet d’une révélation volontaire de sa part, seule susceptible de justifier l’application de droits de donation au sens de l’article 757 du Code général des impôts.

C’est cette notion de commencement de l’examen lors d’une procédure fiscale qui n’est pas établi en l’espèce.

La Cour relève que la révélation des dons manuels faite par Mme B. a eu lieu avant le commencement proprement dit de l’examen de sa situation personnelle fiscale, et que ce n’est pas de la vérification de sa situation qu’est résultée la révélation des dons manuels litigieux, mais bien de la déclaration spontanée qu’en a faite Mme B. qui a rempli aussitôt l’imprimé n°2734 révélant des dons manuels d’une valeur supérieure à 15.000 euros et sollicitant le bénéfice de l’option pour la déclaration et le paiement des droits après le décès du donateur.

B. Fiscaliste et procédurier ensemble.

Lors d’un colloque organisé en avril 2019 par le barreau des Hauts-de-Seine, il avait été souligné que le législateur a renforcé les pouvoirs de l’administration fiscale et du parquet financier pour lutter contre la fraude fiscale. Il en résulte que les entreprises et les particuliers vont être plus lourdement sanctionnés en matière pénale.

Pour défendre leurs clients, les avocats fiscalistes sont peu compétents en matière pénale et les pénalistes peu en matière fiscale.

Sans aller jusque là, la collaboration du fiscaliste avec un spécialiste de la procédure, surtout dès l’origine, évitera sans doute quelques écueils. Ainsi qu’aimait le rappeler le professeur Gérard Couchez : « L’urgent, c’est ce qui ne peut attendre ».

Gérard Philippe
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine
gerardavocat92 chez gmail.com
philippe.gerard chez gerard-avocats.com

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Notes de l'article:

[1Arrêt du 25 octobre 2016.

[2Pourvoi n° 17-11431.

[3Com., 15 janvier 2013, pourvoi n°12-11.642 ; Com., 6 décembre 2016, pourvoi n°15-19.966.

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