I. L’arrêt de la CJUE du 12 juin 2018 : La reconnaissance de la marque de position.
L’affaire du 12 juin 2018 C-163/16 (Louboutin and Christian Louboutin) devant la CJUE opposait Christian Louboutin et sa société à Van Haren Schoenen BV, un détaillant néerlandais qui commercialisait des chaussures à talons dont la semelle était recouverte de rouge.
Louboutin revendiquait la protection de sa marque figurative, enregistrée au Benelux, qui se définit comme suit :
"La marque consiste en la couleur rouge appliquée sur la semelle d’une chaussure. Le contour de la chaussure ne fait pas partie de la marque mais met en évidence l’emplacement de la marque".
Van Haren contestait la validité de cette marque en invoquant l’article 3, paragraphe 1, sous e), iii), de la directive 2008/95/CE, qui interdit l’enregistrement des signes constitués exclusivement par la forme qui donne une valeur substantielle au produit.
Le Tribunal de La Haye a saisi la CJUE pour déterminer si une couleur appliquée sur une partie du produit pouvait être considérée comme une "forme" au sens du droit des marques.
Dans son arrêt du 12 juin 2018, la CJUE a rejeté l’argument selon lequel la semelle rouge constituait une forme et a confirmé que la marque de Louboutin pouvait relever de la catégorie des marques de position, au sens que lui donnera postérieurement le "Paquet Marque".
Elle a précisé que :
- L’enregistrement de la marque de Louboutin ne concernait pas la forme de la semelle elle-même, mais l’application de la couleur rouge.
- Une couleur appliquée à une partie déterminée d’un produit peut être perçue comme un signe distinctif permettant d’identifier l’origine des produits.
II. L’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 18 septembre 2024 : un élargissement de la protection.
L’affaire examinée par la Cour d’appel de Paris [1] portait sur la commercialisation par une société d’escarpins dont la semelle était partiellement rouge.
L’argument avancé par la défense était que cette modification partielle de la semelle permettait d’éviter toute confusion avec la marque de Louboutin.
Louboutin a toutefois soutenu que cette variation était insuffisante pour empêcher l’association dans l’esprit du consommateur.
La question posée à la cour d’appel était donc de savoir si une semelle rouge partielle pouvait constituer une atteinte à la marque de position protégée.
La Cour d’appel de Paris a donné raison à Louboutin, en s’appuyant sur deux éléments essentiels :
- Le principe de l’impression d’ensemble : même si une partie de la semelle n’était pas rouge, le consommateur associait instinctivement l’apparence des chaussures à la marque Louboutin.
- Le statut de marque de renommée : la cour a reconnu que la semelle rouge de Louboutin bénéficiait d’une forte notoriété sur le marché (investissements significatifs en communication notamment), ce qui confère une protection renforcée contre toute tentative d’exploitation de son image.
L’attribution du statut de marque de renommée à Louboutin est un élément clé dans cette affaire, car une marque de renommée bénéficie d’une protection au-delà du principe de spécialité.
Autrement dit, elle peut être protégée contre des usages qui ne sont pas strictement identiques mais qui créent un lien avec la marque protégée.
La cour a ainsi jugé que la commercialisation d’une semelle partiellement rouge portait atteinte à la réputation de Louboutin et que cette pratique constituait une contrefaçon de marque.
Conclusions.
Cette décision renforce l’idée que la protection d’une marque de position ne repose pas uniquement sur une reproduction à l’identique, mais également sur la perception du consommateur et l’association à une marque spécifique.
En reconnaissant que la semelle rouge de Louboutin constitue une marque de renommée, la Cour d’appel de Paris élargit encore davantage la protection que lui avait offerte la CJUE vis-à-vis de ses marques de position "semelles rouges".
Cette décision s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle visant à protéger les marques iconiques contre toute tentative d’exploitation de leur notoriété.