Rolex contre Skeleton Concept : contrefaçon de marque et personnalisation de produits authentiques.

Par Agathe Zajdela, Avocat.

1040 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # contrefaçon de marque # personnalisation de produits # concurrence déloyale # épuisement du droit

Ce que vous allez lire ici :

Skeleton Concept a modifié des montres Rolex, refusant de cesser malgré l'ordre de la marque. Le tribunal a tranché en faveur de Rolex, reconnaissant des atteintes sur la marque tout en questionnant la preuve d'épuisement des droits. Un préjudice de 600 000 € a été accordé à Rolex pour contrefaçon.
Description rédigée par l'IA du Village

Par un jugement du 12 février 2025 (TJ Paris, 3ᵉ ch., 12 fév. 2025, n° RG 22/09315), le Tribunal judiciaire de Paris a condamné la société Skeleton Concept pour contrefaçon de marques et concurrence déloyale ainsi que pour violation du Code de la consommation, au préjudice des sociétés Rolex SA et Rolex France (ci-après « Rolex »). Cette décision met en lumière les limites que le droit des marques impose à la personnalisation, y compris lorsqu’elle porte sur des produits authentiques de seconde main, notamment dans le secteur du luxe.

-

1. Les faits.

Skeleton Concept proposait un service de customisation consistant à modifier en profondeur des montres d’origine Rolex, notamment des modèles Oyster Perpetual Daytona ou Cosmograph. Ces interventions techniques incluaient la découpe manuelle des ponts, la gravure de la glace, ou encore le perçage du cadran, bien au-delà de simples réparations (cf. exemples ci-dessous) :

Malgré une mise en demeure de Rolex l’enjoignant de cesser ces activités, Skeleton Concept a refusé de s’y conformer, arguant qu’elle ne commercialisait pas de montres, mais se contentait de personnaliser celles de ses clients.

Rolex a alors engagé une action en contrefaçon de marques et concurrence déloyale devant le Tribunal judiciaire de Paris.

2. L’épuisement du droit.

En premier lieu et assez classiquement, Skeleton Concept invoquait l’épuisement du droit des marques invoquées par Rolex, estimant que les montres ayant été mises sur le marché avec son accord, cette dernière ne pouvait plus s’opposer à leur revente.

A l’inverse, Rolex soutenait conformément à la jurisprudence constante en la matière qu’il appartenait à Skeleton Concept de démontrer que les montres en question avaient été introduites sur le marché de l’EEE avec son accord [1].

En l’espèce, le tribunal choisit d’inverser la charge de la preuve, estimant qu’il appartenait à Rolex de démontrer que les montres modifiées avaient été commercialisées en dehors de l’EEE - ce qu’elle n’a pas fait. Une telle inversion est admise par la jurisprudence européenne lorsqu’il existe un risque réel de cloisonnement des marchés. Toutefois, la motivation du tribunal reste assez sommaire, puisqu’elle repose uniquement sur l’existence d’un réseau de distribution sélective de Rolex au sein de l’EEE, sans démonstration concrète de ce risque.

3. L’existence d’un motif légitime pour s’opposer à la commercialisation.

Pour autant, l’absence de preuve de l’épuisement des droits par Rolex demeure sans incidence. En effet, le tribunal admet que la société dispose malgré tout d’un motif légitime pour s’opposer à la commercialisation, en raison des modifications substantielles apportées aux montres d’origine, lesquelles portent atteinte à la fonction essentielle de la marque, à savoir garantir l’origine du produit et ce aux motifs suivants :

« Si la protection conférée par le droit des marques ne doit pas conduire à interdire le marché légitime des biens d’occasion, la fonction essentielle de garantie d’origine du produit aux consommateurs par la mention de la marque est cependant mise à mal lorsque le produit vendu sous la marque d’origine a, postérieurement à sa mise sur le marché autorisée, été transformé au point que sa nature en a été changée, comme c’est le cas des montres de la société Skeleton. Le consommateur risque d’être induit en erreur par la présence de la marque sur ce produit et d’imputer à son titulaire l’état modifié de ce produit, qui ne peut pourtant plus être considéré, compte tenu des modifications essentielles dont il a été l’objet, comme celui dont la commercialisation sous la marque a été autorisée licitement par le titulaire de la marque ».

4. L’usage des marques à titre de hashtags et le risque de confusion.

Rolex reprochait également à Skeleton Concept l’usage de ses marques à titre de hashtags sur ses réseaux sociaux pour promouvoir ses montres personnalisées et Skeleton Concept invoquait classiquement en défense l’exception de référence nécessaire.

Toutefois, le tribunal rejette cette exception au motif que « les montres désignées sous ces références sont les montres transformées non autorisées ».

Skeleton Concept invoquait encore l’apposition de sa marque V Concept, sans doute comme argument pour écarter le risque de confusion, ainsi que l’existence d’un disclaimer sur ses réseaux sociaux indiquant expressément l’absence de partenariat avec Rolex.

Toutefois, le tribunal retient que ce comarquage « crée un risque de confusion pour le public pertinent (...) qui sera amené à croire à l’existence de liens entre les sociétés » et que le disclaimer qui ne sera pas lu par tous les clients, ni par les tiers, ne suffit pas à écarter le risque de confusion.

5. La suppression des marques.

Le tribunal retient encore que la suppression des marques apposées sur le cadran des montres d’origine pour les graver sur la glace de la montre transformée par la société Skeleton Concept, constitue une altération des emblèmes et signes au sens de l’article L413-6 du Code de la consommation et leur offre à la vente un manquement à l’article L413-7 de ce même code.

A noter cependant qu’aucune réparation n’est accordée sur ce fondement s’agissant des mêmes faits que ceux invoqués au titre de la contrefaçon.

6. La concurrence déloyale et parasitaire.

En dernier lieu, Rolex invoquait plusieurs faits contextuels qu’elle estimait parasitaires tels que « la terminologie “éditions limitées”, l’ajout de la mention "V Concept", le fait de “retweeter” des messages officiels des sociétés Rolex, ou d’officialiser des partenariats avec des égéries des milieux sportifs et culturels ou de s’affranchir des conditions de commercialisation imposées aux membres du réseau de distribution sélective ».

Ces moyens sont toutefois écartés, au motif qu’ils ne présentent pas de caractère distinct par rapport aux actes déjà invoqués au titre de la contrefaçon, qu’ils ne sont pas suffisamment étayés, ou encore qu’ils sont considérés comme trop banals pour être sanctionnés.

En revanche, le tribunal retient un acte de concurrence déloyale à l’encontre de skeleton concept en raison de l’apposition de la mention « Swiss Made », alors même que les modifications étaient réalisées en France, cette pratique ayant « perturbé le marché de l’horlogerie au détriment de ses concurrents, et en particulier des sociétés Rolex ».

7. La réparation du préjudice.

Enfin, s’agissant de la réparation, le tribunal retient un chiffre d’affaires annuel de plus de 3 000 000 € réalisé par le contrefacteur et, faute d’éléments sur ses bénéfices réels (« profit indu »), évalue de manière arbitraire le préjudice subi par Rolex à hauteur de 600 000 €.

Il lui accorde par ailleurs 100 000 € au titre du préjudice moral, ainsi que 10 000 € pour concurrence illicite, en raison de l’usage trompeur de la mention « Swiss Made ».

8. Pour aller plus loin.

On peut saluer cette décision du tribunal à la fois pragmatique et solidement argumentée malgré certaines zones d’ombre, notamment sur la motivation justifiant le renversement de la charge de la preuve en matière d’épuisement des droits, ou sur les critères retenus pour l’évaluation du préjudice.

A cet égard, doit-on désormais considérer que dans l’univers du luxe - où la distribution est généralement très encadrée -, la charge de la preuve de l’épuisement des droits pèsera systématiquement sur le titulaire de la marque ? Si tel est le cas, cela soulève une réelle difficulté dans la mesure où il s’agit d’un fait négatif, particulièrement complexe à démontrer.

De même, la décision soulève également une autre question centrale : jusqu’où la modification ou la customisation d’un produit authentique de seconde main peut-elle aller sans porter atteinte à la marque ? Les textes interdisent en principe toute « modification ou altération » [2], mais le tribunal insiste ici sur le caractère substantiel des transformations pour reconnaître l’atteinte à la fonction essentielle de la marque. Une lecture a contrario pourrait ainsi laisser entendre qu’une personnalisation limitée, non substantielle, pourrait être admise sans l’autorisation du titulaire des droits...

Enfin, cette décision présente un intérêt tout particulier en ce qu’elle pourrait être transposée aux pratiques d’upcycling, c’est-à-dire à la personnalisation de vêtements ou d’accessoires de mode réalisés à partir d’articles de luxe de seconde main, particulièrement dans l’air du temps.

Reste désormais à attendre de savoir si cette décision fera l’objet d’un appel par Skeleton Concept. Toutefois, rien n’est moins sûr, cette dernière étant en procédure de liquidation judiciaire.

Agathe Zajdela, Avocat au barreau de Paris

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

3 votes

L'auteur déclare ne pas avoir utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article.

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Cf. CJUE, 17 novembre 2022, Harman, C-175/21, point 50.

[2Article L713-4 CPI.

"Ce que vous allez lire ici". La présentation de cet article et seulement celle-ci a été générée automatiquement par l'intelligence artificielle du Village de la Justice. Elle n'engage pas l'auteur et n'a vocation qu'à présenter les grandes lignes de l'article pour une meilleure appréhension de l'article par les lecteurs. Elle ne dispense pas d'une lecture complète.

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27838 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs