Introduction.
Avec la loi n°2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, le législateur procède à une réécriture importante du Code de procédure pénale.
Par son entrée en vigueur le 30 septembre 2024, elle instaure de nombreuses modifications de la procédure pénale, à savoir entre autres :
- L’extension des perquisitions de nuit à l’ensemble des crimes contre les personnes ;
- La modernisation des moyens utilisés en garde à vue avec la mise en place de vidéos-consultations médicales et de télécommunication s’agissant du recours à un interprète ;
- La suppression de la déclaration d’intention ;
- L’extension du délai de pourvoi en cassation.
Aux termes de cette réforme, le législateur a notamment réécrit en substance l’article 141-1 du Code de procédure pénale qui encadre dorénavant la procédure pour les demandes de modification de contrôle judiciaire dans les cas où la juridiction de jugement est déjà saisie.
Antérieurement à la nouvelle loi, l’article 141-1 du Code de procédure pénale était libellé ainsi :
« Les pouvoirs conférés au juge d’instruction par les articles 139 et 140 appartiennent, en tout état de cause, à la juridiction compétente selon les distinctions de l’article 148-1 ».
Dorénavant, ce même article dispose :
« Si la personne renvoyée devant la juridiction de jugement est placée ou maintenue sous contrôle judiciaire, le juge des libertés et de la détention peut, à tout moment, sur réquisitions du ministère public ou à la demande du prévenu, décider, par une ordonnance motivée, d’imposer à ce dernier une ou plusieurs obligations nouvelles, de supprimer tout ou partie des obligations comprises dans le contrôle judiciaire, de modifier une ou plusieurs de ces obligations ou d’accorder une dispense occasionnelle ou temporaire d’observer certaines d’entre elles. Il statue au vu des réquisitions du ministère public et, sauf s’il fait droit à la demande du prévenu, après audition de celui-ci, assisté le cas échéant par son avocat. Lorsqu’il est saisi par le prévenu, il statue dans les délais prévus au deuxième alinéa de l’article 148-2, à défaut de quoi il est mis fin au contrôle judiciaire. L’ordonnance rendue est susceptible d’appel dans un délai de vingt-quatre heures devant la chambre de l’instruction.
En cas d’appel de la décision du juge des libertés et de la détention, la chambre de l’instruction est composée de son seul président. Celui-ci peut toutefois, si la complexité du dossier le justifie, décider, d’office, à la demande de la personne poursuivie ou sur réquisitions du ministère public, de renvoyer le jugement du dossier devant la formation collégiale de la chambre. La décision de renvoi constitue une mesure d’administration judiciaire qui n’est pas susceptible de recours.
Lorsque la personne placée ou maintenue sous contrôle judiciaire est mise en accusation devant la cour d’assises ou la cour criminelle départementale, les pouvoirs conférés au juge des libertés et de la détention par le premier alinéa du présent article appartiennent au président de la chambre de l’instruction ou au conseiller désigné par lui. Celui-ci peut toutefois, si la complexité du dossier le justifie, décider, d’office, à la demande de la personne poursuivie ou sur réquisitions du ministère public, de renvoyer le jugement du dossier devant la formation collégiale de la chambre. La décision de renvoi constitue une mesure d’administration judiciaire qui n’est pas susceptible de recours.
Les demandes prévues au même premier alinéa peuvent également être formées à l’occasion d’une audience devant la juridiction de jugement, qui demeure alors compétente pour statuer sur celles-ci ».
Dès lors, les compétences du juge des libertés et de la détention sont largement étendues (I) ce qui modifient a minima la procédure (II).
I- L’extension des compétences du juge des libertés et de la détention.
Initialement, lors de sa création par la loi n°200-516 du 15 juin 2000, le législateur confère au juge des libertés et de la détention des prérogatives durant la procédure d’instruction.
En effet, le législateur avait comme objectif le renforcement de l’impartialité et du principe de présomption d’innocence dans les décisions relatives aux mesures de sureté durant l’instruction, en confiant cette mission à un juge qui n’intervient pas sur le fond.
À force de réformes, les pouvoirs du juge des libertés et de la détention ont considérablement évolué pour sortir peu à peu de la phase d’instruction.
Ainsi, la réforme du Code de procédure pénale par la loi n°2023-1059 du 20 novembre 2023 s’inscrit dans une logique pérenne de généralisation des pouvoirs du juge des libertés et de la détention, au-delà de la seule phase d’instruction.
Il est donc opportun de faire état des pouvoirs du juge des libertés et de la détention en matière de contrôle judiciaire avant (A) et après (B) la réforme.
A) L’avant réforme : la compétence limitée du juge des libertés et de la détention.
Avant ladite réforme de la procédure pénale, le juge des libertés et de la détention exerçait une compétence partagée avec le juge d’instruction durant l’instruction, et une compétence très limitée au-delà de celle-ci.
La fonction du juge des libertés et de la détention pendant l’instruction :
Si durant cette phase, sa fonction principale est de statuer sur la nécessité de la détention provisoire ou sur sa prolongation, le juge des libertés et de la détention partage également les décisions relatives au contrôle judiciaire avec le juge d’instruction.
À ce titre, l’article 137-2 du Code de procédure pénale dispose :
« Le contrôle judiciaire est ordonné par le juge d’instruction, qui statue après avoir recueilli les réquisitions du procureur de la République.
Le contrôle judiciaire peut être également ordonné par le juge des libertés et de la détention, lorsqu’il est saisi ».
Ainsi, le juge des libertés et de la détention peut ordonner un contrôle judiciaire lorsqu’il est saisi pour statuer sur l’éventualité d’une détention provisoire et qu’il estime que celle-ci n’est pas nécessaire.
Si en principe, le contrôle judiciaire se clôture concomitamment à l’ordonnance de renvoi devant la juridiction compétente, marquant la fin de l’instruction, par exception, le juge d’instruction peut rendre en parallèle une ordonnance de maintien sous contrôle judiciaire.
Par cette ordonnance, le juge d’instruction scelle le contrôle judiciaire mis en place et perd la mainmise sur son évolution post-instruction, qui était auparavant cédé à la juridiction de jugement compétente.
La fonction du juge des libertés et de la détention post-instruction :
Dès lors que l’affaire était renvoyée devant une juridiction de jugement, les pouvoirs du juge des libertés et de la détention étaient particulièrement limités. En effet, il pouvait seulement révoquer une mesure de contrôle judiciaire lorsque la personne renvoyée devant la juridiction de jugement manquait à ses obligations.
À ce titre, l’ancienne version de l’article 141-2 dispose que :
« Si la personne se soustrait aux obligations du contrôle judiciaire alors qu’elle est renvoyée devant la juridiction de jugement, le procureur de la République peut, hors le cas prévu par l’article 272-1, saisir le juge des libertés et de la détention pour que celui-ci décerne mandat d’arrêt ou d’amener à son encontre. Ce magistrat est également compétent pour ordonner, conformément aux dispositions de l’article 135-2, le placement en détention provisoire de l’intéressé. Les dispositions de l’article 141-4 sont applicables ; les attributions confiées au juge d’instruction par cet article sont alors exercées par le procureur de la République ».
Avec l’entrée en vigueur de la présente loi le 30 septembre 2024, les compétences du juge des libertés et de la détention augmentent considérablement.
B) Après-réforme : l’affirmation des compétences du juge des libertés et de la détention post-instruction.
En phase d’instruction, les pouvoirs du juge des libertés et de la détention demeurent inchangés.
En revanche, ses compétences s’accroissent considérablement lorsqu’il y a renvoi devant une juridiction de jugement.
Le juge des libertés et de la détention reste évidemment compétent pour statuer sur les réquisitions du Parquet en matière de comparutions immédiates (réunion du tribunal impossible et donc réquisitions de placement en détention provisoire) et de comparutions par procès-verbal et placement sous contrôle judiciaire.
Par ailleurs et désormais avec la loi nouvelle, lorsque l’affaire fait l’objet d’un renvoi devant la juridiction de jugement, le juge des libertés et de la détention peut :
« à tout moment, sur réquisitions du ministère public ou à la demande du prévenu, décider, par une ordonnance motivée, d’imposer à ce dernier une ou plusieurs obligations nouvelles, de supprimer tout ou partie des obligations comprises dans le contrôle judiciaire, de modifier une ou plusieurs de ces obligations ou d’accorder une dispense occasionnelle ou temporaire d’observer certaines d’entre elles ».
À côté de cela et de façon tout à fait logique, celui-ci dispose également d’un nouvel éventail de possibilités ajoutées à l’article 141-2 du Code de procédure pénale.
Si auparavant il ne pouvait prononcer que la révocation du contrôle judiciaire en cas de non-respect de ces obligations, il peut désormais :
« (…) modifier les obligations du contrôle judiciaire ou placer l’intéressé sous assignation à résidence avec surveillance électronique ».
Ainsi, la juridiction de jugement cède sa place au profit du juge des libertés et de la détention qui sera désormais compétent pour statuer sur toute demande de modification de contrôle judiciaire.
La cession de ces compétences au profit du juge des libertés et de la détention ne peut être qu’appréciée en ce qu’elle permet :
Dans un premier temps de solliciter une figure de neutralité pour toute modification de contrôle judiciaire.
Dans un deuxième temps de renforcer l’impartialité dont doivent être investis les juges qui auront plus tard à juger du fond.
Dans un dernier temps de délester, les juridictions de jugement d’un contentieux qui peut sembler chronophage.
Ainsi, le nouvel article 141-1 du Code de procédure pénale ne se contente plus de s’inspirer de la demande de mise en liberté en renvoyant le lecteur à l’article 148-1 dudit code. Maintenant, il pose les conditions de la demande de modification de contrôle judiciaire quelle qu’elle soit, améliorant considérablement la lisibilité de la procédure.
Cette nouvelle rédaction de l’article 141-1, bien plus fournie que l’ancienne, nous renseigne davantage sur les nouvelles règles de procédure à suivre.
II- Nouvelle compétence : nouvelle procédure.
Qui dit nouvelle compétence dit nouvelle procédure, quoi que… ?
A) Des changements résiduels.
- L’audience se déroule devant le seul juge des libertés et de la détention et répond à la publicité classique des débats ;
- Le Ministère public n’a plus à être « entendu », mais peut seulement présenter des réquisitions écrites ;
- Du côté de la formation de la juridiction d’appel : l’appel sera, en principe, examiné par le seul président de la chambre de l’instruction, et non plus par une formation collégiale : « En cas d’appel de la décision du juge des libertés et de la détention, la chambre de l’instruction est composée de son seul président. Celui-ci peut toutefois, si la complexité du dossier le justifie, décider, d’office, à la demande de la personne poursuivie ou sur réquisitions du ministère public, de renvoyer le jugement du dossier devant la formation collégiale de la chambre ».
- Il en va de même lorsqu’une demande de modification de contrôle judiciaire est directement portée à la chambre de l’instruction en matière criminelle : « Lorsque la personne placée ou maintenue sous contrôle judiciaire est mise en accusation devant la cour d’assises ou la cour criminelle départementale, les pouvoirs conférés au juge des libertés et de la détention par le premier alinéa du présent article appartiennent au président de la chambre de l’instruction ou au conseiller désigné par lui. Celui-ci peut toutefois, si la complexité du dossier le justifie, décider, d’office, à la demande de la personne poursuivie ou sur réquisitions du ministère public, de renvoyer le jugement du dossier devant la formation collégiale de la chambre ».
B) La survivance des anciennes règles.
- Le court délai d’appel de 24 heures demeure : désormais, il est possible de se référer directement à l’article 141-1 du Code de procédure pénale, rendant en partie désuet l’article 501 du même code, puisqu’il dispose clairement que « L’ordonnance rendue est susceptible d’appel dans un délai de vingt-quatre heures devant la chambre de l’instruction » ;
- En matière criminelle, le juge des libertés et de la détention est dépossédé de sa compétence, comme la cour d’assises ou la cour criminelle départementale avant lui, en faveur de la chambre de l’instruction.
- Il est toujours possible de former une telle demande de modification de contrôle judiciaire à l’audience. Dès lors, la juridiction de jugement reste compétente.
- Les délais de jugement demeurent inchangés : alinéa 2 de l’article 148-2 du Code de procédure pénale : « Lorsque la personne n’a pas encore été jugée en premier ressort, la juridiction saisie statue dans les dix jours ou les vingt jours de la réception de la demande, selon qu’elle est du premier ou du second degré. Lorsque la personne a déjà été jugée en premier ressort et qu’elle est en instance d’appel, la juridiction saisie statue dans les deux mois de la demande. Lorsque la personne a déjà été jugée en second ressort et qu’elle a formé un pourvoi en cassation, la juridiction saisie statue dans les quatre mois de la demande ».
En conclusion, la loi n°2023-1059 du 20 novembre 2023 entrée en vigueur le 30 septembre 2024 consacre de nouvelles compétences au juge des libertés et de la détention en matière de contrôle judiciaire post-instruction, ce qui emporte nécessairement quelques ajustements de la procédure, loin pour autant de la dénaturer.