Toujours confronté à de nouvelles formes de cyberdélinquance, le juge pénal doit s’adapter pour apporter une réponse efficace aux défis posés par la dématérialisation des infractions.
Depuis ces dernières années, le législateur n’a eu de cesse que d’amplifier la réponse pénale face au développement d’internet et des réseaux sociaux.
C’est dans ces conditions que le législateur a créé des infractions sui generis (ex : cyberpédopornographie). C’est aussi la création pour certaines infractions traditionnelles de la circonstance aggravante de commission des faits par la voie numérique, ce qui est notamment le cas pour bon nombre d’infractions sexuelles.
Toutefois, la question de la prostitution en ligne s’est rapidement imposée au législateur.
En effet, le développement des services en ligne a révélé une tendance accrue de sexualisation d’internet, en particulier avec l’arrivée de plateformes comme Onlyfans ou Mym. Sur ces plateformes, des créateurs de contenu partagent des photos ou vidéos, parfois érotiques voire pornographiques, accessibles uniquement à leurs abonnés payants.
De même, une nouvelle pratique visant à obtenir des vidéos pornographiques contre rémunération, mais cette fois-ci en live, se développe sur certains sites pornographiques. Ce phénomène s’appelle le « caming ».
Cette pratique pornographique consiste, pour une personne, « à se livrer, devant une caméra, à des agissements à caractère sexuel, retransmis en direct par un moyen de communication audiovisuelle à des clients qui les sollicitaient et les rémunéraient par un moyen de paiement à distance » [1].
En d’autres termes, on pourrait définir le caming comme étant l’achat d’un acte sexuel par écran interposé.
Dès lors, la question qui se pose est de savoir si le caming peut être assimilé à de la prostitution sur internet ?
Ce questionnement s’inscrit dans le contexte de restriction d’accès aux sites pornographiques en ligne.
L’enjeu est de taille : dans l’hypothèse où le caming serait qualifié de prostitution en ligne, le corolaire serait la fermeture des plateformes ou sites pornographiques où ces contenus apparaissent.
En effet, ces plateformes seraient alors assimilées à des proxénètes [2].
La Chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée dans un arrêt du 18 mai 2022 [3].
En l’espèce, le 9 décembre 2010, quatre sites pornographiques français étaient visés par une plainte d’une partie civile dénonçant le caming disponible sur ces plateformes et les assimilant à des proxénètes.
Le 8 juillet 2019, le juge d’instruction rendait une ordonnance de non-lieu.
La partie civile relevait appel de cette ordonnance.
A l’appui de son pourvoi, la requérante invoquait notamment que : « la prostitution consiste dans le fait d’employer son corps, moyennant rémunération, à la satisfaction des plaisirs du public, quelle que soit la nature des actes accomplis quand bien même il n’y a pas de contact physique entre la personne prostituée et son client ».
La cour n’a pas fait cette lecture. Pour rejeter le pourvoi, elle s’est fondée sur une définition jurisprudentielle constante de la prostitution qui impose un contact physique entre les protagonistes (I). De son côté, le législateur fait preuve d’ambivalence dans sa volonté de réprimer la prostitution (II).
I- La nécessité d’un contact physique.
Aux termes de leur jurisprudence, les juges du Palais Royal dissocient de façon très nette les notions de prostitution et de caming.
Cette prise de position n’est pas si évidente tant les deux définitions renvoient à la fourniture d’une prestation sexuelle contre rémunération.
Pour mémoire, le caming a été défini jurisprudentiellement comme le fait, pour une personne, de « se livrer, devant une caméra, à des agissements à caractère sexuel, retransmis en direct par un moyen de communication audiovisuelle à des clients qui les sollicitaient et les rémunéraient par un moyen de paiement à distance » [4].
De son côté, la prostitution, contravention de 5ᵉ classe, a été définie légalement comme : « Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5ᵉ classe » [5].
Ainsi, le seul élément constitutif permettant de distinguer les deux notions est un critère matériel : le mode de réalisation de l’acte sexuel.
Le caming est dématérialisé et ne suppose aucun contact physique entre les protagonistes, proximité que la jurisprudence exige dans sa définition de la prostitution.
L’arrêt de principe en la matière a été rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 27 mars 1996 et précise que « la prostitution consiste à se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui » [6].
Lorsque la question du caming s’est récemment posée aux juges du Palais Royal, c’est sur cette définition qu’ils se sont fondés pour répondre à la question [7].
C’est pourquoi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation juge que « ces comportements (caming) n’entrent pas dans le cadre de la définition précitée, dès lors qu’ils n’impliquent aucun contact physique entre la personne qui s’y livre et celle qui les sollicite ».
Cette jurisprudence est cohérente puisque celle-ci exige, de manière constante, un contact corporel pour caractériser les agressions et les atteintes sexuelles [8].
En toute hypothèse, le juge suprême a estimé qu’il revenait au législateur d’étendre, ou non, la définition de la prostitution.
II- L’ambivalence du législateur.
De son côté, le comportement du législateur indique qu’il ne souhaite pas étendre la définition de la prostitution aux pratiques en ligne telle que le caming (A). Pourtant, celui-ci fait preuve d’une volonté assumée de mettre fin à la prostitution in corpore (B).
A) Le refus d’extension de la prostitution au caming.
La cour estime qu’« il apparaît que le législateur n’a pas entendu étendre cette définition, y compris à l’occasion de lois récentes pénalisant certains comportements de nature sexuelle ».
Afin de justifier son propos, la cour cite deux lois récentes par le biais desquelles le législateur n’a pas entendu réprimer le caming, alors qu’il en avait l’occasion, à savoir :
- La loi n°2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, qui réprime, à l’article 611-1 du Code pénal, le recours à la prostitution ;
- La loi n°2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste qui réprime, à l’article 227-23-1 du Code pénal, la sollicitation d’un mineur aux fins d’obtenir de sa part la diffusion ou la transmission d’images ou vidéos pornographiques le représentant.
D’une part, la cour souligne que le législateur n’a pas entendu changer la définition de la prostitution, en ce qu’il n’a pas précisé que le délit de recours à la prostitution pouvait se caractériser par l’utilisation d’un moyen électronique.
D’autre part, la cour fait la comparaison entre le caming et l’article 227-23-1 du Code pénal et qui dispose que : « Le fait pour un majeur de solliciter auprès d’un mineur la diffusion ou la transmission d’images, vidéos ou représentations à caractère pornographique dudit mineur est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende ». Ici, les juges du Palais Royal notent que malgré la similitude des définitions, le législateur n’a pas saisi la possibilité d’étendre la notion de prostitution.
Le législateur entretient une confusion d’interprétation et de sémantique.
D’une part, dans la Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, le législateur a supprimé le délit de racolage et a décidé de poursuivre directement le client.
Dorénavant, le législateur réprime donc l’achat d’acte sexuel.
Cet effort s’inscrit dans une volonté de sanctuariser la non-patrimonialité du corps humain ce qui aurait pu le conduire à assimiler le caming à la prostitution…
D’autre part, le législateur entretient lui-même le flou sémantique puisque le gouvernement qualifie le caming de "prostitution en ligne" dans sa stratégie nationale de lutte contre l’exploitation sexuelle publiée le 2 mai 2024.
Pour autant, le législateur demeure plus sévère que ses voisins européens sur la répression de la prostitution.
B) La volonté de réprimer la prostitution in corpore.
La loi 2016-444 du 13 avril 2016, qui a pour objectif de mettre un terme à la prostitution en affaiblissant directement la demande, a connu un écho certain en Europe.
En 2019, 261 travailleurs du sexe de différentes nationalités, soutenues par une vingtaine d’associations, ont contesté cette loi devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Il était notamment reproché à cette loi de porter « radicalement atteinte au droit au respect de leur vie privée en ce qu’il comprend le droit à l’autonomie personnelle et à la liberté sexuelle », et de favoriser la clandestinité ayant pour conséquence directe l’augmentation des violences et des risques sanitaires, contrairement à l’effet escompté.
Dans sa décision du 25 juillet 2024, la Cour européenne des droits de l’Homme a reconnu que l’incrimination du recours à la prostitution constituait une ingérence dans le droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme [9].
Pour autant, les juges de la Haute Cour européenne n’ont pas condamné la France aux motifs que cette ingérence n’était pas disproportionnée par rapport aux objectifs poursuivis et que, en l’absence de consensus européen sur la question, la France bénéficie d’une large marge d’appréciation.
En effet, la plupart de nos voisins européens se bornent à réprimer le proxénétisme organisé et le racolage, mais ne sanctionnent pas le recours à la prostitution.
À titre d’exemples :
- L’Espagne incrimine le proxénétisme et le racolage mais ni la prostitution, ni son recours ne sont réprimés ;
- L’Allemagne a légalisé la prostitution et les maisons closes en 2002 mais réprime le proxénétisme ;
- La Belgique a décriminalisé totalement la prostitution en 2022, et, en 2024, a reconnu un statut social aux travailleuses du sexe, qui peuvent désormais exercer sous couvert d’un contrat de travail, bénéficier de congés payés et du chômage.
Si le législateur français adopte une position ferme de lutte contre la prostitution, il reste à voir s’il optera ou non, dans un avenir proche, pour la répression du caming.