Litiges du travail : peut-on se passer du Conseil de prud’hommes ?

Par Guillaume Talneau, Avocat.

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Explorer : # arbitrage # litiges du travail # confidentialité # procédure judiciaire

Les conflits du monde du travail peuvent parfois donner lieu à un véritable « grand déballage » lorsqu’ils impliquent des personnalités médiatiques. A l’occasion de ces conflits spectaculaires, le grand public prend connaissance d’informations on ne peut plus sensibles. Pourquoi les litiges du travail devraient-ils être l’apanage de la justice prud’homale ? Ne serait-ce pas dans l’intérêt de chacune des parties de recourir à l’arbitrage afin de préserver sa réputation en pareilles circonstances ? Le recours à l’arbitrage n’est malheureusement pas une solution sécurisée de résolution des litiges du travail en droit français.

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Les conflits du monde du travail peuvent parfois donner lieu à un véritable « grand déballage » lorsqu’ils impliquent des personnalités médiatiques. On se souvient ainsi de l’écho suscité par l’affaire « Maïtena Biraben », du nom de l’ex présentatrice de Canal+ dont l’éviction a largement été relayée par les médias [1] ou, plus récemment, du départ mouvementé de Fabien Namias, ex Directeur de l’information d’Europe 1 dans un contexte de crise managériale au sein de cette station de radio [2]

A l’occasion de ces conflits spectaculaires, le grand public prend connaissance d’informations on ne peut plus sensibles. Les griefs de l’employeur à l’encontre de l’ex-salarié, les critiques acerbes de ce même salarié formulées à l’encontre de l’entreprise qui l’employait, l’évaluation de sa performance professionnelle, les débats entourant ses conditions de travail, les circonstances de la rupture de son contrat de travail, le montant de sa conséquente rémunération et celui des indemnités réclamées : toute la relation de travail est sur la place publique !

Pourquoi les litiges du travail devraient-ils être l’apanage de la justice prud’homale ? Ne serait-ce pas dans l’intérêt de chacune des parties de recourir à l’arbitrage afin de préserver sa réputation en pareilles circonstances ? Outre l’intérêt bien compris de la confidentialité des échanges, le recours à l’arbitrage permet une gestion plus rapide du litige, en quelques mois, la lenteur de la procédure prud’homale étant malheureusement aujourd’hui la norme. Ce mode de résolution des litiges présente également l’avantage d’obtenir une décision émanant de professionnels du droit familiers d’un secteur d’activité, peut-être plus à même d’appréhender la complexité juridique et technique de certaines affaires.

Pourtant, en l’état actuel du droit français, le recours à l’arbitrage n’est malheureusement pas une solution sécurisée de résolution des litiges du travail !

Certes, le Code du travail prévoit la saisine d’une commission arbitrale pour une profession bien particulière, celle du journaliste professionnel. Celle-ci n’a toutefois pas vocation à se substituer au juge. Ses prérogatives sont, en effet, limitées puisqu’elle est saisie uniquement afin de déterminer le montant de l’indemnité de rupture due au journaliste licencié dont l’ancienneté excède quinze années (article L.7112-4 du Code du travail), en cas de cession du journal ou du périodique, de sa cessation ou lors du changement notable du journal, dans son caractère ou de son orientation « si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux » (article L.7112-5 du Code du travail,). Ce dernier cas de recours concerne la fameuse « clause de cession ».

En dehors de ce cas de recours à une commission arbitrale catégorielle reconnue par le législateur, tout salarié et tout employeur demeurent, a priori, libres de prévoir une clause compromissoire au moment de la conclusion d’un contrat de travail. L’objet d’une telle clause consiste à prévoir, en cas de litige relatif à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail, qu’il sera dérogé à la compétence du Conseil de prud’hommes en recourant à l’arbitrage. Toutefois, le salarié peut facilement neutraliser une telle clause.

Pour s’en convaincre, dans un arrêt « Deloitte » rendu le 6 mars 2013 [3] la Cour de cassation avait jugé que la Charte associative, dans laquelle était insérée une clause compromissoire, était inopposable aux salariés signataires. Ces derniers avaient donc pu agir en annulation de la sentence arbitrale. A l’occasion de cet arrêt, la Haute juridiction avait également précisé que le juge devait s’abstenir de statuer sur le fond et qu’il n’avait pas, non plus, à désigner la juridiction devant être saisie.

On concèdera, comme l’avait judicieusement précisé Maître Hubert Flichy [4], également Président du CNAT (Centre National d’Arbitrage du Travail), que cela ne signifie pas que la clause est atteinte par la nullité ; celle-ci étant uniquement « inopposable » au salarié. En d’autres termes, le salarié pourrait néanmoins accepter de se soumettre à l’arbitrage bien qu’il dispose d’un levier juridique puissant lui permettant de s’en extraire à tout moment.

Une telle aventure paraît bien périlleuse ! Le risque pesant sur l’employeur est déraisonnable puisqu’il suffirait au salarié d’agir en annulation de la sentence arbitrale pour échapper à la condamnation, ceci quand bien même l’exequatur aurait été reconnu et accordé par ordonnance du Président du Tribunal de grande instance (conformément aux dispositions de l’article 1487 du Code de procédure civile, la sentence arbitrale n’est susceptible d’exécution forcée qu’en vertu d’une ordonnance d’exequatur émanant du tribunal de grande instance dans le ressort duquel cette sentence a été rendue).

En matière de contrat international, la jurisprudence a également considérablement réduit la portée des clauses compromissoires : lorsque le salarié a régulièrement saisi la juridiction française compétente, indépendamment de la loi régissant le contrat de travail, il peut aussi soulever son inopposabilité [5].

En revanche, à l’issue de la rupture du contrat de travail il semble bien que les parties demeurent libres de conclure un compromis d’arbitrage. Dans des arrêts anciens la Cour de cassation [6], puis la Cour d’appel de Paris l’avaient expressément admis [7]. Depuis, certaines cours d’appel ont néanmoins adopté une position divergente en invoquant les dispositions de l’article L.1411-4 du Code du travail selon lesquelles le Conseil de prud’hommes est « seul compétent, quel que soit le montant de la demande, pour connaître des différends mentionnés » dans ledit code.

Dès lors, la validité même du compromis d’arbitrage conclu postérieurement à la rupture du contrat de travail est incertaine ! Il est aujourd’hui indispensable que le législateur français donne un cadre juridique lisible à l’arbitrage en favorisant son essor en droit du travail.

Guillaume Talneau
Avocat à la Cour - Droit Social/Droit du travail
Barreau de Paris

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Notes de l'article:

[3Cass. 1er civ., 6 mars 2013, n°12-15.375

[4Cahier DRH, n°230, 1er avril 2016

[5Cass. soc., 12 mars 2008, n°01-44.654

[6Cass. soc. 5 novembre 1984 ; n°82-10.511

[7Cour d’appel de Paris, 14 décembre 1990, n°89-16.638

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