Droit de grève : To do list des questions à se poser en débrayage. Par Marjorie Thomas, Responsable relations sociales.

Droit de grève : To do list des questions à se poser en débrayage.

Marjorie Thomas
Responsable Relations Sociales d’un Groupe industriel
Précédemment Directrice juridique droit social du groupe

3773 lectures 1re Parution: Modifié: 5  /5

Explorer : # droit de grève # gestion de la production # grève licite # chômage technique

La grève est une mauvaise nouvelle. Lorsqu’elle survient elle mobilise tous les acteurs, devient la priorité de la direction, et bien sûr des Affaires sociales chargées de rétablir le dialogue avec les organisations syndicales en débrayage. Si le dialogue social est forcément la solution, dans l’intervalle la grève doit s’exercer dans le cadre des lois qui la réglementent.
Questions à se poser et « to do list » à destination des directions juridiques Droit social et des Affaires sociales.

-


Article initialement paru dans le Journal du Management Juridique d’entreprises n°99 : Management juridique et focus Droit du travail et de la sécurité sociale.

1. Tout d’abord, s’interroger : la grève est-elle licite ?

La grève se définit comme la cessation collective du travail pour des revendications professionnelles. Ainsi, si l’une de ces trois conditions n’est pas réunie, si le travail n’a pas vraiment cessé (grève du zèle par exemple), si l’arrêt du travail n’est pas collectif ou si les revendications professionnelles ne défendent pas les intérêts collectifs de la professions (ce serait le cas d’un débrayage de soutien d’un salarié sanctionné par exemple) ou contraires à la loi, la grève peut être illégitime.

Au-delà des cas de grèves illicites que nous ne développerons pas ici, se pose la situation plus délicate du débrayage collectif reposant bien sur des revendications professionnelles, mais qui serait exercée de manière délibérément abusive.

La Jurisprudence est limitée mais claire : la désorganisation de la production est la conséquence normale de la grève, mais pas celle de l’entreprise elle-même :

« La répétition d’arrêts de travail ayant, chacun, le caractère d’une grève licite ne saurait être considérée comme un abus du droit de grève, dès lors qu’il n’est pas établi qu’elle ait eu pour objet, non la satisfaction de revendications professionnelles, mais la désorganisation concertée de l’entreprise » [1].

C’est donc la conséquence recherchée par les grévistes qu’il convient d’analyser, mais pas les moyens d’exercice de la grève elle-même. En effet, le Juge admet la licéité de mouvements exercés sous forme d’arrêts de travail successifs ou de débrayages répétés, même de courte durée lorsqu’il n’est pas démontré de désorganisation de l’entreprise en ayant résulté [2].

Ou encore, 45 arrêts successifs en moins de deux mois ne permettent pas de caractériser une volonté délibérée, de la part des intéressés, de nuire à l’entreprise, quand il était établi que l’employeur avait été régulièrement informé des divers arrêts de travail et que des précautions avaient été prises par les grévistes pour préserver les machines de production.

En revanche, constitue en conséquence un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser la grève dont les modalités annoncées consistent, pour chaque salarié gréviste, à prendre normalement son service et à ne cesser le travail qu’à l’heure normale de départ du train, pour une heure, ce qui empêche la SNCF de prévoir son remplacement ou d’informer en temps utile les voyageurs qui en subissent finalement les conséquences [3].

Ou bien pour une entreprise de production de verre où le travail des souffleurs est continu, la Cour de cassation juge que : « en organisant leurs arrêts de travail dans des conditions permettant à une minorité d’ouvriers d’empêcher toute production et au reste du personnel d’être payés sans rien faire, ces salariés ont exécuté leur contrat dans des conditions autres que celles convenues et commis un abus du droit de grève » [4].

Il est intéressant de noter que dans les entreprises titulaires d’une mission de service public, même non soumises à une obligation de service minimum, le Code du travail établit un régime dérogatoire de droit commun pour le déclenchement de la grève, dont les directions et services juridiques doivent vérifier le respect.

En effet, contrairement aux entreprises du secteur privé, les articles L2512-1 et suivants exigent le dépôt d’un préavis, cinq jours francs avant le déclenchement de la grève, afin d’inciter les parties à négocier. De la même manière, alors que tout salarié peut dans le privé initier un mouvement collectif, ce régime dérogatoire consacre le monopole syndical, puisque le préavis doit émaner nécessairement d’une organisation syndicale représentative (au niveau national, dans la catégorie professionnelle ou dans l’entreprise, l’organisme ou le service intéressé).

Ce qui rendrait théoriquement illicite tout mouvement de grève initié par des salariés sans encadrement syndical. Cette règle raisonne particulièrement lorsque de nos jours, certaines grèves fleurissent sans leader syndical (contrôleurs de la SNCF, Printemps écologique…)

2. Dans l’attente de l’issue du conflit : gérer la production.

Tant que le dialogue n’est pas rétabli et que les positions s’affrontent, les équipes doivent répondre à deux questions fondamentales :

  • Comment maintenir la production ?
  • Comment continuer à occuper les salariés non grévistes ?

2.1 Comment maintenir la production ?

Pour maintenir la production malgré les débrayages qui stoppent certains ateliers, plusieurs options sont ouvertes :

a) D’abord : réorganiser les fonctions des non-grévistes.

L’employeur peut demander aux non-grévistes de pallier les fonctions des grévistes, il est aussi possible de leur faire faire des heures supplémentaires, et de modifier les horaires collectifs de travail organisés selon la circonstance.

b) Pas de recours possible à l’intérim ni au CDD spécialement pour l’occasion.

Il est interdit de recourir à des salariés intérimaires ou à des CDD pour remplacer un salarié dont le contrat de travail est suspendu à la suite d’un conflit collectif de travail (Article L. 1225-10 1°, du Code du travail).
Quid des personnes dont le CDD ou le contrat temporaire a déjà été conclu antérieurement au déclenchement du conflit ? Peut-on réorganiser de la même manière les missions des salariés en CDD ou en contrat de travail temporaire, que celles des salariés en CDI évoqués en §a) ?

La Jurisprudence répond par la négative s’agissant des intérimaires : les intérimaires déjà présents dans l’entreprise, dont le contrat de travail temporaire avait été conclu antérieurement au déclenchement de la grève ne peuvent pas non plus être sollicités pour pallier l’absence des grévistes. La Cour de cassation condamne l’employeur « qui avait fait accomplir par les intérimaires [déjà présents dans l’entreprise depuis 6 mois] des tâches normalement dévolues aux salariés grévistes et que le quota d’heures avait été spécialement augmenté à cette occasion » (Cass.Soc 2 mars 2011 n°10-13634).

S’agissant des salariés en CDD dont l’exécution de la mission est limitativement encadrée par le motif du recours au CDD, la réorganisation de tâches pour s’adapter au conflit est également limitée mais pas impossible sous réserve du respect de ce motif. Les CDD conclus pour un motif de remplacement sont par définition cantonnés aux missions du salarié absent (a priori donc, non gréviste). Sous réserve de l’appréciation des Juges du fond, il devrait en être différemment à notre sens des salariés en CDD conclus pour un motif de surcroît d’activité qui seraient affectés à un atelier en grève et dont les missions seraient également celles des grévistes.

c) Envisager le recours à la sous-traitance, pour une prestation intégrale.

Cette faculté est ouverte (Cass. soc. 15-2-1979 n° 76-14.527), à condition d’une part d’externaliser l’ensemble de la prestation, à l’exclusion donc de la sous-traitance de capacité qui viendrait simplement remplacer les grévistes et ainsi faire obstacle au droit constitutionnel de la grève ; et bien sûr d’autre part, de respecter les critères de la prestation de service (indépendance, non-ingérence du client dans l’organisation de la mission, facturation globale de la prestation au-delà du simple coût de la main d’oeuvre).
La société de sous-traitance doit également respecter les mêmes règles édictées ci-dessus en ne recourant pas, pour le bien de la mission, à des salariés intérimaires ou en CDD.

d) Voire l’appel aux bénévoles lorsque cette solution est adaptée.

L’employeur peut également faire appel, à cet effet, à des bénévoles (Cass. soc. 11-1-2000 n° 97-22.025).
Cet arrêt, peu utilisé, serait par exemple intéressant dans certaines entreprises, par exemple ayant des salariés disposant d’une formation de pompier volontaire, dont il faudrait pallier l’absence en cas de déclenchement d’un incendie sur le site pendant le mouvement de grève. En effet les pompiers locaux interviennent sur un incendie de manière bénévole, ainsi sur ce fondement, et sous réserve que cette option soit conforme aux impératifs de sûreté des installations, le chef d’établissement pourrait faire appel à eux pour pallier l’absence des salariés formés à la sécurité incendie.
Ces options s’appliquent sous réserve du règlement intérieur applicable à la société en grève.

2.2 Quel travail fournir aux salariés non-grévistes ?

Lorsque la grève se prolonge, il peut arriver que les salariés non-grévistes se trouvent, du fait de l’imbrication des ateliers en grève dans la chaine de production, privés de travail à effectuer. Pour autant l’employeur n’en est pas exonéré de son obligation de fournir du travail à ses salariés. Alors quels moyens sont à sa disposition ?
Comment continuer à occuper les salariés privés de tâches du fait du conflit et de l‘arrêt de certains ateliers ?

a) Diversifier les tâches.

On l’a vu certains salariés non-grévistes peuvent être appelés à prêter main forte dans d’autres ateliers, mais pour les autres, le travail de production pur étant bloqué, c’est le moment pour l’employeur de recourir aux fonctions annexes, qui lui permettront de continuer à fournir du travail aux salariés non-grévistes privés de leur fonction principale. On pense aux tâches de maintenance des outils de production, aux reporting, classement et rangement selon les méthodes « « 5S » par exemple, à la planification des futurs chantiers, ou autres tâches administratives non prioritaires.
Il est également fondamental d’anticiper au maximum les formations prévues au plan de formation pour les salariés non-grévistes, qu’elles soient organisées en interne ou même en externe en sollicitant les prestataires de formation.
En pratique, nous recommandons d’élaborer un tableau retraçant, jour de grève par jour de grève et salarié(e) par salarié(e), la tâche « supplétive » à laquelle il/elle a été affecté(e).

b) Proposer la prise de JRTT.

Lorsque l’accord collectif régissant la durée du travail dans l’entreprise le prévoit, l’employeur peut imposer chaque année des « JRTT employeur » qu’il place en général sur les ponts entre les jours fériés. Cette imposition collective suppose l’information-consultation du CSE qui se tient en général en fin d’année N-1 ou au début de l’année N.
En cas de grève survenant avant ces ponts, et sous réserve de respecter la même procédure, l’employeur pourrait envisager de choisir d’autres dates pour ces JRTT collectifs afin de pallier l’impact de l’arrêt de la production sur les salariés concernés.
Pour recourir aux JRTT dont la pose est conventionnellement au libre choix du salarié, l’employeur peut simplement suggérer la prise de JRTT aux salariés non-grévistes, qui restent libres de faire ce choix ou non.
En effet, la Cour de cassation a estimé que dès lors qu’un accord collectif applicable à l’entreprise prévoit qu’une partie des jours RTT est pris par le salarié avec l’accord de sa hiérarchie (JRTT individuels) et qu’une seconde partie est imposée par l’employeur (JRTT collectif), l’employeur ne peut utiliser les JRTT individuels qu’avec l’accord exprès des salariés concernés (Cass.soc 18 mars 2015 n°13-19.206).
A noter que dans cette affaire, l’employeur avait imposé la prise JRTT individuels sur une période de forte sous activité avant de recourir à une mesure de chômage partiel. La Cour de cassation considère que rien ne justifie que l’employeur outrepasse l’accord du salarié s’agissant des JRTT individuels.

c) Quid des congés payés ?

En principe, l’employeur a la libre main sur la prise des congés payés par ses salariés [5], il fixe les départs en congés et leur ordre, dans les limites suivantes :

  • Le congé principal de 4 semaines doit être obligatoirement pris pendant la période estivale du 1er mai au 31 octobre, période qui peut être conventionnellement modifiée,
  • Et a minima de 12 jours ouvrables sous réserve de bénéficier de jours supplémentaires pour ce fractionnement.

En revanche, le fractionnement de la 5eme semaine est de droit et peut donc être librement fixée par l’employeur, sans avoir à requérir l’accord du salarié ni même l’avis des délégués du personnel  [6].

Le même raisonnement peut en principe s’appliquer aux congés supplémentaires (congés pour ancienneté, récupération de jours fériés en poste, etc.) qui ne sont en général pas limités à des conditions spécifiques de prise. Il convient bien sûr de vérifier les dispositions conventionnelles qui les régissent.
Si l l’employeur peut donc en théorie faire usage de ces leviers pour occuper, même quelques jours les salariés non-grévistes, le délai de mise en place de cette mesure en limite un peu l’intérêt.
En principe, l’imposition des congés a lieu sous réserve de respecter un délai de préavis d’un mois, sauf en cas circonstances exceptionnelles [7].

La Jurisprudence rendue en la matière précise qu’une « circonstance exceptionnelle » justifiant un préavis raccourci est un événement imprévisible, irrésistible et extérieur. Si cette notion rappelle la notion de force majeure, la Cour de cassation dans un de ses rapports rejette la grève comme un cas caractérisant cette dernière. Elle considère que n’est pas extérieure à l’employeur une grève de son propre personnel, qui plus est lorsque celle-ci a pour origine une action de la direction.

En revanche, à titre d’exemple, les circonstances exceptionnelles ont été admises en cas de [8] :

  • décès d’un salarié ;
  • procédure collective et redressement judiciaire ;
  • commandes imprévues de nature à sauver l’entreprise et à sauver des emplois.

Ainsi, pour imposer des congés payés, l’employeur devra nécessairement, d’une part informer et consulter le Comité Social et Economique (CSE), dans le cadre de ses attributions générales consultatives pour tout projet affectant la marche générale de l’entreprise (article L2212-8 code du travail) ; et d’autre part recueillir l’aval des salariés intéressés. A défaut, le risque serait pour l’employeur de se voir condamner au maintien de salaire des salariés sur la période doublé de la conservation par eux de la totalité de leur compteur de congés, potentiellement en référé si l’on peut estimer que cette imposition constitue un trouble manifestement illicite au droit de grève.

En cas de grève longue, la question s’est posée de savoir si l’imminence du chômage technique (cf § 3 ci-dessous), pouvait justifier que l’employeur, plutôt que de priver les salariés non-grévistes de salaires, soit contraint d’imposer des congés payés dans un délai plus court, constituant ainsi une circonstance exceptionnelle. Ce d’autant que le chômage technique, situation contraignante subie par l’employeur comme par les salariés, induit que toute autre option ait été préalablement tentée pour éviter d’atteindre cette extrêmité.
Le Juge ne répond pas précisément à la question.
Le 6 juillet 2018, le Tribunal judiciaire de Nanterre juge que :

« l’employeur ne peut s’exonérer du délai de prévenance d’un mois, surtout que la situation de chômage technique n’est pas démontrée ».

Egalement, la Cour de Cassation, saisie d’un pourvoi formé par l’employeur à l’encontre de la décision confirmatoire de la Cour d’appel de Versailles portant spécialement sur la question du traitement différencié de la cinquième semaine, estime que la rédaction de l’article L3141-16 du Code du travail n’opère aucune distinction entre les quatre premières semaines et la cinquième semaine de congés. La Cour de cassation étend également la règle aux congés conventionnels [9].
Ainsi, tous les congés de quelque nature que ce soit peuvent être imposés en respectant un délai de préavis d’un mois, même en cas de grève confinant au chômage technique des salariés non grévistes.
Dans cette hypothèse, on peut donc douter de l’utilité pratique de la procédure d’imposition des congés en période de grève où chaque jour compte, sauf à craindre un arrêt des installations supérieur à un mois, et même dans ce cas, seulement après avoir informé et consulté suffisamment tôt le CSE, qui sera probablement difficilement convaincu de la pertinence d’une telle mesure dans un laps de temps aussi long.

3. En cas de persistance du conflit, distinguer le chômage partiel du chômage technique.

En cas de prolongement du conflit, la situation peut s’aggraver de façon telle que les salariés non-grévistes peuvent épuiser toutes les tâches annexes susceptibles de les occuper. Au pied du mur, l’employeur peut alors, en dernier recours, tenter de convaincre l’Administration du travail de lui accorder une mesure d’activité partielle. A défaut, il sera contraint de constater le chômage technique de ses salariés.

3.1 Réclamer une mesure d’activité partielle à l’Administration du travail.

Selon l’article R. 5122-8 du Code du travail, les établissements dont la réduction d’activité est provoquée par un différend collectif de travail sont exclus de l’activité partielle.
A l’exception : « du cas d’une fermeture de l’entreprise ou d’un service décidée par l’employeur suite à une grève, le bénéfice de l’activité partielle peut être accordé sur décision du ministre chargé de l’emploi si la fermeture se prolonge plus de trois jours ». 
Cette option, peu usitée avant la pandémie Covid-19, mérite d’être étudiée auprès des administrations qui pourrait potentiellement y faire droit, selon la nature du conflit, et ses conséquences prévisibles pour l’entreprise, le bassin d’emploi. On peut imaginer par exemple qu’un motif de grève extérieur à l’entreprise, privant ainsi le chef d’établissement de moyen d’actions à sa portée (motif national par exemple), ajouté à un conflit qui s’installe dans le temps et génère des conséquences néfastes pour l’économie locale pourrait être de nature à convaincre l’administration d’accorder son appui.
En tout état de cause, même en cas d’échec, l’employeur doit démontrer l’ensemble de ses tentatives pour éviter le chômage technique.

3.2 Le constat inéluctable du chômage technique.

Situation dramatique que celle du constat qui s’impose à l’employeur de son incapacité à faire redémarrer sa production, ni à fournir du travail à ses salariés… entraînant de fait la suspension des contrats de travail des salariés, et partant, de leur rémunération. La frontière est toutefois très fine avec le « lock out », pratique héritée des britanniques qui, volontairement, fermaient l’entreprise pour étouffer le mouvement de grève.
La Jurisprudence clarifie la distinction.
Le chômage technique est justifié lorsque la société se trouve, du fait de la grève, dans une situation contraignante non imputable à l’employeur et rendant impossible la fourniture de travail aux salariés non-grévistes (Cass.soc 04 juillet 2000 ; Cass.soc 22 février 2005 n° 02-45.879).
Or, le mouvement collectif rendant seulement l’exploitation de l’entreprise très onéreuse et plus difficile et n’aboutissant pas à la désorganisation de l’entreprise ne constitue pas une situation contraignante (Cass.soc 05 juillet 1995 n°93-20.402) ;
De même, la commission d’un certain nombre d’actes illicites au cours de la grève ne suffit pas à justifier à elle seule de la désorganisation de l’entreprise (présence dans l’entreprise de personnes étrangères, mise en place de piquets de grève, violence et intimidation, maintien de l’occupation des locaux avant après décisions de justice, dégâts importants commis aux locaux et au matériel… Cass.soc 18 janvier 1995 n°91-10.476).
En pratique :
Il ressort d’une jurisprudence constante que la mesure de chômage technique est justifiée dès lors que l’employeur apporte la preuve i) d’une paralysie effective de l’entreprise ii) de l’impossibilité de fournir du travail aux non-grévistes iii) et d’autres éléments factuels liés notamment à la productivité et à la sécurité des biens et des personnes.

a) Paralysie effective de l’entreprise à la date de mise en œuvre de la mesure de chômage technique.

L’employeur ne peut recourir à une mesure de chômage technique que dans l’hypothèse d’une situation de blocage effectif de l’entreprise.
La mesure de chômage technique est justifiée lorsque la grève d’un secteur « production » a progressivement entrainé la paralysie d’un autre secteur « travaux », empêchant ainsi le maintien des tâches d’exécution et que l’employeur a attendu que le fonctionnement de l’entreprise soit bloqué pour recourir à la mesure (Cass. soc 22 février 2005 n°02-45.879).

b) Impossibilité de fournir du travail aux non-grévistes appréciée au regard des moyens mis en œuvre par l’employeur.

La mesure de chômage technique, même dans l’hypothèse d’une paralysie effective de l’entreprise, ne peut intervenir que lorsque l’employeur a épuisé les possibilités de confier des tâches supplétives aux salariés non-grévistes et se trouve dans l’impossibilité absolue de leur fournir du travail.
Ainsi, le juge prud’homal qui a constaté que l’employeur ne rapportait pas la preuve qu’il était dans l’impossibilité de fournir aux salariés non-grévistes des tâches supplétives en rapport avec l’exécution de leurs contrats de travail, même s’il avait été contraint, du fait de la grève, d’arrêter totalement les installations de l’atelier de production pour des impératifs de sécurité, a pu décider qu’il ne se trouvait pas dans une situation contraignante justifiant la mise du personnel en chômage technique et qu’il devait payer leur rémunération à tous les salariés qui s’étaient tenus à sa disposition. (Cass.soc. 30 septembre 2005 n° 04.40-193)

c) Autres critères liés notamment à la productivité et à la sécurité des biens et des personnes.

Une baisse très importante de la moyenne de fabrication, une impossibilité d’approvisionnement des marchandises, ou encore un risque d’atteinte à la sécurité des personnes / risques d’accidents et des risques de défauts de fabrication sont autant d’éléments supplémentaires susceptibles d’apporter la preuve d’une situation contraignante justifiant la mesure de chômage technique.
En effet, le caractère contraignant a pu être établi dans les cas où les faits suivants ont été révélés : blocage de l’accès à l’usine malgré une ordonnance de référé faisant défense à quiconque de s’opposer à la libre circulation des marchandises et fournitures, baisse très importante de la moyenne de fabrication, réalimentation de l’usine impossible malgré les efforts de la direction, risques de défaut de fabrication, voire d’accidents par suite de manque de chauffage, d’air comprimé et d’absence de tous les ouvriers professionnels (not. Cass. soc 11 juillet 1989 n° 86-42.020).

La Cour de cassation dans un arrêt du 20 avril 2017 (n° 15-16.779) reconnait que la mesure de mise au chômage technique est justifiée dans la mesure où l’employeur apporte la preuve que :

  • la grève dans un atelier avait entrainé l’arrêt total de la production de cet atelier ;
  • le mouvement affectait également d’autres services ;
  • il avait tenté dans un premier temps d’affecter les salariés à des tâches supplétives ;
  • il ne lui était plus possible matériellement d’affecter les salariés à des tâches supplétives du fait de la désorganisation de plusieurs ateliers de l’entreprise ;
  • la poursuite de la production était de nature à présenter un danger pour la sécurité des personnes et des biens.

En pratique, en cas de contentieux, le Juge exigera la production des éléments de preuve constatant l’arrêt de la production dans l’atelier, l’impact sur les autres ateliers, ainsi que ceux retraçant l’attribution de tâches supplétives aux salariés non-grévistes et de l’impossibilité de fournir du travail (plannings, mails, notes de service en direction des salariés) et d’éventuels risques liés à la sécurité ou à la qualité de fabrication de l’usine le cas échéant.
À noter que le constat du chômage technique fait l’objet d’une consultation du CSE, ce dernier pouvant être réuni en urgence sans respect du délai légal de convocation des élus.

Marjorie Thomas
Responsable Relations Sociales d’un Groupe industriel
Précédemment Directrice juridique droit social du groupe

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

3 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Cass. crim. 25-5-1982 n° 81-93.647.

[2Cass. soc. 25-1-2011 n° 09-69.030.

[3CA Douai 18-5-1995 n° 94-5290, 8e ch., Syndicat CFDT des Cheminots de Lille c/ SNCF.

[4Cass. soc. 11-6-1981 n° 79-42.013 , Oliveira c/ SA Quartz et Silice.

[5Code du travail, art. L. 3141–16.

[6Cass. Crim 25 février 1992 n°90-86099 - solution à notre avis transposable aux nouvelles instances de représentation du personnel mise en place depuis les Ordonnances dites « Macron » du 5 septembre 2017.

[7Code du travail, art. L. 3141–16.

[8Not. Cass. soc., 15 mai 2008, n° 06–44354.

[9Cass.Soc. 2 mars 2022.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27852 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.

• L'IA dans les facultés de Droit : la révolution est en marche.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs