La liberté d’expression à l’ère du numérique : le délicat équilibre sur les réseaux sociaux.

Par Elsa Guérin, Etudiante.

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Explorer : # liberté d'expression # réseaux sociaux # responsabilité civile # vie privée

Les dérives existent sur les réseaux sociaux parce qu’elles sont permises par la liberté d’expression, dont la Démocratie est garante. Effectivement, la liberté d’expression, enjeu majeur de notre temps, est une liberté fondamentale garantie, entre autres, par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) en France.

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Cette liberté fondamentale est inscrite dès 1789 dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) qui en son article 10 énonce : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ».
Ces principes écrits à l’époque de la Révolution française se retrouvent aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Ils sont, en effet, la pierre angulaire de la démocratie en ce qu’elle encourage la libre circulation des idées [1]. Comme la caricature (en somme la liberté de la presse), la liberté d’expression est un témoin de la démocratie [2].

Les abus de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux.

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi », pouvons-nous prononcer à la lecture de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Les abus de la liberté d’expression sont renforcés par les réseaux sociaux. Ainsi, comme le souligne Anne Cousin : « les réseaux sociaux sont le principal moyen des abus de tous genres de la liberté d’expression, des plus anodins aux plus graves, dans des conditions ou des proportions qui conduisent légitimement à s’interroger sur leur rôle à cet égard ».
A ce sujet, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt relatif à un tweet, objet d’une action en diffamation. L’arrêt s’inscrit dans le mouvement #BalanceTonPorc, variante en France du mouvement #MeToo.
L’interêt de l’arrêt est le questionnement autour de la portée du tweet qui rend coupable un homme de violence sexuelle. Il s’agit, en d’autres termes, de savoir si le tweet litigieux s’inscrit dans un débat public d’intérêt général. Il en résulte que l’auteure dudit tweet était de bonne foi et s’est exprimée dans un but légitime (avec prudence dans l’expression et en l’absence d’animosité personnelle).
Les propos litigieux ont contribué à « un débat d’intérêt général sur la dénonciation de comportements à connotations sexuelle non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes de nature à porter atteinte à leur dignité ».
En parallèle, au sujet de la prudence, Blandine Mallet-Bricout, avocate générale en service extraordinaire à la première chambre civile de la Cour de cassation, explique que : « il serait possible de considérer que le critère de la prudence formelle doive être apprécié en fonction de ce nouveau contexte technologique et sociétal, et que l’imprudence ne soit retenue que de manière stricte, afin de ne pas brider excessivement la liberté d’expression formelle dans le cadre de nouveaux modes de communication tel Twitter, souvent spontanés et en tout état de cause très brefs, donc difficiles à nuancer ».
Alors, pour citer Raphaël Enthoven, il faut garder en tête que : « La Démocratie permet la liberté et elle meurt du mauvais usage de la liberté qu’elle permet ».

Le nécessaire équilibre entre la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée.

Les limites à la liberté d’expression se trouvent dans le bafouement de la vie privée. Il résulte ainsi que l’atteinte aux droits fondamentaux et à l’ordre public (fake news, atteintes à la vie privée, propos polémiques, harcèlement, …) doivent être examinées proportionnellement au but recherché. Il est nécessaire, en d’autres termes, de trouver un équilibre entre la liberté d’expression et la protection des autres droits fondamentaux. Pour Blandine Mallet-Bricout, “Il convient de trouver un équilibre entre la nécessaire défense de cette liberté dans une société démocratique propice à l’émergence de débats d’intérêt général, et la tout aussi nécessaire protection des individus dont l’honneur et la réputation est mise en cause, le cas échéant sur le fondement d’une courte phrase, dans un contexte médiatique viral devenu la norme au 21e siècle.”. Alors, sur les réseaux sociaux, il est indispensable d’instaurer une balance équilibrée entre les intérêts des plateformes, des utilisateurs et du respect de la liberté d’expression.

La création d’un cadre de responsabilité civile adaptée ?

Delphine Chauchis, présidente de la 17e chambre au tribunal judiciaire de Paris, rappelle que : « La rapidité et la spontanéité des messages diffusés sur les réseaux n’exonèrent pas l’internaute de sa responsabilité ».
Les nouveaux modes de communication supposent-il une appréhension renouvelée de la responsabilité individuelle découlant de l’usage de la liberté d’expression ? Il est, de prime abord, nécessaire de citer l’article 10 § 2 de la CESDH qui dispose que :

« L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique ».

Il est, ainsi, souligné dans l’arrêt Pedersen et Baadsgaard contre Danemark que :

« Le paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention souligne que l’exercice de la liberté d’expression comporte des “devoirs et responsabilités”, qui valent aussi pour les médias même s’agissant de questions d’un grand intérêt général ».

Donc, l’internaute est responsable à l’égard des propos qu’il a tenus sur les réseaux sociaux et ne doit pas nuire aux droits d’autrui.

Finalement, pour la citer dernière fois, Blandine Mallet-Bricout affirme que : « cette responsabilité ne saurait être perçue comme une nouvelle entrave à la liberté d’expression, liberté fondamentale, mais bien comme une conséquence directe de l’élargissement très significatif des modes modernes et facilités d’expression sous toutes leurs formes ».

Cependant, cette responsabilité constitutive des propos tenus par les usagers sur Internet fait face à des problématiques. Il s’agit notamment de problématiques quant à la procédure avec les nouvelles technologies pour identifier le responsable anonyme par exemple.
Comment faire face à la tendance actuelle de préservation de l’anonymat des auteurs de contenus en ligne ? Comment sanctionner utilement certains abus de la liberté d’expression sans pouvoir identifier le responsable ?
La réflexion autour de l’anonymat sur les réseaux sociaux est très intéressante puisque, premièrement, la Cour européenne des droits de l’Homme considère l’anonymat quasiment comme un droit fondamental.
En définitive, Romain Badouard, chercheur en sciences de l’information et de la communication, rappelle que : « Mettre fin à l’anonymat sur les réseaux sociaux est une mauvaise solution, car elle irait à l’encontre d’un des principes fondamentaux du web, et même d’internet, qui a permis une libération de la parole sans commune mesure dans l’Histoire ».

Sources :

  • A. Cousin, “Dérives sur les réseaux sociaux : que promet le DSA ?”, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 04, 26 janvier 2023, p. 1 ;
  • Cour de cassation, Première chambre civile, 11 mai 2022, n° 21-16.497 ;
  • Avis de Mme Mallet-Bricout, Avocate générale, arrêt n° 430 du 11 mai 2022 ; -* Première chambre civile, Pourvoi n° 21-16.497, Décision attaquée : 31 mars 2021 de la cour d’appel de Paris ;
  • CEDH, Cour (grande chambre), Affaire Pedersen et Baadsgaard c. Danemark, 17 décembre, 49017/99 ;
  • Cour européenne, K.U. c. Finlande, Appl. No. 2872/02, 2 décembre 2008, par. 49 ;
  • R. Badouard, “Les enjeux de la modération des contenus sur le web”, La revue européenne des médias et du numérique, novembre 2021, p. 3 ;
  • Colloque coorganisé par l’Arcom et la Cour de cassation, "La liberté d’expression et l’ère numérique" [3].

Elsa Guérin,
Étudiante en Master 2 Droit du numérique

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Notes de l'article:

[1Article 11 de la DDHC.

[2« La caricature est un témoin de la démocratie », Tignous.

[3Lien de rediffusion : https://www.youtube.com/watch?v=G_twdShLlFE (pour les propos de Delphine Chauchis)

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