Affichage publicitaire numérique et sécurité routière.

Par Gérard Feix, Juriste.

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Explorer : # affichage publicitaire numérique # sécurité routière # code de l'environnement # code de la route

Depuis une décennie, de plus en plus de panneaux numériques sont implantés au sein des agglomérations françaises.
Au premier abord, il pourrait sembler évident que l’installation d’un panneau publicitaire numérique en bordure d’une voie de circulation présenterait, « par nature », un danger pour la circulation routière, compte tenu de la capacité de distraction des usagers de la route qui en résulte.
Une analyse plus poussée montre que tel n’est pas le cas.

-

Ce phénomène a fait naître un contentieux portant sur la contestation des décisions de rejet de demandes d’autorisation d’implantation au regard des règles de la sécurité routière.

Le juge administratif s’est opposé, à plusieurs reprises, aux communes ayant refusé, sur le fondement du code de la route, une demande d’autorisation d’implantation d’un panneau numérique, malgré sa conformité à la législation sur l’environnement.

Le moyen tiré de la sécurité routière n’a pas une portée absolue pour refuser une demande d’autorisation d’implantation d’un panneau publicitaire numérique.

C’est le sens d’un arrêt pris par la Cour Administrative d’Appel de Nancy le 18 mai 2017 [1] et d’un jugement du Tribunal administratif de Poitiers du 5 décembre 2019 [2].

1- Une installation réglementée par le Code de l’environnement.

Le décret n° 2012-118 du 30 janvier 2012 relatif à la publicité extérieure, aux enseignes et aux préenseignes, issu de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, dite « Grenelle II », a organisé la publicité en agglomérations, en créant un règlement local de publicité et a durci les conditions d’affichages publicitaires en dehors des territoires urbains, dans le but de diminuer la pollution visuelle et de limiter l’impact des dispositifs publicitaires sur le cadre de vie.
L’ensemble est codifié sous les articles L.581-1 à L.581-45 et R.581-1 à R.581-88 du Code de l’Environnement.

Un panneau publicitaire numérique, au sens du Code de l’environnement, est considéré comme de la publicité lumineuse. Elle est celle à la réalisation de laquelle participe une source lumineuse spécialement prévue à cet effet, selon son article R.581-34.

Cette sous-catégorie des publicités lumineuses repose sur l’utilisation d’un écran, pouvant diffuser trois sortes d’images, des images animées, des images fixes ou des vidéos.
Seules les caractéristiques techniques, la taille et l’intensité de l’éclairage sont règlementées par l’article R.581-41 du même Code.
Pour pouvoir installer un panneau publicitaire lumineux, un opérateur doit faire une demande préalable auprès de l’autorité administrative compétente, c’est-à-dire l’Etablissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI) ou la commune, s’il existe un règlement Local de Publicité (RLP), ou le Préfet si tel n’est pas le cas.

C’est lors de cette demande que l’autorité administrative peut arguer qu’une publicité lumineuse serait « de nature à solliciter l’attention des usagers dans des conditions dangereuses pour la sécurité routière », en se référant aux dispositions du Code la route.

2- Le respect du Code de la route.

En parallèle des dispositions protégeant le cadre de vie, les conséquences de la publicité extérieure sur la sécurité de la circulation routière ont également été prises en compte dans le cadre de normes parfaitement distinctes et complémentaires.

Le décret n° 76-148 du 11 février 1976, relatif à la publicité et aux enseignes visibles des voies ouverts à la circulation publique, codifié aux articles R.418-1 à R.418-9 du Code la route, impose certaines prescriptions aux dispositifs publicitaires en vue de garantir la sécurité publique.

Une décision du Conseil d’Etat du 17 février 1978 a reconnu la compétence du pouvoir réglementaire pour édicter ce décret [3]. Et il n’a été jugé comme n’étant pas attentatoire aux libertés eu égard à sa finalité de protection des usagers des voies rapides par ce même Conseil d’Etat le 22 décembre 1978, mais discriminant, pour ce qui est de son article 7, pour les titulaires d’emplacements publicitaires, en ce qu’il permet des dérogations « pour de la publicité placée sur du mobilier urbain » par l’autorité investie du pouvoir de police [4].

Les dispositions du Code la route sur la publicité extérieure peuvent être classées en deux grandes catégories : celles protégeant l’efficacité de la signalisation routière et celles visant à préserver l’attention des usagers de manière générale.

- La protection de l’efficacité de la signalisation routière consiste en l’interdiction, lorsqu’ils sont visibles des voies ouvertes à la circulation publique, des supports publicitaires « comportant une indication de localité, complétée soit par une flèche, soit par une distance kilométrique », ceux « comportant la reproduction d’un signal routier réglementaire ou d’un schéma de pré signalisation » et ceux pouvant être confondus avec un tel signal réglementaire selon l’article R.418-2 du Code de la route.

- Par ailleurs, les publicités dites « sauvages », au sens des articles R. 418-3, sont prohibées, comme celles qui réduisent « la visibilité ou l’efficacité des signaux réglementaire”, dans la mesure où elles éblouissent les usagers des voies publiques, et sollicitent « leur attention dans des conditions dangereuses pour la sécurité routière » selon l’article R. 418-4 du Code de la route.
Cet objectif sécuritaire de préservation générale de l’attention des usagers, est au cœur des décisions de la justice administrative.

C’est un thème potentiellement très large.
Comme le Code la route n’interdit pas l’affichage publicitaire numérique - si tel était le cas, la question serait réglée - il revient aux tribunaux de l’ordre administratif d’apprécier les décisions d’interdiction prise par l’autorité administrative.

Ces décisions font appel à deux législations, celle du code de l’environnement et celles du code de la route, pour apprécier la conformité, ou non, des demandes d’autorisation d’implantation des panneaux numérique, ce qui heurte le principe d’indépendance des législations.

3- La coexistence entre le respect des règles de protection de l’environnement et celles de la sécurité routière.

Par l’effet du Décret du 22 mars 2001, « les dispositions de la partie Réglementaire du code de la route qui citent en les reproduisant des articles d’autres codes ont été de plein droit modifiées par l’effet des modifications ultérieures de ces articles » [5].

Une réglementation indépendante du Code de l’environnement, le Code de la route, est désormais incorporée dans le processus décisionnel administratif.
Ce sont des réglementations prises au nom d’intérêts publics différents, comportant des règles distinctes, ce qui aboutit au fait qu’un dispositif de publicité numérique ne saurait se contenter d’être conforme au Code de l’environnement pour être dispensé de respecter les règles du Code de la route [6].

L’article R.418-5 du Code de la route interdit la publicité, les enseignes publicitaires et les pré-enseignes sur l’emprise des voies routières, interdiction générale qui concerne aussi l’ensemble des éléments nécessaires au soutien de la protection des chaussées et des accessoires indispensables, comme les trottoirs.

Mais, malgré tout, l’interdiction de principe de publicité sur le domaine routier est susceptible de dérogations, comme celle de la publicité sur les mobiliers urbains sur des trottoirs en agglomération dont il n’est pas démontré, eu égard à leur emplacement et leur taille, qu’elle serait de nature à créer un danger pour les usagers des voies publiques faisant naitre une situation d’urgence [7].

4- L’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Nancy du 22 juin 2009.

La jurisprudence a eu une approche restrictive de la question, paraissant assimiler sollicitation dangereuse et limitation, même partielle, de la visibilité de la signalisation routière [8].
Dans cette affaire, le panneau visé par l’arrêté du Maire était situé à un carrefour équipé de feux tricolores dans l’axe de la route principale, dans l’angle d’une propriété privée.
Après avoir rappelé la règle d’interdiction d’affiches publicitaires, d’enseignes ou de préenseignes de l’article R.418-4 du Code de la route, qui pourraient conduire à une réduction de la visibilité, de l’efficacité des signaux réglementaires, à l’éblouissement des usagers des voies publiques ou à solliciter leur attention dans des conditions dangereuses pour la sécurité routière, la juridiction a estimé que le panneau publicitaire ne limitait pas, même en partie, la visibilité de la signalisation routière et a donc annulé la décision d’interdiction édictée par la commune.

5- L’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Nancy du 18 mai 2017.

Dans cette autre affaire, le Maire s’était appuyé sur un avis des services de l’État qui estimait qu’en bordure d’une artère de l’agglomération nancéienne avec une forte circulation, « ce type de dispositif pourrait créer des situations accidentogènes et serait susceptible de solliciter l’attention des usagers dans des conditions dangereuses pour la sécurité routière », pour refuser la demande d’implantation d’un panneau publicitaire numérique.

Il estimait, de plus, qu’un tel dispositif, apparenté à un écran de télévision, permettrait d’attirer plus facilement et plus longuement l’attention des automobilistes, en bordure d’une voie longue et rectiligne, à forte fréquentation et là où la vitesse maximale est réduite de 70 à 50 km/h.

La cour administrative d’appel a estimé que ces considérations générales ont été efficacement contredites par une étude sur la durée moyenne d’observation d’un panneau numérique par un usager de la route (0,379 s) présentant peu de différence avec celle d’une publicité classique (0,335 s) et que les accidents étaient absents des nombreux autres axes avec un trafic routier comparable.
En l’absence d’éléments concrets et circonstanciés apportés par la commune, la Cour Administrative d’appel a considéré que la dangerosité du dispositif numérique envisagé ne constituait pas un motif valable de refus d’autorisation d’implantation, dès lors qu’il n’était pas de nature à susciter un risque pour la sécurité routière.

6- Le jugement du Tribunal administratif de Poitiers du 5 décembre 2019.

Un afficheur avait sollicité une autorisation d’implantation d’un panneau publicitaire numérique en bordure immédiate d’un carrefour giratoire desservant deux zones d’activités.

Le Maire a refusé la demande d’autorisation au seul motif qu’il était de nature à créer un danger pour les usagers des voies concernées.
Toutefois, il n’est pas ressorti des pièces du dossier que le dispositif en cause, présentant des dimensions et des caractéristiques habituelles pour ce type d’installation, devait être implanté à proximité immédiate de feux tricolores de circulation ou de panneaux de circulation routière, accentuant sa dangerosité.
La Commune d’Aytré n’a pas établi que le carrefour giratoire concerné supporterait une circulation particulièrement dense ou qu’il présenterait des caractéristiques particulières justifiant la décision d’interdiction prise.
En l’absence d’arguments factuels circonstanciés sur la dangerosité de cette installation publicitaire numérique, la décision de la Commune d’Aytré a été annulée pour erreur manifeste d’appréciation.

7- La contrainte de l’autorité de la police de la circulation routière.

Il est désormais établi qu’un dispositif publicitaire fait l’objet d’une autorisation au titre du Code de l’environnement mais le Code la route, tout en ne prévoyant pas un régime d’autorisation préalable, peut être un obstacle à son installation.
La démonstration factuelle de la dangerosité potentielle doit être solidement étayée pour que l’interdiction soit validée par le juge.
Cependant, une fois un dispositif installé et dans le cas d’accidents avérés causés par une installation publicitaire, l’autorité de police de la circulation routière, le maire en agglomération, peut démontrer son caractère « effectivement » potentiellement dangereux et ordonner, en cas d’urgence uniquement, sa suppression [9], et de l’assortir d’une contravention de 5ème classe [10].

Il reste même possible, en l’absence d’urgence, mais c’est un fait très rare, de dresser un constat d’infraction et de l’adresser au Procureur de la République qui appréciera l’opportunité d’engager des poursuites. Cela vaut pour un Maire, inquiet de voir sa responsabilité engagée en cas d’accident dont un écran publicitaire qu’il aurait autorisé serait à l’origine. Il pourrait alors faire valoir qu’il a constaté l’infraction mais qu’il appartenait au Parquet de faire respecter la loi et d’ordonner la suppression du dispositif.

Gérard Feix,
Avocat inscrit au Barreau de Paris.
Cabinet MCM AVOCAT

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[1CAA de Nancy 18 mai 2017 n° 16NC00986 Commune de Vandœuvre-lès-Nancy/Sté Oxial

[2TA de Poitiers 5 décembre 2019 n° 1801889 Commune de Aytré/Sté Jouretnuit

[3CE 17 février 1978 Union des syndicats nationaux des cadres et techniciens d’affichage et de publicité extérieure

[4CE 22 décembre 1978 n° 04605 Union des chambres syndicales d’affichage et de publicité extérieure

[5Décret n°2001-251 du 22 mars 2001 relatif à la partie Réglementaire du code de la route

[6CAA Marseille 19 mai 2016 n° 14MA04451 Association de lutte contre l’affichage publicitaire illégal en Provence Alpes Côte d’azur

[7CAA Marseille 19 mai 2016 n° 14MA04451 Association de lutte contre l’affichage publicitaire illégal en Provence Alpes Côte d’azur ; CAA Marseille 12 juillet 2016 n° 15MA00660 Association de lutte contre l’affichage publicitaire illégal en Languedoc Roussillon

[8CAA Nancy 22 juin 2009 n° 07NC01227 Sté SOPA

[9Code la route article R.418-9 II

[10Code la route article R.418-9 I

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