Les défis juridiques et fiscaux de la taxation des cryptomonnaies au Maroc.

Par Yasser Elkouri, Doctorant.

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Depuis l’avènement des cryptomonnaies, ces actifs numériques ont bouleversé les frontières traditionnelles de l’économie mondiale, s’imposant comme des outils incontournables pour les transactions et les investissements.
Mais face à leur essor, de nombreuses questions émergent : comment les fiscaliser dans un cadre juridique encore flou ? Au Maroc, où les cryptomonnaies sont officiellement interdites depuis 2017, le débat sur leur taxation soulève des enjeux complexes, mêlant éthique, cohérence et adaptation législative. Cet article explore les défis et opportunités d’une fiscalité adaptée à ces nouveaux paradigmes financiers, tout en posant les bases d’une réflexion globale sur leur régulation.

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Introduction

Depuis leur apparition, les cryptomonnaies ont bouleversé les paradigmes traditionnels de l’économie et de la finance mondiale. Ces actifs numériques, portés par des technologies comme la blockchain, transcendent les frontières géographiques et économiques, suscitant à la fois fascination et défiance.

Le Maroc, bien que prudent, ne peut plus ignorer leur impact croissant. Pourtant, la taxation des cryptomonnaies soulève des défis inédits : lacunes législatives, traçabilité complexe, risques de double imposition et enjeux éthiques. Dans cet article, nous analysons les problématiques spécifiques du cadre fiscal marocain face à ces actifs numériques, tout en proposant des solutions adaptées et respectueuses des principes fondamentaux de la fiscalité.

Une taxation en quête de cadre juridique.

Le Code Général des Impôts (CGI) marocain prévoit l’imposition des revenus et des plus-values mobilières, mais il reste silencieux quant aux cryptomonnaies. Ces dernières, ni devises classiques, ni actifs financiers traditionnels, brouillent les lignes juridiques existantes.
Par exemple, l’article 61 du CGI pourrait inclure les gains provenant des cryptomonnaies dans la catégorie des revenus imposables, sous réserve qu’ils soient déclarés comme des plus-values mobilières. Cependant, l’absence de définition précise des cryptomonnaies dans la législation fiscale pose problème. Ces actifs sont-ils des biens immatériels ? Des instruments financiers ? La réponse à cette question conditionne leur traitement fiscal.

Un autre défi majeur réside dans la traçabilité des transactions.
Contrairement aux comptes bancaires traditionnels, les cryptomonnaies fonctionnent sur des réseaux décentralisés qui offrent différents niveaux de transparence :

  • Plateformes centralisées (CEX) : ces plateformes, comme Binance ou Coinbase, sont des intermédiaires régulés capables de fournir des données sur les transactions de leurs utilisateurs.
  • Plateformes décentralisées (DEX) : ces marchés, fonctionnant sur des protocoles blockchain, permettent des échanges anonymes et sans intermédiaires, rendant difficile le suivi des transactions.
  • Portefeuilles privés (wallets) : ces outils, souvent non-custodial, permettent aux utilisateurs de conserver et de transférer leurs cryptomonnaies en toute autonomie, échappant ainsi aux obligations déclaratives classiques.

Cette diversité complique l’application d’un système fiscal uniforme et appelle à une réglementation différenciée, adaptée à chaque type de plateforme ou outil.

La résidence fiscale et la double imposition : des défis transfrontaliers.

La taxation des cryptomonnaies transcende les frontières, soulevant deux grandes problématiques :

  • La résidence fiscale : les cryptomonnaies étant immatérielles, il est souvent difficile de déterminer où elles doivent être imposées. Un résident marocain opérant sur une plateforme étrangère peut, par exemple, être soumis à des obligations fiscales conflictuelles.
  • La double imposition : en l’absence d’accords bilatéraux, les gains réalisés à l’étranger peuvent être imposés deux fois. Cela pourrait dissuader les investisseurs marocains et compromettre l’équité fiscale.

Le Maroc devra s’inspirer des conventions fiscales internationales, comme celles négociées avec la France, pour éviter de pénaliser ses citoyens tout en garantissant une taxation équitable.

Éthique et cohérence : la régulation en question.

Depuis 2017, le Maroc interdit l’utilisation des cryptomonnaies, invoquant des risques liés à la fraude, au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. Cette interdiction, bien qu’intentionnée, a poussé de nombreux Marocains à se tourner vers des solutions alternatives, notamment les transactions peer-to-peer (P2P), souvent non régulées et risquées.

Cette posture soulève aujourd’hui une question éthique fondamentale : comment le gouvernement peut-il justifier une taxation d’actifs qu’il a qualifiés d’illégaux ? Cette démarche pourrait être perçue comme incohérente, voire opportuniste, par une population déjà méfiante vis-à-vis des institutions fiscales.

De plus, l’absence de régulation proactive expose les citoyens à des arnaques et à des pertes financières. En ne fournissant pas un cadre légal permettant des transactions sûres, le Maroc a indirectement encouragé des pratiques non sécurisées sur des plateformes non régulées. Cette situation amplifie le sentiment d’injustice lorsque l’État cherche à imposer ces mêmes activités.

Une régulation cohérente nécessite de reconnaître les erreurs du passé tout en adoptant une approche équilibrée. Cela inclut la légalisation des cryptomonnaies dans un cadre strictement défini, avec des mécanismes de protection pour les investisseurs et une clarification des obligations fiscales.

Une fiscalité adaptée aux spécificités des cryptomonnaies.

Pour surmonter ces défis, le Maroc devra repenser sa fiscalité :

  • Reconnaissance des spécificités des outils : plutôt que d’imposer des obligations déclaratives uniformes, il serait pertinent de reconnaître la diversité des plateformes et des portefeuilles (CEX, DEX et wallets privés) et d’élaborer des cadres adaptés à chacun, tout en respectant leur nature intrinsèque. Une approche équilibrée devrait chercher à minimiser les contraintes inutiles sur les transactions réalisées via des outils décentralisés et à privilégier l’incitation à une transparence volontaire, sans coercition.
  • Adoption d’une fiscalité indirecte : plutôt que de chercher à imposer directement les gains des utilisateurs de DEX ou de wallets privés, l’État pourrait explorer des solutions alternatives, comme une fiscalité sur les points d’entrée et de sortie des fonds (par exemple, lors des conversions entre cryptomonnaies et devises traditionnelles sur des plateformes régulées).
  • Harmonisation internationale sans sur-réglementation : le Maroc devrait s’efforcer de s’inscrire dans les cadres internationaux en respectant les principes de proportionnalité et d’équité. Les accords bilatéraux devraient viser à éviter la double imposition sans alourdir inutilement les obligations des utilisateurs marocains.
  • Encouragement d’une régulation participative et progressive : plutôt que d’imposer des sanctions dissuasives, l’accent devrait être mis sur la sensibilisation et l’éducation. L’État pourrait collaborer avec les acteurs du secteur pour co-construire une fiscalité respectueuse des spécificités des cryptomonnaies, en évitant toute approche punitive.

Conclusion

La taxation des cryptomonnaies au Maroc est un défi aussi complexe que nécessaire. Elle exige une réforme fiscale audacieuse, fondée sur une compréhension approfondie des spécificités des actifs numériques. En adoptant une approche pragmatique et en s’inspirant des meilleures pratiques internationales, le Maroc pourrait transformer cette contrainte en opportunité, renforçant ainsi sa position dans l’économie numérique mondiale.

Yasser Elkouri, doctorant à la Faculté des Sciences Juridiques Économiques et Sociales de Tanger, Université Abdelmalek Essaâdi

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