Dispositif « Monuments Historiques » : de l’importance fiscale de la notion d’ensemble architectural.

Par Florian Laussucq, Docteur en Droit.

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Explorer : # déduction fiscale # monuments historiques # ensemble architectural # critère fiscal

Par un arrêt en date du 1er décembre 2022, la Cour Administrative d’Appel de Versailles, statuant sur renvoi du Conseil d’Etat, a jugé que des dépenses de travaux, dans le cadre du dispositif des monuments historiques, et portant sur une partie non éligible d’un manoir, ne sont pas déductibles. A cette occasion, les juges se sont prononcés sur la notion d’éligibilité, à partir d’un double critère architectural et fiscal.

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Statuant sur renvoi du Conseil d’Etat, la CAA de Versailles [1] a rejeté la déductibilité de dépenses de travaux portant sur une partie d’un immeuble éligible au dispositif Monuments historiques.

Rappelons que non seulement le déficit foncier lié à des travaux est imputable sur les autres revenus catégoriels, mais que, de plus, le dispositif monuments historiques permet un déplafonnement de ce même déficit, et donc une imputation bien plus intéressante encore.

En l’espèce, un couple possédait un manoir et a effectué, à compter de l’année 2010, des travaux d’aménagement de leur appartement privatif, avec création de chambres et de salles de bain.

Ils souhaitaient, au titre de l’article 156, I-3° du CGI, pouvoir déduire ces travaux de leurs revenus fonciers. Ils avaient donc déduit les travaux pour 75% de leurs revenus fonciers, et 25% sur leur revenu global.

L’administration fiscale ayant remis en cause cette déduction, les contribuables ont saisi la justice. Après un premier jugement du 4 octobre 2017 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant leur demande, puis un arrêt confirmatif en appel du 23 avril 2019, le Conseil d’état s’est prononcé par une décision du 31 décembre 2020. Les magistrats du Palais Royal ont alors annulé l’arrêt de la cour d’appel, en tant qu’il s’est prononcé sur la déduction des dépenses correspondant aux travaux d’aménagement et ont renvoyé, dans cette mesure, l’affaire à la cour. C’est donc sur renvoi du Conseil d’état que la Cour administrative d’appel de Versailles s’est prononcé, dans un arrêt du 1er décembre 2022.

Il faut préciser que le Conseil d’État dans son contrôle de légalité a estimé que la cour d’appel devait regarder si le classement de la façade visait à protéger l’ensemble architectural constitué par le manoir. Les juges du palais royal se sont ainsi concentrés uniquement sur l’application de la réponse ministérielle, concluant que celle-ci elle permet la déduction des dépenses, à moins qu’il ne s’agisse d’un élément isolé, car les dispositions de la réponse ministérielle visent l’ensemble architectural. Cette solution semble donc poser une déductibilité de principe, ne pouvant être renversée qu’à condition de démontrer que la protection ne s’applique qu’à un élément susceptible d’être isolé et dissocié de l’ensemble.

Les juges d’appel ont donc été amené à statuer à nouveau, en tant que juge du fond.

La cour a conclu à la non-déductibilité des dépenses de travaux en l’espèce, en se fondant sur un double critère matériel et fiscal.

Ces critères sont-ils pertinents pour juger de la déductibilité dans le cadre d’un bâtiment partiellement éligible au dispositif monuments historiques ?

Pour répondre à cette interrogation, l’apport de l’arrêt est double. D’une part, la cour d’appel précise la notion d’ensemble architectural, et d’autre part, elle rappelle la prépondérance du critère fiscal, à savoir qu’une charge ne peut être déductible que lorsqu’elle est rattachée à un immeuble rapportant lui-même des revenus imposables dans la catégorie des revenus fonciers.

I. Une solution fondée sur l’appréciation matérielle au travers de la notion d’ensemble architectural.

Si les juges ne sont bien évidemment pas des architectes, ce type de contentieux est particulièrement intéressant, dès lors qu’il les contraint à une appréciation matérielle, la loi posant un critère de classement du bâtiment à l’inventaire du patrimoine. En effet, il faut rappeler que l’esprit de la loi est de permettre la valorisation du patrimoine historique via une déductibilité exceptionnelle des dépenses de travaux [2].

Une décision amenée à se prononcer sur la notion d’ensemble architectural. Face à cette complexité technique dépassant le cadre du droit, la loi prévoyait initialement un renvoi à une liste, fixée par un classement ou une inscription à l’inventaire supplémentaire. Or, une réponse ministérielle de 1997, dite « Klifa », était venu étendre ce champ, en posant la notion d’ensemble architectural.

L’administration fiscale a eu l’occasion d’indiquer que les règles

« s’appliquent dans les mêmes conditions lorsque le classement ou l’inscription à l’inventaire supplémentaire ne concerne pas la totalité de l’immeuble, à condition toutefois que ce classement ou cette inscription ne soit pas limité à des éléments isolés ou dissociables de l’ensemble immobilier, tels un escalier, des plafonds ou certaines salles, mais vise la protection de l’ensemble architectural. A défaut, seuls les travaux qui sont exposés sur les éléments classés ou inscrits à l’inventaire supplémentaire ou qui sont destinés à en assurer la conservation peuvent participer, pour leur montant total à la constitution d’un déficit imputable sur le revenu global sans limitation » [3].

Cette réponse a d’ailleurs été reprise dans le Bofip, qui dispose que « La protection, au sens de la loi précitée, n’est pas pour autant restreinte aux seules fractions inscrites ou classées mais s’étend en fait à l’ensemble du monument » [4].

Cette réponse ministérielle est une extension du champ de la loi (ce que souligne le conseil d’état), se fondant sur le concept d’ensemble architectural. Cette notion n’est cependant pas définie, ni par la loi, ni par la jurisprudence, mais résulte d’un acte administratif, à savoir l’acte d’inscription au patrimoine.

Cet acte était décisif pour le conseil d’état, puisque c’est, en ne cherchant pas « l’esprit » de l’acte de classement que la première cour d’appel avait méconnu la portée de la réponse ministérielle.

La décision de la CAA.

Prenant acte de la notion d’ensemble architectural, la cour d’appel vient préciser l’arrêt du Conseil d’État, puisqu’elle exige non seulement que les travaux portent sur un même ensemble architectural, mais qu’il existe également un lien matériel. Or en l’espèce, la cour d’appel estime que le couple ne démontre pas que les travaux, qui ont été réalisés sur la partie non inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, permettaient la préservation des parties qui étaient, elles, inscrites.

Autrement dit, les contribuables doivent s’assurer de pouvoir démontrer, techniquement et matériellement, que les travaux portant sur une partie non éligible aient une incidence sur les parties éligibles.

Ce critère matériel, dont la difficulté d’évaluation est contournée par la jurisprudence en faisant peser la preuve sur les contribuables, et complété en l’espèce d’un critère fiscal, fondé sur le principe de corrélation entre les produits et les charges.

II. L’affirmation du caractère prépondérant du critère fiscal.

Par critère fiscal, on entend un critère reposant sur une analyse purement fiscale, à savoir que les travaux ne sont déductibles que dès lors qu’ils portent sur un immeuble qui engendre lui-même des revenus imposables dans la catégorie des revenus fonciers.

Il importe de préciser qu’au regard de la décision, ce critère fiscal nous être prépondérant, et non juste complémentaire du critère matériel précédemment évoquée. En effet, après avoir examiné ce critère en lui-même, les juges vous lui faire jouer un rôle déterminant, en estimant qu’il permet d’écarter l’invocabilité de la réponse ministérielle.

L’appréciation du critère fiscal en l’espèce.

La cour d’appel va faire application de ce critère fiscal en estimant ici que les locaux sur lesquels portaient les travaux n’étaient pas susceptibles de générer des revenus imposables dans la catégorie des revenus fonciers, dès lors que les contribuables s’en réservaient la jouissance.

Cette solution paraît tout à fait logique sur un plan fiscal, et par ailleurs totalement conforme à l’article 15 II du Code général des impôts, qui dispose que sont exonérés de revenus fonciers calculés sur la base de la valeur locative les immeubles qui réunissent un double critère. Il faut en effet que l’immeuble, d’une part soit affecté à la jouissance du propriétaire et d’autre part, qu’il soit à usage d’habitation [5].

Cette disposition date de 1965 [6]. Comme le rappelle Maurice Cozian, l’objectif était de limiter les déficits à répétition créé par les travaux sur les résidences principales ; il en concluait d’ailleurs que « cette exonération, loin d’être un cadeau, a ainsi des allures de punition » [7].

C’est dans ce sens que nous paraît devoir être compris l’arrêt de la cour administrative d’appel, celle-ci appliquant l’esprit de la loi, en se fondant sur le critère de jouissance afin d’exclure les travaux réalisés sur certaines parties du manoir. Et cette solution est justifiée du fait de sa nature purement fiscale : une partie dont on se réserve la jouissance n’étant pas louée, elle ne peut donc créer de loyers imposables dans la catégorie des revenus fonciers, et, en application du principe de corrélation entre les produits et les charges, ne peut donc produire de charges déductibles

La portée du critère en l’espèce, le rejet de l’invocation de la réponse ministérielle.

Le critère de la jouissance des parties comme condition d’éligibilité de celles-ci au dispositif de déduction des monuments historiques ayant été posée, les juges vont désormais pouvoir lui faire produire ses pleines conséquences. Ainsi, estimant que

« les requérants, qui (se) réservent la jouissance totale, ne retirent aucun revenu imposable, ils ne peuvent utilement invoquer cette réponse ministérielle, qui concerne expressément les immeubles classés ou inscrits procurant des revenus imposables dans la catégorie des revenus fonciers ».

On voit donc que, de manière logique, les juges estiment que la jouissance va retirer l’habitation du champ des revenus fonciers puisqu’elle ne produit pas de loyer. Mais la cour va même plus loin, en estimant que cet état de fait doit amener à conclure à l’impossibilité pour les contribuables d’invoquer une réponse ministérielle qui a justement pour objectif de réguler le champ d’application des dépenses éligibles au dispositif monuments historiques.

En conclusion, cette solution doit retenir l’attention tant sur le plan théorique, dans son appréciation de l’articulation entre un principe fiscal et un classement par le biais d’un acte administratif unilatéral, mais également sur le plan pratique, pour les contribuables qui souhaiteraient pouvoir jouir d’une partie d’un bâtiment partiellement éligible au dispositif des monuments historiques.

Florian Laussucq,
Docteur en Droit privé.
Chargé d’enseignement et de recherche à l’Ecole Supérieure des Professions Immobilières (ESPI),
Chargé d’enseignement à l’Université de Bordeaux.

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Notes de l'article:

[1Cour administrative d’appel de Versailles, 3ème chambre, 01 décembre 2022, 21VE00022.

[3RM Klifa, n° 44314, JO AN du 17 mars 1997, p. 1348.

[4BOI-RFPI-SPEC-30-10.

[5Article 15 II. Du Code Général des Impôts : « Les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu ».

[6Loi n° 64-1279 du 23 décembre 1964 de finances pour 1965

[7M. Cozian, F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, LexisNexis, 46e édition, Paris, 2022-2023, p. 221.

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