La délicate application de l’encadrement des loyers dans le cadre de logements "Pinel".

Par Florian Laussucq, Docteur en Droit.

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Explorer : # encadrement des loyers # dispositif pinel # conflit législatif # logement locatif

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La loi Pinel, qui vise à encourager la mise sur le marché de logements accessibles, prévoit des plafonds de loyers stricts. Cependant, l'encadrement des loyers, qui limite les loyers excessifs dans certaines villes, peut poser problème lorsqu'il entre en conflit avec la loi Pinel.
Description rédigée par l'IA du Village

Dispositif d’incitation fiscale visant à la production de logements à des loyers modérés au sein de zones tendues, la loi Pinel comprend logiquement des modalités de calcul permettant d’encadrer la détermination du loyer par le propriétaire. Ces modalités de calcul ne sont pas sans poser certaines difficultés, notamment au regard de leur compatibilité avec les législations Alur et Elan, qui visent spécifiquement à l’encadrement des loyers.

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L’article 199 novovicies du CGI, plus connu sous le nom de « dispositif Pinel », était envisagé, en tant que réduction d’impôt, comme un mécanisme incitatif. L’objectif est donc de permettre la mise sur le marché de logements accessibles [1] ; ce dernier critère se traduit par un encadrement strict tant des ressources des futurs locataires que du loyer en lui-même.

A ce titre, l’article 199 novovicies du Code général des impôts est précisé par l’article 2 terdecies D de l’annexe III du même code. Il y est disposé que les plafonds de loyers sont à appliquer, compte tenu de l’application d’un coefficient multiplicateur, « calculé selon la formule suivante : 0,7 + 19/ S, dans laquelle S est la surface du logement. Le coefficient ainsi obtenu est arrondi à la deuxième décimale la plus proche et ne peut excéder 1,2 ».

On passera rapidement sur l’approximation sémantique, le coefficient n’étant pas nécessairement multiplicateur. Pour rappel, le terme signifie un « Rapport entre deux phénomènes économiques d’accroissement, tel que le taux d’accroissement du second est toujours un multiple du premier » [2].

Or, pour un appartement de 66 m2 situé en zone A, avec un loyer corollairement limité à 13,56€ du m2, le calcul du coefficient donner 0,7 + 19/66 = 0.9878.

Il n’y a donc guère ici d’accroissement possible puisque multiplier par un nombre inférieur à 1 va diminuer le résultat.

Une difficulté résidant dans l’articulation du dispositif avec l’encadrement des loyers.

L’encadrement des loyers est une mesure expérimentale visant à empêcher les loyers excessifs dans les villes les plus tendues.

Dans ce cadre, l’Etat délègue aux villes la possibilité d’imposer que les loyers demandés se situent entre un prix minimum et un prix maximum fixé par arrêté préfectoral, sur la base d’un loyer médian de référence.

Cette délégation résulte de la loi Alur du 27 mars 2014, dont le champ d’application vise les loyers dans les agglomérations dont le marché locatif est tendu.

La loi prévoyait une double condition d’application, avec d’une part la présence d’un observatoire des loyers local capable de fournir des données suffisamment représentatives, et d’autre part la publication d’un arrêté préfectoral reprenant les loyers de référence fournis par l’observatoire.

En vigueur pendant un temps à Paris et à Lille, le dispositif avait connu un sévère retour de bâtons par les juges du fond [3], et la décision du Conseil d’état a partiellement confirmé cette tendance, en jugeant que le dispositif devait être limité à la seule ville de Paris, en raison des « spécificités du marché́ locatif à Paris » [4].

C’est dans ce contexte qu’a émergé la loi dite Elan [5]. Celle-ci donne la possibilité aux agglomérations volontaires, à la commune de Paris, et aux métropoles de Lyon et d’Aix-Marseille de rétablir l’encadrement des loyers à titre expérimental sur une période de 5 ans, période qui a ensuite été étendue à 8 ans avec la loi 3DS [6].

Le principe est simple, pour les baux signés de logement à titre d’habitation principale conclus à partir d’une date précisée par arrêté préfectoral, le loyer doit se situer dans une certaine fourchette. De plus, entre « deux locataires successifs, le propriétaire ne peut augmenter le loyer au-delà de l’actualisation par l’indice de référence des loyers (IRL) qui sert de base pour réviser le loyer d’un logement » [7].

La question qui se pose désormais est celle de l’articulation potentiellement problématique entre les loyers résultant de la loi Elan et ceux résultant de la loi Pinel.
Précisons tout de suite que les conflits éventuels sont en théorie relativement limités, les plafonds prévus par la loi Pinel étant en général inférieurs à ceux potentiellement atteint dans les communes visées par la loi Elan.

Néanmoins, et en application du coefficient multiplicateur précité, un appartement de faible superficie risquant de voir son coefficient se rapprocher du maximum, à savoir 1,2, et ainsi de se dépasser le plafond maximum de la loi Elan.

Prenons l’exemple d’un appartement de 40 m². En application du coefficient de la loi Pinel (1.175 x 13.56 x 40) on obtient un loyer maximum possible de 637€.

Or, en supposant que cet appartement se situe en zone 3 à Bordeaux, par exemple dans le quartier de Ginko, le loyer Pinel se situe au-dessus du loyer maximal prévu par l’arrêté préfectoral.

On obtient sur la base du dispositif Pinel un loyer de 15.93€/m², alors que le montant du loyer maximum à ne pas dépasser est de 14.90€/m², soit 596.00€ mensuel hors charges pour 40m². (Résultat obtenu à partir du simulateur mis place par la Métropole de Bordeaux, disponible à l’adresse suivante et consulté pour la dernière fois le 6 décembre 2023 [8]).

Que faire dès lors ? En effet, si trois dérogations sont prévues par la loi, aucune ne concerne une telle situation (travaux d’amélioration ou visant à rendre un logement décent équivalent à la moitié de la dernière année de loyer, loyer précédent manifestement sous-évalué, ou si le logement a fait l’objet depuis moins de six mois de travaux d’amélioration d’un montant au moins égal à la dernière année de loyer).

Pour rappel, le loyer Pinel résulte directement de dispositions légales, là où le plafond d’encadrement est contenu dans un acte de nature règlementaire, un arrêté préfectoral.

Quelques éléments de réflexions sur l’articulation entre lex specialis et lex generalis d’encadrement des loyers.

Premier élément de réflexion, on constate que la difficulté résulte principalement de la décorrélation entre l’analyse de la ville dans le cadre de la loi Elan, qui comprend à l’intérieur du périmètre d’une même ville, des zones différentes, alors que le Pinel, or situation du Pinel breton, englobe les villes sans tenir compte des disparités de quartier.

Second élément, un organe de médiation propre, la commission départementale de conciliation (CDC) est compétente pour les questions d’encadrement des loyers. Les CDC ont certes été créés par un décret de 2001 [9], mais la loi Alur du 24 mars 2014 élargit leurs compétences aux litiges relatifs aux congés, à ceux résultant du dispositif d’encadrement de l’évolution des loyers et, de façon plus large, aux litiges relatifs aux logements meublés [10].

Sans doute faudra-t-il s’interroger sur l’articulation de ces décisions avec celles de l’administration fiscale, qui pourrait être saisie par la voie du rescrit administratif, bien qu’il ne faille pas exagérer la portée réelle de cette hypothèse.

En conclusion, bien que les situations potentiellement conflictuelles risquent de demeurer limiter, elles mettent en évidence, d’une part le rôle souvent méconnu du coefficient multiplicateur, et d’autre part, la nécessité de penser les dispositifs fiscaux d’incitation immobilière en matière de zones précisément délimitées, idéalement à l’échelle des quartiers.

Florian Laussucq,
Docteur en Droit privé
Chargé d’enseignement et de recherche à l’Ecole Supérieure des Professions Immobilières (ESPI),
Chargé d’enseignement à l’Université de Bordeaux.

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Notes de l'article:

[1Projet de loi de finances pour 2013 : exposé des motifs : « En vue d’atteindre les objectifs fixés par le Président de la République visant à construire 500 000 logements nouveaux par an, dont 150 000 logements sociaux, il est proposé de mettre en place un nouveau dispositif en faveur de l’investissement locatif intermédiaire, en remplacement du dispositif Scellier qui s’éteint le 1er janvier 2013 ».

[2Bouv.-Ibarr. 1975.

[3Concernant Paris : TA Paris, 28 nov. 2017, n° 1511828, 1513696, 1514241, 1612832, 1711728 ; concernant la ville de Lille : TA Lille, 17 oct. 2017, n° 1610304). Ces décisions avaient été confirmées en appel : CAA de Paris, 3e ch., 26 juin 2018, 17PA03805, 17PA03808, 18PA00339, 18PA00340.

[4CE, 5e et 6e ch. réun., 5 juin 2019, n° 423696.

[5Loi. n° 2018-1021, 23 nov. 2018 : JORF n° 0272, 24 nov. 2018.

[6Loi n° 2022-217, 21 fév. 2022 : JORF n°0044, 22 février 2022.

[7LPA 28 août. 2019, n° 146, p.4.

[9Décret n° 2001-653 du 19 juillet 2001 pris pour l’application de l’article 20 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 modifiée et relatif aux commissions départementales de conciliation, JORF n°167 du 21 juillet 2001.

[10Loi n° 89-462 du 6 juil. 1989 : art. 20 et 25-11.

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 17 décembre 2023 à 10:54
    par Cédric , Le 8 décembre 2023 à 21:33

    Bonjour,
    Votre analyse me semble erronée dans la mesure où chacune de ces législation n’instaure pas un montant de loyer à appliquer mais un plafond de loyer à respecter.
    Ainsi il suffit de respecter le plafond le plus bas pour satisfaire aux deux à la fois.
    Bien à vous

    • par laussucq , Le 13 décembre 2023 à 09:49

      Bonjour Monsieur,

      Le loyer est une prévision effectuée à partir du plafond proposé. Dès lors, l’investisseur, pour qui le loyer est une source de revenus, va calculer en fonction du plafond de loyer. Les deux sont donc intimement liés.
      De plus concernant votre seconde remarque :
      La loi, en l’occurrence le code général des impôts, vous attribue un droit avec un plafond de loyer. Dès lors, un acte réglementaire (à savoir un arrêté municipal issu de la loi ELAN) qui vous contraint à renoncer à ce plafond, au profit d’un plafond plus faible, porte bien atteinte à votre droit.
      De plus, si le sens de votre remarque soit de conseiller à un investisseur de "perdre" sur le loyer, au motif qu’il pourra tout de même bénéficier de la réduction d’impot, cela me parait très fragile. D’une part, cela parait très négatif sur le plan macro économique (des propriétaires motivés uniquement par la réduction d’impot ), et d’autre part, si des travaux imprévus se font jours, il n’est pas certain qu’il apprécie d’avoir été volontairement privé d’une somme lui revenant de droit, uniquement par souci de se faciliter la vie.

      Je ne comprends dès lors pas en quoi l’analyse est erronée, mais j’ai peut-être mal saisi le sens de votre remarque.

    • par Cédric , Le 17 décembre 2023 à 10:54

      Bonjour,
      Au temps pour moi je n’ai en effet peut-être pas été très clair.
      Il me semble avant tout nécessaire de nous arrêter un instant sur la notion de « plafond » de loyer. Il n’est ici aucunement question de fixer le montant du loyer, mais uniquement de le plafonner. Ainsi tant le dispositif Pinel que la loi Élan n’ont pour objectif que de limiter les excès, et non d’imposer aux bailleurs et locataires le montant du loyer effectivement pratiqué : ce ne sont, vous en conviendrez, pas des dispositifs de fixation du montant du loyer à proprement parler qui, à ma connaissance, n’existent pas en droit positif.
      Ainsi faut-il il me semble, en raisonnant « dans l’ordre », d’abord considérer le plafond Élan qui s’applique localement qu’importe que la location soit réalisée dans le cadre d’un dispositif fiscal ou non, puis le plafond Pinel qui ne trouve donc à s’appliquer qu’aux seuls investisseurs concernés. C’est alors que l’analyse diffère fondamentalement puisque les cas que vous soulignez sont en fait ceux pour lesquels le plafonnement Pinel ne constitue aucune contrainte supplémentaire, ce qui va d’ailleurs à l’encontre de l’objectif législatif de production de logements intermédiaires que porte ce dispositif puisqu’il aboutirait dès lors à un avantage fiscal sans réelle contrepartie sur le loyer, et confirme d’ailleurs la nécessité de revoir la logique de zonage en vigueur.
      Au demeurant il serait pour le moins surprenant que le plafonnement Élan s’applique aux bailleurs « de droit commun » mais pas à ceux qui bénéficieraient par ailleurs de l’avantage Pinel, ce qui constituerait alors selon le point de vue un double avantage ou un double inconvénient absolument pas recherché par le législateur.

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