Les mécanismes juridiques de la loi Sapin 2.
La loi Sapin 2 a introduit des mesures de régulation majeures pour prévenir les crises financières et protéger les épargnants. L’article L631-2-1-2 du Code monétaire et financier confère au Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) le pouvoir de suspendre, retarder ou limiter temporairement les rachats sur les contrats d’assurance-vie en cas de menace grave et caractérisée pour la stabilité du système financier. Ce pouvoir peut être exercé de façon temporaire pour une durée maximale de six mois, renouvelable une fois.
Dispositif de l’article L631-2-1-2 du Code Monétaire et Financier.
« En cas de menace grave et caractérisée pour la stabilité du système financier, le Haut Conseil de Stabilité Financière peut, par une décision motivée, suspendre, retarder ou limiter temporairement le paiement des valeurs de rachat, des avances sur contrat, ainsi que le versement des capitaux en cas de décès sur les contrats d’assurance-vie pour une durée maximale de trois mois, renouvelable une fois ».
Impact juridique sur les contrats d’assurance-vie investis en fonds euros.
Les contrats d’assurance-vie investis en fonds euros, offrant une garantie en capital, sont particulièrement vulnérables à cette disposition. En période de stress financier, les assureurs peuvent être confrontés à une hausse massive des demandes de rachat, compromettant la liquidité des fonds euros. La loi Sapin 2 permet au HCSF de limiter ces rachats afin d’éviter un effet domino sur l’ensemble du système financier.
Risque réel, le cas italien : Eurovita.
Pour illustrer la fragilité des fonds euros, l’exemple d’Eurovita, une compagnie d’assurance italienne, est emblématique. En 2023, Eurovita a subi une crise de liquidité causée par la fin d’environnement de taux d’intérêt bas et une forte exposition aux obligations d’État. La forte remontée des taux d’intérêts a provoqué une incapacité de la compagnie à satisfaire les demandes de rachat et a conduit à une intervention réglementaire de l’IVASS (Istituto per la vigilanza sulle assicurazioni) pour protéger les épargnants.
La situation d’Eurovita a mis en lumière plusieurs points critiques sur la gestion les fonds euros :
- Vulnérabilité aux taux d’intérêt bas : les fonds euros, principalement investis en obligations, sont soumis à une pression significative lorsque les taux d’intérêt restent bas sur une longue période, diminuant les rendements et la capacité de répondre à d’éventuelles demandes de rachat.
- Exposition aux obligations d’État : une dépendance excessive aux obligations d’État peut accentuer les risques en cas de dégradation de la note souveraine ou de crises économiques spécifiques à un pays. C’est particulièrement le cas en France en 2024 comme cela a été aussi le cas lors de la crise de la dette souveraine européenne de 2010-2012.
- Gestion du risque de liquidité : Cette crise a démontré l’importance cruciale de la gestion du risque de liquidité par les assureurs et les limitations inhérentes à une réglementation inadéquate.
En France, la loi Sapin 2 permet de mitiger ces risques en offrant une marge de manœuvre réglementaire pour suspendre les rachats et éviter une crise systémique similaire à celle d’Eurovita.
L’impact sur les Unités de Compte.
Les Unités de Compte (UC) sont également concernées par les dispositions de la loi Sapin 2. Bien que les unités de compte ne bénéficient pas de la même garantie en capital que les fonds euros, les assureurs doivent toujours gérer les demandes de rachat en période de crise.
La loi Sapin 2 peut impacter les Unités de compte de deux manières :
- Suspension des rachats : en période de stress financier, le HCSF peut également imposer des restrictions sur les rachats des unités de compte. Cela signifie que les épargnants pourraient être temporairement empêchés de liquider leurs positions en unités de compte, même si ces dernières ne sont pas directement garanties. C’est donc l’ensemble de la police d’assurance qui serait susceptible d’être bloqué et non pas uniquement le fonds euros.
- Impact psychologique : la simple possibilité de déclenchement de restrictions peut influencer le comportement des épargnants, les poussant à diversifier davantage leurs investissements pour réduire les risques associés à une éventuelle suspension des rachats.
L’assurance-vie luxembourgeoise comme une solution juridiquement et réglementairement plus robuste.
Face à ces préoccupations, l’assurance-vie luxembourgeoise se présente comme une alternative intéressante.
Le cadre juridique et réglementaire du Grand-Duché de Luxembourg offre des avantages spécifiques en matière de protection des investisseurs :
- Super privilège des assurés : selon l’article 22 de la loi du 6 décembre 1991 sur le secteur des assurances, les actifs représentant les provisions techniques relatives aux contrats d’assurance-vie sont isolés des autres actifs de l’assureur. Ce dispositif garantit que, en cas de défaillance de la compagnie d’assurance, les créances des assurés et des bénéficiaires des contrats d’assurance-vie sont prioritaires sur toutes les autres créances. Ce super privilège leur assure une protection juridique renforcée, leur permettant de récupérer leur capital avant tout autre créancier de l’assureur.
- Triangle de sécurité : le triangle de sécurité est un pilier de la protection des épargnants dans le cadre des contrats d’assurance-vie luxembourgeois. En vertu de l’article 35 de la loi du 6 décembre 1991, ce mécanisme impose une ségrégation stricte entre trois types d’actifs : les actifs des clients, les actifs propres de l’assureur et les actifs de la banque dépositaire. Ce modèle assure que les actifs des souscripteurs sont séparés des actifs de l’assureur et conservés dans une banque dépositaire agréée. En cas de difficultés financières de l’assureur, les actifs des clients restent intacts et accessibles, ce qui réduit considérablement le risque pour les épargnants. La banque dépositaire joue un rôle crucial en surveillant et en garantissant que les actifs des clients ne sont pas utilisés à des fins autres que celles spécifiquement prévues par les contrats d’assurance-vie.
- Régulation prudentielle : les exigences de solvabilité plus strictes imposées par la régulation luxembourgeoise assurent une gestion prudente des actifs des assureurs, réduisant le risque de crise de liquidité similaire à celle rencontrée par Eurovita.
Qualité du bilan et solvabilité des compagnies d’assurance luxembourgeoises.
Contrairement à de nombreux assureurs européens, peu de compagnies d’assurance luxembourgeoises proposent des fonds euros. L’absence de ces actifs dans leurs bilans rend les assureurs luxembourgeois beaucoup plus résilients en cas de stress financier. En moyenne en 2023, les compagnies d’assurance luxembourgeoises avaient un ratio de solvabilité de 220%, à comparer aux 180% de compagnies d’assurance françaises et aux 185% des compagnies d’assurance allemande.
Vigilance sur les fonds euros de certains contrats d’assurance-vie luxembourgeois.
Bien que la loi Sapin 2 ne s’applique pas aux compagnies d’assurance luxembourgeoises, la présence de fonds euros dans les contrats proposés par des filiales de compagnie d’assurance française mérite une vigilance particulière.
Dans le cas où le fonds euros est exclusivement constitué dans le bilan de la filiale luxembourgeoise, la loi Sapin 2 n’a aucun impact. Il n’y a pas de sujet.
Mais dans la pratique, la majorité des fonds euros présents dans les contrats de filiales luxembourgeoises d’assureurs français sont en réalité dans le bilan de la maison mère en France, un contrat de réassurance permettant à la filiale luxembourgeoise de s’exposer à cet actif. Le déclenchement en France des blocages prévus par l’article L631-2-1-2 du Code Monétaire et Financier pourrait impacter la capacité d’une compagnie luxembourgeoise à faire face aux demandes de rachat sur son fonds euros.
Si on peut se réjouir que la loi Sapin 2 ait instauré des mécanismes essentiels pour la protection des épargnants en autorisant le Haut Conseil de Stabilité Financière à suspendre temporairement les rachats sur les contrats d’assurance-vie, ces mesures peuvent néanmoins restreindre les droits des assurés, notamment ceux investis en fonds euros ou en unités de compte.
L’alternative luxembourgeoise semble proposer plus de sécurité à la condition de rester vigilant quant à l’éventuelle présence d’un fonds euros et de sa typologie.