Le harcèlement moral des agents de la fonction publique.

Par Laurent Rabbé, Avocat.

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Explorer : # harcèlement moral # fonction publique # souffrance psychique # preuve

Le harcèlement moral est une notion récente en droit français mais qui ne cesse depuis dix ans d’être mobilisé par les victimes en situation de souffrance au travail. Ainsi, le contentieux administratif lié à cette notion ne cesse de croître, ce qui justifie d’en rappeler les contours.

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La définition légale du harcèlement moral.

Le concept juridique de harcèlement moral en droit français est récent. Il résulte d’une prise de conscience tant au niveau européen que français d’une réalité sociale et médicale nouvelle à savoir l’explosion de la souffrance psychique au travail.

Fruit de cette reflexion, la loi n°2002-73 dite de « modernisation sociale » du 17 janvier 2002 a introduit non pas un mais trois nouveaux dispositifs légaux relatifs à la lutte contre le harcèlement moral au travail et reprenant une définition presque identique du harcèlement moral.

Les éléments constitutifs du harcèlement moral sont ainsi des agissements répétés ayant pour but ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits ou à la dignité de la victime, d’altérer sa santé physique ou mentale ou encore de compromettre son évolution professionnelle.

La définition ainsi posée du harcèlement moral au travail est relativement ouverte et répond à l’extrême diversité des situations de souffrance psychique au travail. Cette définition donne donc au juge une liberté d’appréciation très importante.

Les juges compétents pour connaître du harcèlement moral d’un agent de la fonction publique.

S’il n’y a qu’une seule définition légale du harcèlement moral au travail en droit français, il existe en réalité trois régimes juridiques distincts.

Le premier dispositif a été introduit dans le Code du travail. Ce dispositif ne concerne que les salariés et assimilés.

Attention : les agents de la fonction publique, qu’ils soient titulaires (fonctionnaires) ou contractuels ne peuvent pas se prévaloir du Code du travail. De même, le conseil de prud’hommes n’est pas compétent pour connaître de la situation d’un agent de la fonction publique.

Le second dispositif a été introduit dans le statut général de la fonction publique. Il concerne les agents de la fonction publique, titulaires et contractuels, soumis à ce statut. Un agent de la fonction publique peut ainsi former un recours devant le tribunal administratif contre son administration et demander à ce que celle-ci soit condamnée d’une part à faire cesser ces agissements et d’autre part à lui verser des dommages-intérêts en raison du préjudice que le harcèlement moral dont il a été victime lui a causé.

Le troisième dispositif a été introduit dans le Code pénal. Il concerne toute personne en situation de travail quel que soit son statut, salarié ou agent de la fonction publique. Un agent de la fonction publique peut donc porter plainte directement contre l’auteur du harcèlement moral et demander à ce qu’il soit condamné à lui verser des dommages-intérêts en raison du préjudice que le harcèlement moral dont il a été victime lui a causé.

Deux juges, le juge administratif et le juge pénal, sont donc compétents pour connaître du harcèlement moral subi par un agent de la fonction publique.

L’auteur du harcèlement moral d’un agent de la fonction publique.

Devant le juge administratif, le ou les auteurs du harcèlement moral sont indifférents. Il peut s’agir d’un supérieur hiérarchique, d’un subordonné ou encore d’un collègue avec lequel la victime n’a pas de lien hiérarchique. Il n’est pas non plus exclu que l’auteur du harcèlement moral soit extérieur au service. L’indifférence de l’auteur du harcèlement moral ouvre la voie à la mise en cause du harcèlement moral résultant des méthodes de gestion ou du mode d’organisation du service.

Devant le juge pénal, le ou les auteurs du harcèlement moral doivent être identifiés mais il n’est pas nécessaire qu’un lien hiérarchique les unisse à la victime.

Dans tous les cas, l’intention de l’auteur n’a pas à être démontrée par la victime.

Les agissements constitutifs de harcèlement moral.

En raison de la définition donnée par la loi du harcèlement moral, il n’est pas possible de dresser une liste exhaustive et définitive des agissements constitutifs de harcèlement moral. C’est au juge d’apprécier au cas par cas si tel ou tel agissement a eu ou était susceptible de porter objectivement atteinte à la santé, aux droits, à la dignité ou à l’évolution professionnelle de la victime.

Les agissements constitutifs de harcèlement moral comprennent ainsi des agissements faisant par ailleurs l’objet de qualifications juridiques spécifiques tels que les injures, la diffamation, les actes de violence physique, la discrimination sous toutes ses formes etc.

Il est possible également de citer les agissements constitutifs d’une mise en situation d’échec par le refus d’attribuer à l’agent le matériel nécessaire à la réalisation de ses missions, par le fait de lui attribuer des objectifs manifestement hors d’atteinte ou de le surcharger de travail, par le fait de lui donner des ordres contradictoires ou de lui donner des consignes de travail imprécises pour lui reprocher ensuite la mauvaise qualité de son travail.

Ont encore été qualifiés d’agissements constitutifs de harcèlement moral le fait d’attribuer à un agent des fonctions sans rapport avec son grade ou celles pour lesquelles il a été recruté, le fait d’établir à son sujet des rapports d’évaluation entachés d’erreurs manifestes d’appréciation, le fait de critiquer ou de dénigrer injustement son travail, le fait de l’isoler ou de le mettre au "placard".

La preuve du harcèlement moral.

La jurisprudence, s’agissant du juge administratif, et la loi, s’agissant du juge pénal, ont aménagé le régime de la preuve en matière de harcèlement moral. De ce fait, la victime doit seulement apporter la preuve d’éléments laissant présumer le harcèlement moral. Il appartient ensuite à l’auteur des faits ou à l’administration de prouver que ces agissements étaient justifiés au regard d’éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, par exemple par l’intérêt du service.

La preuve peut être apportée par tous moyens (témoignages, échanges de courriers ou de mails, documents médicaux, notations etc).

La preuve du harcèlement moral constitue la difficulté majeure de ce contentieux.

Comment réagir face à un harcèlement moral ?

L’agent victime de harcèlement moral dans l’exercice de ses fonctions doit impérativement réagir dès les premiers agissements anormaux qu’il subit en alertant sa hiérarchie, ses collègues, les organisations syndicales, la médecine de prévention voire, pour les faits les plus graves, les autorités de police. Dans tous les cas, l’agent devra préférablement agir par écrit (courrier avec accusé de réception ou électronique) pour en conserver la trace.

Si la situation persiste malgré les démarches de l’agent et que les agissements anormaux s’accumulent, il peut former une demande de protection fonctionnelle auprès de sa hiérarchie. Cette demande est un acte formel essentiel dans le cas où l’agent serait conduit par la suite à intenter une action contentieuse contre son administration ou contre le ou les auteurs des faits.

Dans le cas où les alertes de l’agent à son administration sur sa situation resteraient sans suite, l’agent peut saisir enfin le juge pénal, le juge administratif voire les deux pour obtenir la cessation de ces agissements et l’indemnisation de son préjudice moyennant le respect de procédures préalables qui peuvent différer suivant les différents corps de la fonction publique.

Maître Laurent Rabbé, Avocat au Barreau de Paris
http://www.rabbe.fr/avocat-fonction-publique

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Discussions en cours :

  • par Micka , Le 8 octobre 2019 à 06:37

    bonjour ,
    je travail dans une mairie depuis 24ans,
    depuis 1ans je subis de réflexion de tout genre ,
    et il y a quelque jours ,les jeux de la communes ont été saccager, casser.
    le maire m’accuse de cet acte. ( chose qui sont pas vrai).

    quel sont mes droit après de telle accusation qui sont tres grave ?

  • par CUNIER Bernard , Le 26 août 2018 à 16:24

    Très bon exposé , précis , technique tout en étant compréhensible par toutes et par tous .

  • par blain , Le 23 août 2018 à 17:17

    bonjour a tous et toutes
    quoi faire quand on vous dis en visites medical pas de port de charges et que quand vous allez travailler on vous dis rester en maladie on a rien pour vous
    et oui c est ce qui m arrive

  • par Mina , Le 25 mai 2018 à 20:45

    Bonjour, personnel administratif et chef d’unité dans un gros service je subie les remarques désobligeantes d’autres chefs d’unités "actifs" qui tentent régulièrement de donner des instructions aux personnels que je gère. Si ces personnels faisaient ce que ces gens leur demandent ils commettraient une faute professionnelle car les instructions ne viennent pas de moi. Ce soir un jeune commissaire, qui n’est pas mon chef direct, m’a mal parlé et m’a menacé de représailles alors que j’ai du gérer en urgence avec un collègue d’un autre service une demande de la direction pour laquelle le travail aurait du être rendu hier par un autre collègue qui ne fait jamais son boulot correctement ni dans les temps et qui ne nous a d’ailleurs pas donné toutes les informations afin de faire correctement ce travail. J’en arrive à me dire qu’ils en ont après les femmes surtout quand il s’agit de personnels administratifs et que nous sommes des "sous-personnels". Mon syndicat ne sait pas quoi faire pour m’aider car l’un des harceleurs est un commissaire.

  • par Corine34 , Le 6 mai 2018 à 14:11

    Bonjour,
    Je suis en procédure (tribunal administratif ) contre mon administration. En effet j’ai eu une mutation suite à un harcèlement de mon responsable. Lorsque j’ai demandé à voir mon dossier administratif il est marqué (sur la CAP) que j’ai toujours eu des problèmes avec mes collègues et ma hiérarchie. Hors il n’y a aucuns documents qui atteste de ces dires. J’ai pris rendez-vous avec la DRH qui m’a dit quelle avait noté ça sur des ont dit... JE Tiens à préciser que j’ai de très bons rapports avec mes collègues. Aujourd’hui je suis dans un nouveau service ou la chargée de mission m’a fait une notation déplorable (que je n’ai pas signé ) allant même jusqu’à dire que j’avais demandé une mutation au funerarium alors que j’ai perdue ma fille de 16 ans.
    Bien sûr j’étais sur les listes des promouvables (principal 2ème classe) et l’administration a mis son véto. Que puis-je faire ????? Merci de vos réponses

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