Le harcèlement moral des agents de la fonction publique.

Par Laurent Rabbé, Avocat.

69163 lectures 1re Parution: Modifié: 40 commentaires 4.9  /5

Explorer : # harcèlement moral # fonction publique # souffrance psychique # preuve

Le harcèlement moral est une notion récente en droit français mais qui ne cesse depuis dix ans d’être mobilisé par les victimes en situation de souffrance au travail. Ainsi, le contentieux administratif lié à cette notion ne cesse de croître, ce qui justifie d’en rappeler les contours.

-

La définition légale du harcèlement moral.

Le concept juridique de harcèlement moral en droit français est récent. Il résulte d’une prise de conscience tant au niveau européen que français d’une réalité sociale et médicale nouvelle à savoir l’explosion de la souffrance psychique au travail.

Fruit de cette reflexion, la loi n°2002-73 dite de « modernisation sociale » du 17 janvier 2002 a introduit non pas un mais trois nouveaux dispositifs légaux relatifs à la lutte contre le harcèlement moral au travail et reprenant une définition presque identique du harcèlement moral.

Les éléments constitutifs du harcèlement moral sont ainsi des agissements répétés ayant pour but ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits ou à la dignité de la victime, d’altérer sa santé physique ou mentale ou encore de compromettre son évolution professionnelle.

La définition ainsi posée du harcèlement moral au travail est relativement ouverte et répond à l’extrême diversité des situations de souffrance psychique au travail. Cette définition donne donc au juge une liberté d’appréciation très importante.

Les juges compétents pour connaître du harcèlement moral d’un agent de la fonction publique.

S’il n’y a qu’une seule définition légale du harcèlement moral au travail en droit français, il existe en réalité trois régimes juridiques distincts.

Le premier dispositif a été introduit dans le Code du travail. Ce dispositif ne concerne que les salariés et assimilés.

Attention : les agents de la fonction publique, qu’ils soient titulaires (fonctionnaires) ou contractuels ne peuvent pas se prévaloir du Code du travail. De même, le conseil de prud’hommes n’est pas compétent pour connaître de la situation d’un agent de la fonction publique.

Le second dispositif a été introduit dans le statut général de la fonction publique. Il concerne les agents de la fonction publique, titulaires et contractuels, soumis à ce statut. Un agent de la fonction publique peut ainsi former un recours devant le tribunal administratif contre son administration et demander à ce que celle-ci soit condamnée d’une part à faire cesser ces agissements et d’autre part à lui verser des dommages-intérêts en raison du préjudice que le harcèlement moral dont il a été victime lui a causé.

Le troisième dispositif a été introduit dans le Code pénal. Il concerne toute personne en situation de travail quel que soit son statut, salarié ou agent de la fonction publique. Un agent de la fonction publique peut donc porter plainte directement contre l’auteur du harcèlement moral et demander à ce qu’il soit condamné à lui verser des dommages-intérêts en raison du préjudice que le harcèlement moral dont il a été victime lui a causé.

Deux juges, le juge administratif et le juge pénal, sont donc compétents pour connaître du harcèlement moral subi par un agent de la fonction publique.

L’auteur du harcèlement moral d’un agent de la fonction publique.

Devant le juge administratif, le ou les auteurs du harcèlement moral sont indifférents. Il peut s’agir d’un supérieur hiérarchique, d’un subordonné ou encore d’un collègue avec lequel la victime n’a pas de lien hiérarchique. Il n’est pas non plus exclu que l’auteur du harcèlement moral soit extérieur au service. L’indifférence de l’auteur du harcèlement moral ouvre la voie à la mise en cause du harcèlement moral résultant des méthodes de gestion ou du mode d’organisation du service.

Devant le juge pénal, le ou les auteurs du harcèlement moral doivent être identifiés mais il n’est pas nécessaire qu’un lien hiérarchique les unisse à la victime.

Dans tous les cas, l’intention de l’auteur n’a pas à être démontrée par la victime.

Les agissements constitutifs de harcèlement moral.

En raison de la définition donnée par la loi du harcèlement moral, il n’est pas possible de dresser une liste exhaustive et définitive des agissements constitutifs de harcèlement moral. C’est au juge d’apprécier au cas par cas si tel ou tel agissement a eu ou était susceptible de porter objectivement atteinte à la santé, aux droits, à la dignité ou à l’évolution professionnelle de la victime.

Les agissements constitutifs de harcèlement moral comprennent ainsi des agissements faisant par ailleurs l’objet de qualifications juridiques spécifiques tels que les injures, la diffamation, les actes de violence physique, la discrimination sous toutes ses formes etc.

Il est possible également de citer les agissements constitutifs d’une mise en situation d’échec par le refus d’attribuer à l’agent le matériel nécessaire à la réalisation de ses missions, par le fait de lui attribuer des objectifs manifestement hors d’atteinte ou de le surcharger de travail, par le fait de lui donner des ordres contradictoires ou de lui donner des consignes de travail imprécises pour lui reprocher ensuite la mauvaise qualité de son travail.

Ont encore été qualifiés d’agissements constitutifs de harcèlement moral le fait d’attribuer à un agent des fonctions sans rapport avec son grade ou celles pour lesquelles il a été recruté, le fait d’établir à son sujet des rapports d’évaluation entachés d’erreurs manifestes d’appréciation, le fait de critiquer ou de dénigrer injustement son travail, le fait de l’isoler ou de le mettre au "placard".

La preuve du harcèlement moral.

La jurisprudence, s’agissant du juge administratif, et la loi, s’agissant du juge pénal, ont aménagé le régime de la preuve en matière de harcèlement moral. De ce fait, la victime doit seulement apporter la preuve d’éléments laissant présumer le harcèlement moral. Il appartient ensuite à l’auteur des faits ou à l’administration de prouver que ces agissements étaient justifiés au regard d’éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, par exemple par l’intérêt du service.

La preuve peut être apportée par tous moyens (témoignages, échanges de courriers ou de mails, documents médicaux, notations etc).

La preuve du harcèlement moral constitue la difficulté majeure de ce contentieux.

Comment réagir face à un harcèlement moral ?

L’agent victime de harcèlement moral dans l’exercice de ses fonctions doit impérativement réagir dès les premiers agissements anormaux qu’il subit en alertant sa hiérarchie, ses collègues, les organisations syndicales, la médecine de prévention voire, pour les faits les plus graves, les autorités de police. Dans tous les cas, l’agent devra préférablement agir par écrit (courrier avec accusé de réception ou électronique) pour en conserver la trace.

Si la situation persiste malgré les démarches de l’agent et que les agissements anormaux s’accumulent, il peut former une demande de protection fonctionnelle auprès de sa hiérarchie. Cette demande est un acte formel essentiel dans le cas où l’agent serait conduit par la suite à intenter une action contentieuse contre son administration ou contre le ou les auteurs des faits.

Dans le cas où les alertes de l’agent à son administration sur sa situation resteraient sans suite, l’agent peut saisir enfin le juge pénal, le juge administratif voire les deux pour obtenir la cessation de ces agissements et l’indemnisation de son préjudice moyennant le respect de procédures préalables qui peuvent différer suivant les différents corps de la fonction publique.

Maître Laurent Rabbé, Avocat au Barreau de Paris
http://www.rabbe.fr/avocat-fonction-publique

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

644 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Commenter cet article

Discussions en cours :

  • par demedis , Le 28 mars 2018 à 14:53

    L’article date de 4 ans, mais il reste criant de vérité, plus que jamais aujourd’hui, dans cette période où le travail se fait rare...
    La France entière vient de rendre hommage au lieutenant colonel Arnaud BELTRAME qui a donné sa vie dans l’attaque d’innocents du supermarché : agissant au grand jour, le terroriste a été mis hors d’état de récidiver. Mais que fait-on envers ceux qui, dans l’ombre des bureaux et « protégés » par une hiérarchie sinon solidaire du moins inconsciente, harcèlent et terrorisent leurs salariés ?
    Tout autour de moi, je vois se faire démolir des employés sérieux et honnêtes (fonction publique, en l’occurrence) par suite d’agissements de "chefaillons" qui se prennent pour Dieu : ces tristes individus se croient tout permis, parce qu’on leur a confié une équipe à diriger ! Sauf qu’ils n’ont aucune notion de psychologie, ni de pédagogie, que leur sottise s’allie à leur méchanceté naturelle pour blesser et humilier les collaborateurs qui ne leur plaisent pas. De préférence, ceux qui sont plutôt doux et travailleurs, proies plus faciles pour asseoir leur autorité. Envers leurs « têtes de turc », leurs ordres sont péremptoires et inconsidérés. La charge de travail impossible à assumer : leur but, harceler jusqu’à ce que le salarié visé s’écroule. Le tout, bien sûr, au détriment des "copains" (personnes hiérarchiquement "protégés") qu’ils privilégient en contrepartie : Bref, L’injustice dans toute sa laideur.
    L’éducation de ses (ir)responsables », n’a pas du fleurer Goethe. Dommage ! Ils sauraient que "traiter les gens en fonction de ce qu’ils pourraient être, les aiderait à devenir ce qu’ils sont capables d’être". Dans leur ignorance, ils font tout l’inverse, et leurs abus de pouvoir face au personnel deviennent nuisibles à l’Administration même qu’ils sont censés défendre et servir !
    Impossible de rester sans rien faire.
    Question : l’un(e) d’entre vous, fonctionnaire, est-il parvenu à se faire rendre justice ? Si oui, aurait-il la gentillesse de me tendre le bout du fil d’Ariane qu’il faut suivre pour y parvenir ...avant qu’un autre suicide n’entache la fonction publique ? J’espère que OUI…
    D’avance, merci !
    Cordialement,
    Monica

  • par Gilles , Le 31 juillet 2017 à 16:25

    Bonjour,
    je souhaiterai évoqué le cas de harcèlement d’un fonctionnaire à Orange (moi) qui défend ses collègues dans le cadre de mandat de représentant du personnel/élu chsct.
    Un article de presse donne l’ambiance http://www.letelegramme.fr/cotes-darmor/lannion/orange-le-management-mis-en-cause-29-06-2017-11576350.php
    Vers quelle juridiction se tourner ? Merci d’avance pour vos pistes.

    Ps : pour la petite histoire, la direction m’a laissé plusieurs traces écrites, (dont un blâme non motivé), 2 de mes collègues du chsct ont eu l’intelligence de réfléchir et déposer un droit d’alerte (DGI) sur moi et les élus. La question de la juridiction reste …

  • bonjour
    je voudrais revenir sur deux éléments : d’abord d’apres ce que j’ai lu ( enseignant moi meme et syndiqué actif) le harcelement moral doit etre de trois niveaux 1- porter atteinte a la victime ,droits et dignité, 2- altérer sa situation physique ou mentale et enfin 3 - menacer ou perturber son avenir professionnel.
    Il faut que tout ceci soit rempli pour parler de H.M. Et tous ces faits sont quand même à prouver
    Et je voudrais savoir qu’elle peut etre la responsabilité d’un syndicat qui ayant été alerté ne peut donner la preuve qu’il est intervenu ? En effet , pour l’education nationale, j’ai connaissance de cas, ou meme si le syndicat ne prouve pas le HM, le syndicat ne veut pas intervenir. Souvent pour des collegues isolés, ou meme de rapports difficiles ...
    Quelle est la responsabilité ici, des élus du personnel ? Sont ils obligés d’intervenir ou en tant que représentants du personnel peuvent ils rester hors de ces conflits et s’en remettre uniquement à la justice ?
    En tant que syndicats nous n’avons pas toutes les données pour juger.

    • Bonjour Monsieur,

      Au préalable, et conformément aux règles déontologiques de ma profession, au respect desquelles je suis très attaché, il ne m’est pas possible de réaliser des consultations sur des cas particuliers dans le cadre de ce forum.

      Cependant, vous posez deux questions d’ordre général qui sont très intéressantes.

      D’une part, s’agissant des éléments matériels constitutifs du harcèlement moral, il y a d’un côté la dégradation des conditions de travail et de l’autre l’atteinte à la victime. L’atteinte peut porter alternativement sur les droits, la dignité, la santé ou encore l’évolution professionnelle de la victime. Il n’est pas nécessaire que l’atteinte porte sur l’ensemble de ces éléments à la fois pour que le harcèlement moral soit caractérisé. Un seul de ces éléments suffit. Vous trouverez par exemple dans la jurisprudence de très nombreux cas dans lesquels les juges se sont contentés de relever l’atteinte à la santé de la victime sans que la question de ses droits, de sa dignité ou de son évolution professionnelle ne soit posée. Il est plus rare cependant que le harcèlement moral soit caractérisé en relevant seulement l’atteinte aux droits ou l’atteinte à la dignité de la victime. Tout dépend de l’appréciation du juge au cas par cas, ce qui fait toute la difficulté de ce contentieux.

      D’autre part, il n’y a pas à ma connaissance d’exemple dans lequel la responsabilité pénale ou civile d’une organisation syndicale ou d’un représentant du personnel aurait été engagée en raison simplement de l’inaction syndicale face à une situation de harcèlement moral. Nous ne pouvons pas totalement exclure cette hypothèse pour les cas les plus graves mais elle demeure à mon sens très théorique. Il en serait évidemment autrement si l’organisation syndicale était visée directement devant le conseil de prud’hommes par un de ses salariés en tant qu’employeur ou si le délégué du personnel était lui-même l’auteur du harcèlement moral.

      Les représentants syndicaux jouent néanmoins en pratique un rôle primordial dans la prévention et dans la lutte contre le harcèlement moral. Ils peuvent très utilement apporter leur concours aux victimes dans la recherche d’une solution amiable ou contentieuse par leurs alertes et leurs témoignages.

      De plus, avec l’évolution de la jurisprudence administrative sur cette question, je considère que la voie est aujourd’hui ouverte aux organisations syndicales pour mettre en cause par des actions collectives devant le juge certaines méthodes de gestion constitutives de formes institutionnalisées de harcèlement moral.

      J’espère que ces compléments d’information vous seront utiles.

      Bien cordialement,

      Me Rabbé

    • par elisabeth , Le 28 avril 2016 à 17:31

      suite aux explications de Me Rabbe.. comment fait.on quand le principal acteur harceleur, ayant autorie au sein de la structure de travail, est un membre representatif du syndicat auquel on appartient ?. quand le representant syndicaliste vers lequel on sest tourne est un ex secretaire national, plus interesse par une lutte politique : se presenter aux elections , que par les i dividus ?
      un exemple universitaire.

    • par Anselm , Le 12 avril 2017 à 16:02

      Bonjour maître .
      Je suis aesh et je voudrais déposer une plainte pour harcèlement moral au tribunal administratif .En vous lisant ,je vois que j’ai les éléments pouvant prouver mes dires .
      Mais je ne trouve pas un avocat pour plaider ma cause car il faut se "battre" contre l’éducation nationale .Je viens d’en voir un qui m’a dit que je lançais un bâton de dinamite .Et qu’il va réfléchir ...
      Nous sommes des milliers avs/aesh en souffrance .On subit des brimades de la part des enseignantes .On est exploité .
      Et personne pour nous défendre .
      Ou trouvez de l’aide ?

      Salutations

  • Excellent article très clair et consis

    • par anam46@hotmail.fr , Le 8 janvier 2017 à 14:29

      Bonjour, je suis fonctionnaire dans une Mairie, ma vie est devenu un enfer après 3 ans de combat contre un cancer du lymphome stade 4, quand jai repris mon travaille ils mon mis dans un poste affranchir le courrier mais dans les toilettes, j’avais pas droits de parler a personne, n’y parler avec les collègues, jai reperdu mes cheveux, jai fait souvent des bronchites grave (pas de chauffage au toilettes ) jai maigris beaucoup, jai fait une tentative de suicide, grave dépression, je suis dans cette Mairie depuis 1989, ce calvaire dure depuis 10 ans, jai été en clinique psychiatrique, je suis toujours suivie, le Maire actuelle ma mit en indisponibilité d’office , je touche que 630 euros par mois, jai fait beaucoup de contrôles médicaux, mais a chaque fois sa repart a zéro, le Centre de Gestion n’es fais rien pour m’aidée, mémé avec des courriers des médecins, psychiatres est autres, mon dossier traine depuis 2014, ma vie est un enfer, je sais plus quoi faire, même avec 4 courriers envoyée au Maire rien bouge, il répond même pas aux courriers, je suis fatiguée moralement est psychologiquement , pas droits aux aides, a rien, elle est ou la justice pour nous les fonctionnaires ? jai toujours un traitements pour la dépression que me fatigue

  • par didier , Le 7 décembre 2016 à 17:25

    bonjour , suis victime de ces agissement et en arrêt de travail depuis février 2014 , la collectivité ne répond même pas au courriers recommandes , le chsct non plus et pour finir le syndicat dont je faisais parti ne me demande plus depuis mon signalement de cotisations syndicales (une manière de m’exclure de leur syndicat) pas très sympathique pour des gens censés défendre le droit des employés , enfin bref ...je souhaite saisir le tribunal administratif , mais aussi attaquer au pénal et ce avant les 3 ans après mon signalement , ma question est juste technique , dois je me faire obligatoirement représenté par un avocat auprès des deux juges
    merci a toute personne susceptible de me répondre , j’ai déjà été débouté par deux cabinets d’avocats , l un connaissant personnellement les élus , l autre parce que c est pour eux peine perdu
    help

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27843 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs