Le 24 février 1982 naît Amandine, le premier bébé conçu par fécondation in vitro en France [1]. Depuis cette date, les progrès de la médecine procréative se sont multipliés. Désormais, les couples hétérosexuels, les couples de femmes et les femmes seules, répondant aux conditions définies par la loi française, peuvent recourir à diverses techniques d’assistance médicale à la procréation [2].
Bien que cette assistance repose sur les principes du don et de la gratuité [3], elle présente néanmoins des contraintes significatives en raison de sa lenteur et de son manque de flexibilité [4]. Certaines personnes en étant exclues se tournent vers la gestation pour autrui (ci-après, “GPA”). Il s’agit d’une méthode de procréation [5] par laquelle une femme, appelée « mère porteuse », porte un embryon fécondé in vitro pour le bénéfice d’un couple ou d’une personne, le.s « parent.s d’intention ».
En France, la maternité de substitution est prohibée sur le plan civil [6] et pénalement répréhensible [7]. L’Ukraine se distingue comme l’un des seuls États au monde autorisant la gestation pour autrui commerciale pour les non-nationaux [8]. Les agences ukrainiennes proposant des services d’intermédiation pour des projets de GPA ont profité d’une conjoncture d’intensification des réglementations globales concernant le “tourisme procréatif” et du contexte marqué par une diminution de la fécondité [9], pour développer une activité prospère [10].
Le 24 février 2022 débute l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les Français impliqués dans un parcours de GPA sont confrontés à l’incertitude de la situation. Début mars, la France prend connaissance des bombardements contre l’hôpital pédiatrique et la maternité de la ville de Marioupol [11] causant des victimes parmi les femmes enceintes, leurs fœtus et les nouveau-nés hospitalisés [12]. Simultanément, des vidéos de nourrissons à Kiev en attente d’être récupérés par leurs familles d’intention sont diffusées dans les médias hexagonaux [13]. Ils ne disposent ni de prénoms ni de noms et sont pris en charge par des infirmières se relayant jour et nuit dans un sous-sol aménagé en abri anti-bombe.
Après plus de deux ans de conflit et dans un contexte géopolitique incertain, quelles stratégies adoptent les Français recourant à la gestation pour autrui en Ukraine ? En raison de l’absence de prévision contractuelle d’une telle situation (I), les parents d’intention optent soit pour le choix de partir en Ukraine chercher l’enfant né au moyen d’une GPA (II), soit d’amener la femme gestatrice en France pour qu’elle y accouche (III).
I. L’incertitude contractuelle des contrats de GPA.
Au matin du 24 février 2022, la loi martiale est déclarée en Ukraine [14]. Les femmes et les enfants sont évacués vers les frontières polonaises, les hommes mobilisés, le pays est à l’arrêt. Les administrations sont fermées, les agences de procréation ne répondent plus, suscitant une panique parmi les parties impliquées dans les contrats de GPA. Il est en outre rapidement établi que des enfants, notamment des nouveau-nés, sont déportés de l’Ukraine vers la Russie à des fins d’enfermement ou d’adoption [15].
Face au danger, les comportements des mères porteuses en Ukraine sont variés. Certaines partent de leur propre initiative, ou à la demande de leur agence, vers l’est du pays [16] ou à l’étranger [17], comme en Pologne. Il arrive que les familles d’intention soient sollicitées pour couvrir les frais d’hébergement [18]. D’autres, après avoir accouché à Kiev, où se situe la plupart des agences, emmènent chez elles l’enfant auquel elles ont donné naissance [19].
Tel que durant la crise sanitaire de 2020, le droit ukrainien n’oblige pas l’inclusion dans les contrats de GPA de clauses sur les obligations contractuelles spécifiques en cas de circonstances exceptionnelles. Bien que ces contrats prévoient habituellement des situations telles que le handicap du fœtus, l’avortement médical, le décès ou le divorce des parents d’intention, la naissance de jumeaux ou de triplés, etc., ils ne comportent pas de disposition en cas d’évènements imprévus [20], laissant les parents d’intention dépourvus d’assistance. Ils doivent subir ainsi les choix des agences et des femmes gestatrices.
S’ils estiment avoir subi un préjudice, ils peuvent envisager d’intenter une action en justice en Ukraine contre les agences, malgré l’incertitude quant à un résultat positif. En cas de litige, les juridictions compétentes sont ukrainiennes, les conventions de GPA étant frappées de nullité en droit français [21], cette disposition relevant de l’ordre public [22].
La Cour de cassation rappelle par ailleurs dans son arrêt du 6 avril 2011 qu’en dépit de la licéité d’une telle convention hors du territoire national, elle demeure privée d’effets en France [23].
Dans ce contexte, certaines familles commanditaires décident de se rendre en territoire ukrainien pour accueillir leur enfant né d’une mère porteuse.
II. Le choix des parents d’intention de se rendre en Ukraine.
Le choix de partir en Ukraine est de toute évidence risqué. Aux prémices du conflit, des Français venus chercher leur nouveau-né en Ukraine se retrouvent bloqués pendant plusieurs semaines sous les bombardements à Kiev [24] et à Kharkiv [25].
Dès lors que les parents d’intention ont réussi à venir en Ukraine, malgré la réprobation du ministère des Affaires étrangères français [26], ils doivent entreprendre les démarches pour que l’enfant soit légalement reconnu comme le leur et pouvoir ainsi l’emmener en France.
Depuis l’avènement du conflit et du fait, par conséquent, de leur charge de travail accrue, les autorités ukrainiennes font preuve de souplesse en ce qui concerne la délivrance de l’acte de naissance et le franchissement des frontières ukrainiennes.
La délivrance de l’acte de naissance ukrainien permet d’officialiser l’abandon des droits parentaux des mères porteuses. Ces dernières signent une autorisation validant l’inscription des parents d’intention sur le certificat de naissance [27]. Au début du conflit, certains enfants sont arrivés en France sans acte de naissance. Les parents ont alors saisi le tribunal de leur résidence afin d’obtenir un jugement compensant cette absence [28].
Du fait de l’instauration de la loi martiale, l’enregistrement de l’acte de naissance ne doit plus obligatoirement être réalisé par l’administration territorialement compétente, mais peut être effectué dans tout bureau d’état civil épargné par les affrontements [29]. Une ordonnance datant de 2022 [30] a également permis que l’acte de naissance puisse être constitué par un simple certificat médical de naissance de l’enfant.
Malgré cette apparente adaptabilité des autorités, les célibataires et les couples homosexuels semblent faire face à des difficultés lorsqu’ils viennent chercher leur enfant [31]. Les autorités étaient auparavant accommodantes avec eux [32] alors même qu’ils fussent légalement interdits d’accès à la GPA [33].
S’ensuit la question du franchissement des frontières. Les parents d’intention doivent demander aux missions diplomatiques françaises un document de voyage d’urgence pour l’enfant [34]. En cas de présomption de GPA, elles peuvent refuser la délivrance d’un passeport [35]. Dans ce cas, des documents additionnels sont requis, tels que le contrat de mère porteuse. Ils procèdent ensuite à la délivrance d’un laissez-passer [36]. Depuis le début du conflit cependant, les missions consulaires sont tolérantes [37].
Il en est de même pour les gardes-frontières ukrainiens. Ils sollicitent la seule soumission du certificat de naissance [38]. La présentation de documents supplémentaires aux autorités frontalières, tels que la convention de GPA et la déclaration notariée d’abandon de la mère porteuse gestationnelle, permet de fluidifier le contrôle [39].
Compte tenu des difficultés inhérentes à ce déplacement en Ukraine, certaines familles commanditaires s’efforcent, à l’inverse, de faire venir en France l’enfant [40] ou, plus fréquemment, la mère porteuse avant son accouchement.
III. La décision de faire venir la femme gestatrice en France.
Afin que la GPA soit menée à terme dans l’Hexagone, les parents d’intention prennent en charge l’organisation et le financement du voyage de la femme gestatrice, et parfois aussi de sa famille. Cette mesure permet à ce que la mère porteuse soit protégée des hostilités, tout en bénéficiant d’une prise en charge médicale appropriée jusqu’à l’accouchement.
En raison de l’illégalité de la GPA en France et du principe légal ne reconnaissant comme mère que celle qui accouche de l’enfant [41], les parents d’intention doivent user de stratagèmes pour faire reconnaître leur lien de filiation.
La pratique la plus fréquente consiste ainsi à ce que la femme gestatrice accouche sous X [42]. Elle doit avertir l’équipe médicale de son souhait à son arrivée dans l’établissement de santé et le secret de son admission et de son identité reste préservé [43]. Il est d’usage que le père effectue une reconnaissance prénatale. Conformément aux dispositions légales en vigueur, le délai imparti pour cette démarche est de deux mois [44]. Par la suite, le conjoint dépose une requête en adoption plénière de l’enfant, permettant la rupture des liens de l’adopté avec la femme gestatrice [45].
L’Aide sociale à l’enfance du département où est implanté l’établissement de santé prend en charge les frais d’hébergement et d’accouchement sous X [46]. Informés, deux départements ont refusé cette pratique, adressant la facture aux parents d’intention [47].
Par ailleurs, des plaintes visant des parents d’intention ayant fait venir des femmes gestatrices d’Ukraine ont été déposées pour contester cette démarche [48]. Les accusations portaient notamment sur l’infraction de “provocation à l’abandon d’enfant”, passible de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende [49]. Le ministère de la Justice français aurait instruit les parquets de ne pas entamer de poursuites susceptibles d’entraver la procédure d’adoption du second parent, compte tenu des circonstances exceptionnelles en Ukraine [50]. Ces plaintes ont ainsi été classées sans suite [51].
Cette tolérance accordée aux gestations pour autrui menées à terme en France par des mères porteuses ukrainiennes, en dépit de leur prohibition sur le territoire national, illustre les clivages existant au sein de la société française à l’égard des naissances par GPA. Une proposition de loi visant à alourdir les peines pour recours à la gestation pour autrui est en cours d’examen au Palais du Luxembourg [52].
En Ukraine, les efforts portants sur l’interdiction temporaire de la GPA aux non-nationaux n’ont pas abouti [53], permettant ainsi aux agences spécialisées de continuer à promouvoir cette méthode de procréation malgré le conflit [54]. Étant donné les risques inhérents à la pratique illicite des gestations pour autrui par des parents d’intention français en Ukraine, il est légitime d’espérer que le législateur se prononce prochainement sur ce sujet.