En effet, sauf stipulation particulière, le lieu de travail ne constitue pas un élément contractuel.
La Cour de Cassation est d’ailleurs venue préciser à de nombreuses reprises que la mention du lieu de travail dans le contrat de travail avait une simple valeur informative (Cass, Soc.,n°09-71.322).
Dès lors, sur le principe, l’employeur est libre de modifier le lieu de travail, sans avoir besoin d’obtenir l’accord de son salarié, lequel s’expose en cas de refus à une mesure de licenciement pour faute (Cass, Soc. 12 avril 2012, n°11-15.971).
Le changement du lieu de travail devient alors un simple changement des conditions de travail dépendant du pouvoir de direction de l’employeur.
Cette réalité s’explique par le fait que les entreprises sont vouées, par nature, au cours de leur existence, à déménager leurs locaux pour un certain nombre de raisons stratégiques (économies de charges, croissance nécessitant des locaux plus grands, etc…).
La liberté laissée à l’employeur dans la mobilité de ses salariés n’est toutefois pas sans limites.
En effet, le changement de lieu de travail est libre, mais uniquement lorsque celui-ci s’effectue au sein du même secteur géographique.
Dès lors que le lieu de travail est déplacé en dehors de ce secteur, l’employeur est alors contraint de solliciter l’accord de son salarié, sauf à commettre une faute pouvant engager sa responsabilité.
Il ressort que si le lieu de travail n’a effectivement pas une valeur contractuelle, tel n’est pas le cas du secteur géographique de travail.
S’il n’existe pas de définition administrative du secteur géographique, la jurisprudence entend apprécier celui-ci au cas par cas, en fonction de plusieurs critères :
- La distance entre les deux lieux de travail (Cass, Soc. 7 juillet 2004, n°02-43.915) ;
- Le temps de transport par les transports en commun (Cass, Soc. 15 juin 2004, n°01-44.707) ;
- L’appartenance au même bassin d’emplois (Cass, Soc. 20 février 2019, n°17-24.094).
L’appréciation du secteur géographique va donc considérablement varier selon le lieu dans lequel s’opère la mobilité du salarié.
Certaines solutions jurisprudentielles peuvent même paraître contradictoires entre elles, et ce, au détriment du principe de sécurité juridique.
Ainsi, les villes de Pau et de Tarbes, pourtant situées à 40 kilomètres l’une de l’autre, et dans deux départements différents, ont été considérées comme appartenant au même secteur géographique (Cass, Soc. 12 décembre 2012, n°11-23.762) - alors qu’un changement de lieu de travail s’effectuant entre deux villes de région parisienne (Blanc Mesnil et Gargenville) a quant à lui pu être considéré comme s’opérant en dehors du même secteur géographique (Cass, Soc. 15 décembre 2010, n°09-42.221).
Un nouvel arrêt rendu récemment par la Cour de Cassation est venu étoffer le régime de la modification du lieu de travail du salarié, en y ajoutant le critère du coût supplémentaire que représente pour celui-ci le nouveau trajet domicile travail (Cass, Soc. 24 janvier 2024, n°22-19.752).
Dans le cas d’espèce, on relève que l’employeur n’avait pris aucune précaution en imposant une mutation du lieu de travail dans un lieu situé à 35 kilomètres du précédent.
Plus précisément, il ressort que ce nouveau lieu de travail n’appartenait pas au même bassin d’emplois et n’était relié par aucun réseau de transport en commun.
L’employeur imposait donc au salarié d’utiliser son véhicule personnel en supportant les frais supplémentaires engendrés par ladite utilisation.
Dans cette perspective, l’employeur ne pouvait donc licencier le salarié pour faute grave, en invoquant son refus de voir modifier son lieu de travail, puisqu’il aurait dû, justement, obtenir son accord préalable.
À la suite de ce récent arrêt, il convient alors de s’interroger sur le fait de savoir si le pouvoir d’achat ne deviendrait pas aujourd’hui un nouveau critère devant être pris en compte dans la caractérisation de la notion de bouleversement de l’équilibre contractuel.
Au-delà de cette considération, il ne peut être contesté que le lieu de travail est devenu, au fil du temps, et sur un marché du travail particulièrement dynamique, un critère de choix pour les salariés.
Dès lors, il n’est pas révoltant que l’employeur soit contraint, face à un tel critère déterminant du consentement de son salarié dans son engagement de devoir interroger celui-ci sur l’opportunité de la modification de son lieu de travail, dès que cette modification emporte un véritable bouleversement dans son quotidien.
Certaines clauses vont néanmoins permettre à l’employeur de pouvoir modifier le lieu de travail du salarié, en dehors du secteur géographique, sans avoir besoin préalablement d’obtenir son accord.
Il s’agit des clauses de mobilité, lesquelles ont également donné lieu à de multiples contentieux quant à leurs effets.
Dès lors qu’une clause de mobilité est stipulée dans le contrat de travail, le salarié ne peut s’opposer, par principe, à sa mutation dans les zones visées par celle-ci.
Attention néanmoins à respecter des critères stricts, notamment celui de la précision de la zone dans laquelle la mutation peut être mise en œuvre (Cass, Soc. 7 juin 2006, n°04-45.846).
Il convient ainsi que le salarié puisse précisément prévoir dans quel secteur géographique il pourra éventuellement être muté.
On comprend donc que la possibilité pour un employeur de muter un salarié dans le cadre d’une clause fixant un secteur « monde entier » est parfaitement nulle.
Il en est, en revanche, autrement s’agissant d’une clause de mobilité « Territoire Français », laquelle a été largement validée par la Cour de Cassation (Cass, Soc. 9 juillet 2014, n°13-11.906).
Finalement, la seule exception à cette obligation de précision retenue par la jurisprudence concerne un salarié embauché en qualité de consultant international, lequel, par la nature de ses fonctions, devait nécessairement s’attendre à pouvoir être muté, sur une période plus ou moins longue, hors de France, sans besoin que sa clause de mobilité ne soit plus précise sur la question (Cass, Soc. 11 juillet 2012, n°10-30.219).
Au fil du temps, l’équilibre contractuel relatif à la modification du lieu de travail s’est progressivement étendu à la sphère de la vie privée et familiale du salarié.
Ainsi, le droit à une vie familiale normale a été consacré comme pouvant faire échec à la mise en œuvre d’une clause contractuelle de mobilité, dès lors que l’atteinte portée à cette liberté était disproportionnée eu égard à l’intérêt de l’entreprise (Cass, Soc. 14 octobre 2008, n°07-40.523).
Dans cet arrêt fondateur, la Cour de Cassation avait considéré que la mutation temporaire, pour une durée de trois mois, d’une salariée de Marseille à Paris, pouvait légitimement être refusée par cette dernière, même en présence d’une clause contractuelle l’autorisant, dès lors qu’elle établissait que cette mobilité provoquait une atteinte disproportionnée à sa vie de mère de famille.
Attention, néanmoins, de garder à l’esprit que le droit à une vie familiale normale ne protège aucunement contre toute forme de mobilité qui serait imposée par l’employeur.
La Cour de Cassation a ainsi jugé, plus récemment, que la mutation d’une mère de famille de deux adolescents de La Rochelle à Toulouse pouvait parfaitement être imposée à celle-ci, en présence d’une clause de mobilité, dès lors que l’employeur justifiait de l’impérieuse nécessité de cette mobilité (Cass, Soc. 14 février 2018, n°16-23.042).
Dans le cas d’espèce, il était ainsi établi que l’activité sur laquelle la salariée était affectée était durablement réduite sur le site de La Rochelle, de sorte que la mutation sur le site de Toulouse répondait aux besoins de l’employeur.
La cour a dès lors jugé que si l’atteinte à la vie familiale était réelle, elle n’en était pas moins proportionnée.
Au regard des jurisprudences récentes, la sacralisation du droit à une vie familiale normale, telle que mise en avant en 2008, doit donc être sérieusement relativisée.
On comprend finalement que la jurisprudence est venue, en matière de mobilité du salarié, s’en tenir aux responsabilités de chacun au regard du caractère prévisible de la mutation.
D’une part, il est ainsi demandé aux salariés soumis à une clause de mobilité de coopérer avec leur employeur dès lors que celle-ci est effectivement mise en œuvre.
D’autre part, et a contrario, il est demandé à l’employeur de ne pas imposer à son salarié un changement de lieu de travail imprévisible qui bouleverserait, de manière trop significative, son quotidien et sa vie personnelle, dans le cadre d’une approche proportionnée au regard des impératifs réels de l’entreprise.