[Réflexion] Le fléau de l’usurpation d’identité : quand l’usurpateur mène la belle vie.

Par Rachel Nakache, Avocat.

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Explorer : # usurpation d'identité # protection des victimes # législation # identité numérique

L’usurpation d’identité, qu’elle soit civile ou numérique, est un fléau dans notre société actuelle. Se faire usurper son identité est se faire voler son nom, son prénom, son anniversaire, son numéro de sécurité sociale ou encore son pseudonyme, voire son compte sur les réseaux sociaux.

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Il s’agit d’un délit pénalement répréhensible. Toutefois, le système actuel, s’il s’améliore, contient encore des failles ne permettant pas de protéger efficacement la victime d’usurpation, de sorte que sa vie pourrait être suspendue.

L’usurpation d’identité est sanctionnée par la loi et constitue un délit.

Le législateur a su s’adapter aux nouveaux types d’usurpation liés à notre présence sur internet et aux services en ligne.

Ainsi, plusieurs dispositions légales ont été adoptées pour sanctionner les différents types d’usurpation d’identité pouvant exister :

  • L’article 434-23 du Code pénal sanctionne l’usurpation du nom d’un tiers par une peine d’emprisonnement de 5 ans et 75 000 euros d’amende.
  • L’article 433-19 du Code pénal sanctionne l’usage d’un faux nom dans un acte public, authentique ou dans un document administratif destiné à l’autorité publique par une peine d’emprisonnement de 6 mois et 7 500 euros d’amende.
  • L’article 313-1 du Code pénal sanctionne l’escroquerie par une peine d’emprisonnement de 5 ans et 375 000 euros d’amende. Il s’agit

    « par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ».

  • L’article 226-18 du Code pénal sanctionne la collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite par une peine de 5 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende.
  • L’usurpation de l’identité numérique d’une personne est finalement sanctionnée en 2011.

L’article 226-4-1 du Code pénal résultant de la loi LOPPSI 2 du 14 mars 2011 sanctionne l’usurpation d’identité d’un tiers ou l’usage d’une ou plusieurs données permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération par une peine d’emprisonnement de 1 an et 15 000 euros d’amende.

La loi sur les violences conjugales du 30 juillet 2020 a doublé les sanctions encourues à 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise par le conjoint/concubin/partenaire de la victime.

Ces textes étaient lacunaires puisqu’ils ne sanctionnaient l’utilisation du nom d’un tiers que, dans le cadre d’infractions pénales répréhensibles ou dans le cadre de documents administratifs, publics ou authentiques à destination de l’autorité publique ou encore lorsque l’auteur avait une intention de nuire envers la personne victime de l’usurpation d’identité.

La loi LOPPSI 2 a rendu l’infraction de l’article 226-4-1 du Code pénal autonome puisque l’usurpation d’identité est condamnable en lui-même, sans avoir besoin de prouver que l’auteur du délit avait l’intention de commettre une infraction sous l’identité du tiers usurpé.

Néanmoins, il faut prouver l’intention de l’auteur du délit de nuire à la victime, ce qui n’est pas aisé.

Ainsi, le délit d’usurpation d’identité, d’abord limité au vol de notre identité civile (nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse, plaque d’immatriculation…) a été étendu à notre identité numérique (pseudonyme, mail, identifiants électroniques, compte sur un réseau social, logo, image, adresse IP, URL, profil en ligne, site internet, courriels, messages publiés sur les réseaux sociaux, avatar…).

Si la loi punit désormais l’usurpation d’identité au sens large, le système reste défaillant dans la protection de la victime, de la personne dont l’identité est usurpée qui dispose d’un délai de 3 ans pour agir.

Les constats sont les suivants :

  • On se rend compte toujours trop tard que l’on s’est fait voler son identité. Lorsqu’on veut bénéficier d’une aide sociale qui a été attribuée à tort à son usurpateur, lorsqu’on veut souscrire un crédit et qu’on apprend être fiché à la banque de France, ou encore lorsqu’un acte illégal est commis et que l’on est poursuivi à la place de son usurpateur.
  • Faire reconnaitre son usurpation d’identité est un parcours du combattant et peut mener à l’usure de la victime : les plaintes étaient souvent classées sans suite, l’auteur n’était pas trouvé et in fine pas poursuivi. Les pouvoirs publics ayant désormais conscience de l’impact nocif de l’usurpation d’identité sur la victime, on constate récemment une prise au sérieux de ce type de plaintes, menant à des enquêtes et des poursuites.
  • Il n’y a pas de centralisation des informations entre les différentes administrations : la victime doit se rendre devant chaque administration pour les informer de la situation qu’elle subit. Il n’y a aucune communication entre elles, de sorte qu’il faut sans cesse répéter son histoire, apporter ses documents et tenter d’obtenir le gel des aides indûment perçues par l’usurpateur, le remboursement des sommes prélevées indûment sur son compte bancaire, le bénéfice de la couverture de la sécurité sociale en cas de problème de santé…
  • Aucune mesure, hormis un signalement, n’est prise par les différentes administrations tant qu’il n’y a pas de décision de justice reconnaissant l’usurpation d’identité dont la personne est victime. Or, il faut que l’usurpateur ait été identifié à l’issue d’une enquête, qu’il soit effectivement poursuivi et surtout condamné. Cela peut prendre des années.
  • Si par extraordinaire, l’usurpateur est identifié, poursuivi et condamné, des sommes seront effectivement allouées à la victime à titre d’indemnisation. L’on peut douter que la victime se satisfasse pleinement d’une condamnation pécuniaire.

La victime d’usurpation d’identité doit donc avoir conscience des délais administratifs et judiciaires. Elle doit rapidement prendre des mesures pour être accompagnée et éviter un engrenage pour limiter les effets néfastes de l’usurpation dont elle est victime. Outre les conseils d’un avocat dans les démarches juridiques à entreprendre rapidement, des sociétés privées se sont développées pour apporter un soutien matériel et moral dans les démarches administratives à accomplir.

Quid de la vie de la victime usurpée pendant ce temps judiciaire trop long ?

La vie de la victime est nécessairement affectée dans une plus ou moins grande mesure en fonction des actes délictuels commis par son usurpateur.

Tandis que son usurpateur souscrit des crédits, se marie, bénéfice de prestations sociales, voit ses frais médicaux pris en charge, commet des infractions au Code de la route… au détriment de la victime dont la vie et la construction de celle-ci sont dérobées.

Certains de mes clients dont l’identité a été usurpée ont reçu de la part d’amis ou d’agents privés ou publics les conseils suivants :

  • Faire en sorte de devenir interdit bancaire pour éviter la souscription de crédit par l’usurpateur. L’inconvénient est que cela empêche également la victime de souscrire des crédits quand veut construire un projet ou quand elle a besoin d’une aide financière temporaire.
  • Changer son nom de famille. L’inconvénient est que le nom patronymique est notre identité, il porte l’histoire de notre famille depuis des centaines d’années, des générations entières.

Au final, c’est demander à la victime de renoncer à son histoire, de renoncer à construire sa vie, à avancer sans aucune certitude sur le sort de son usurpateur, et à terme, la reprise du cours normal de sa vie.

Quid d’une identité alias pour la victime ?

Ce système d’une « identité alias » permettrait à la victime de :

  • Déclarer son identité usurpée aux autorités. Des vérifications utiles doivent être faites pour établir, préalablement - à la plainte - que la personne déclarant le vol d’identité est bien la victime et non l’usurpateur (oui certains sont très malicieux). Des questions concrètes doivent être fournies sur l’histoire de la victime, étayées par des pièces ou via la consultation de proches.
  • L’identité de la victime sera ainsi déclarée dans un fichier unique disponible à toutes les autorités publiques et organismes privés qui seront dans l’obligation de le consulter avant d’accorder quelque aide, crédit, déclaration. Contraignant ainsi l’usurpateur à devoir apporter des éléments de preuve concrets sur la réalité de son identité dont il se prétend.
  • La victime bénéficiera de nouveaux papiers sous son propre nom, mais avec des numéros différents ou la mention alias lui permettant de poursuivre sa vie de façon normale et surtout paisible.

Il serait intéressant que les pouvoirs publics se penchent sur cette solution.

Rachel Nakache
Avocat au barreau de Paris

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