Jacques Seguela disait en 2009 "si à 50 ans on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie". Prenons acte de cette affirmation légèrement arbitraire. Imaginons qu’à 60 ans, conquis par les montres connectées, assiégé par votre progéniture qui vous affirme que sans votre financement pour ce fameux MBA dans une université transatlantique sa vie est fichue, vous vous résolvez à vendre votre montre de luxe.
Lorsque vous l’aviez achetée, à l’âge de 48 ans, vous aviez choisi, sur les conseils d’un ami connaisseur, une montre « vintage ». Elle valait alors 35 000 euros. 12 ans après, sa côte a augmenté très sensiblement (elle vaut près de 60 000 euros).
Pour déterminer vos gains potentiels, il faut réfléchir à la fiscalité de la vente car, pour un résident fiscal français comme vous, rares sont les opérations qui ne font pas l’objet, au minimum, d’une ligne ou deux dans le Code général des impôts.
Votre brillant avocat fiscaliste évoque avec vous la taxe sur les objets et métaux précieux [1]. La première question est de savoir si la cession de votre montre entre dans le champ d’application de cette taxe.
Selon l’article 150 VI du CGI, la taxe vise les « bijoux, d’objets d’art, de collection ou d’antiquité ». La montre doit-elle être considérée comme un « bijou » voire un objet « de collection ».
Sur la qualification de bijou, la jurisprudence récente s’était montrée hésitante. Certains juges ont exigé, pour être qualifiées de bijoux, que les montres soient composées de métaux précieux ou comportant des perles, des pierres précieuses ou des diamants. D’autres ont considéré qu’alors même que les montres ne seraient pas composées de métaux précieux, la taxe serait applicable.
Le Conseil d’Etat a éclairé le débat par un arrêt du 12 décembre 2023 (n°470249, min. c/ Sté Paris Heure). La Haute assemblée a décidé que les bijoux, au sens et pour l’application de la taxe, « s’entendent des objets ouvragés, précieux par la matière ou par le travail, destinés à être portés à titre de parure, y compris lorsqu’ils ne sont pas composés de métaux précieux ».
En fonction de cette définition une Cour administrative devra décider si les montres doivent être considérées comme des bijoux. Concernant des montres d’une valeur supérieure à 5 000 euros (les biens d’une valeur inférieure ne sont pas concernés par la taxe), la question de savoir si elles sont portées à titre de « parure » est effectivement intéressante. Sur ce point, la rapporteure publique dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, précisait « que le port d’une montre d’exception joue une fonction analogue à celui d’un joyau précieux, ou même d’une simple chevalière ». Selon elle, une montre d’exception serait donc portée à titre de parure. Le temps de fabrication d’un tel objet renforce également son caractère précieux au sens de la définition donnée par le Conseil d’Etat.
Sur la qualification d’objet de collection, le Conseil d’Etat n’a pas apporté d’éclairage. La rapporteure publique a néanmoins précisé qu’il est souhaitable de se référer à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle ces objets sont ceux qui sont relativement rares, ne sont pas normalement utilisés conformément à leur destination initiale (sans pour autant exclure que leurs qualités fonctionnelles puissent rester intactes), font l’objet de transactions spéciales en dehors du commerce habituel des objets similaires utilisables et ont une valeur élevée [2]. Une montre d’exception pourrait également, semble-t-il, rentrer dans cette catégorie.
Dans ce contexte, pour la cession de votre montre, il faut faire le calcul de la taxe. Nous avions dans un article récent [3] montré les modalités de calcul de la taxe et la possibilité d’une option (irrévocable) pour l’imposition des plus-values à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des plus-values des particuliers sur biens meubles [4].
En tout état de cause, même si la cession de la montre échappait à la taxe sur les objets précieux, elle pourrait faire l’objet d’une taxation dans le cadre desdites plus-values des particuliers.
De surcroît, puisque les deux taxations ne se cumulent pas, il est intéressant de vérifier l’impact financier concret des deux hypothèses.
Ainsi, en l’espèce, la taxe sur les objets précieux s’élèverait à :
60 000 x 6,5% = 3 900 euros
Sous réserve que vous ayez gardé l’ensemble des justificatifs, la taxation de la plus-value serait la suivante :
(60 000 - 35 000) = 25 000 euros
25 000 x 50% (abattement pour durée de détention) = 12 500 euros
12 500 euros x 36,2% (impôt sur le revenu et prélèvement sociaux) = 4 525 euros
Il en résulte que pour des montres acquises assez récemment et dans l’hypothèse d’une plus-value significative, l’application de la taxe sur les objets précieux n’est pas nécessairement défavorable sur le plan fiscal. La cour administrative d’appel de renvoi dira, dans les prochains mois, si cette application est confirmée. A suivre…
Discussions en cours :
Bonjour, merci pour cet article très intéressant. La cour administrative d’appel de renvoi a-t-elle donné plus d’informations depuis la publication de ce dernier ?
Sans faire de cas par cas, un acheteur compulsif qui achète et vend plusieurs montres de luxe à l’année par plaisir, parfois avec des bénéfices minimes (disons entre 200 et 300e) doit-il lui aussi déclarer les transactions (en choisissant à priori la taxe sur la plus-value, plus avantageuse dirons-nous) ?
Merci.
Bonjour,
Merci pour ce retour. Concernant l’arrêt de CAA de Paris, j’ai rédigé récemment un autre article : https://www.village-justice.com/articles/montres-luxe-arret-qui-confirme-leur-taxation-comme-bijoux,52071.html
Concernant le champ d’application de la taxe, c’est le montant de la cession qui importe (plus de 5 000 €) et non le bénéfice.
Bien à vous,
Gaël LE FAOU
Merci pour cet excellent et clair commentaire !
Merci beaucoup pour ce retour sympathique