Les confrères qui n’ont pas vécu cette scène l’imagineront sans peine :
Un hôpital, quelque part en France, un samedi matin.
En présence : le médecin conseil de la Compagnie d’assurances et la victime d’un accident, assistée de son médecin de recours et … de son avocat.
Un expert judiciaire - personnalité haute en couleurs - qui feint l’étonnement :
"Un avocat dans une expertise médicale, mais pour quoi faire ?" avant de concéder, devant le dossier soigneusement préparé par ce dernier, que l’avocat reste encore l’antidote le plus efficace contre le redoutable "syndrome du sac plastique" ’(sic !).
Vous savez bien, ce sac où la victime a entassé en vrac - ou dans un ordre qu’elle seule connaît, ce qui revient au même - certificat médical nitial, prescriptions, arrêts de travail, bordereaux de remboursement de Sécurité Sociale, seuls les examens d’imagerie échappant (-à cause de leur taille !-), à ce classement aléatoire …
Mais si l’avocat de victimes était un peu plus qu’un simple remède au "sac plastique" ?
Telle est notre réflexion, fruit d’une pratique de longue date de la défense des victimes de préjudices corporels.
I – L’avocat, souvent premier contact entre le blessé et le monde médico-légal, doit être "le fil d’ariane" de la victime dans le maquis de l’évaluation médico-légale.
1 – Le choix du médecin de recours
Ce choix est actuellement facilité par l’existence d’une association de médecins conseils de victimes qui s’interdisent de se mettre au service des assureurs : l’ANAMEVA. Cette association regroupe des médecins généralistes et spécialistes de toutes les régions de France, compétents en réparation du dommage corporel et dont elle assure la formation continue.
Dans un grand nombre de cas, l’avocat sera en contact avec la victime avant même le médecin de recours, vers lequel il devra diriger son client.
A compétences égales, il devra faire un choix judicieux entre :
les personnalités (tel médecin de recours d’un abord sévère sera peut-être moins bien perçu par une victime fragile au plan psychique, et à l’inverse, tel autre, chaleureux en diable, mais moins rigoureux dans sa gestion du dossier, ne répondra pas forcément à l’attente du client obsessionnel quant au classement des pièces médicales ...)
mais surtout les spécialités (à quoi bon saisir le généraliste d’un accident médical complexe en obstétrique ?)
Ayant déjà reçu la victime et l’ayant écoutée, l’avocat ne saurait se contenter de "donner une adresse".
Adoptant en cela un usage courant en matière médicale, il fera précéder la visite de son client chez le médecin de recours pressenti, d’une lettre d’accompagnement donnant les éléments d’information les plus utiles à ses yeux et exprimant avec précision ses attentes.
2 – Une pré-réflexion médico-légale
Au prétexte qu’un médecin de recours va intervenir dans la défense des intérêts du blessé, l’avocat doit-il s’abstraire de toute réflexion sur les dommages corporels de la victime ?
Evidemment non !
Les rendez-vous avec la victime doivent rester des moments précieux, où la plainte du blessé est entendue.
Cela doit permettre à l’avocat d’instruire son dossier en conformité avec la nomenclature actuelle (durée d’hospitalisation, frais de soins restés à charge, arrêts de travail, photographies établissant un préjudice esthétique temporaire, éléments justifiant d’un préjudice d’agrément spécifique, d’une incidence professionnelle …).
Mais au-delà, il devra réfléchir de façon "dynamique" à la préparation de l’expertise à venir :
En présence de lésions médullaires par exemple, il pourra solliciter un ergothérapeute, afin d’apprécier les besoins en aide humaine et aide technique.
Devant un cérébro-lésé se plaignant de troubles cognitifs ou d’une gêne visuelle non encore bilantée, il devra suggérer au médecin conseil la mise en œuvre d’un bilan neuropsychologique, d’une IRM cérébrale, d’un bilan ophtalmologique ...
C’est dans cet échange que la relation de ce "tandem" ou de ce "couple rêvé" sera vraiment profitable.
Elle se situe, comme on le voit, incontestablement en "amont" de l’expertise.
II – L’avocat doit accompagner voire stimuler, l’énergie de son client pour constituer son dossier.
Pour la victime, il y a souvent "l’avant" et "l’après".
Depuis le traumatisme, "rien n’est plus comme autrefois !" nous explique-t-elle.
Mais de là à exprimer avec précision ce qu’elle a perdu en capacité et en qualité de vie, il y a un grand pas …
Aussi, son avocat doit-il la stimuler, lui faire comprendre que chaque demande doit être corrélée par une preuve dans ce monde inconnu pour elle, où médecine et droit s’imbriquent : "une affirmation : une pièce". Cela doit devenir le credo commun.
C’est pourquoi, très rapidement, l’avocat devra solliciter l’Organisme social, pour en cerner les prestations et la créance et insister auprès de son client pour qu’il lui apporte un dossier médical complet.
Cela ne va pas toujours de soi : tel patient se plaint de troubles psychologiques, mais ne consulte que son médecin généraliste. Il est impératif, pour l’expertise médicale, que ce dernier documente, dans un certificat médical détaillé, les soins apportés à son patient sur cet aspect de sa pathologie et que les prescriptions d’antidépresseurs par exemple soient également produites.
III – L’avocat de victimes doit être un acteur décisif dans le choix de la mission de l’expertise médicale
1 – Le choix de la mission d’expertise
L’avocat de victimes a plus que jamais son mot à dire dans la mission d’expertise retenue.
Il ne suffit pas à cet égard de déplorer que les "missions de droit commun 2006" et "grand handicap" proposées par l’AREDOC ne comportent, ni l’une ni l’autre, contrairement à la nomenclature DINTILHAC, de questions spécifiques portant sur :
les besoins d’aide humaine avant consolidation,
les taux de déficit fonctionnel temporaire partiel,
le préjudice esthétique temporaire,
le préjudice d’établissement,
les possibilités de reconversion professionnelle
ou même les fourchettes d’évaluation en l’absence de consolidation …
De telles lacunes sont inacceptables pour les grands préjudices. Que l’on songe en particulier aux cérébro-lésés qui présentent souvent des handicaps esthétiques très importants dans la période temporaire (période de coma, de reprise de la locomotion), des besoins en tierce personne très lourds lorsqu’ils regagnent leur domicile, et pour qui hélas fonder une famille relève de l’utopie !
Or, on sait bien qu’il est difficile pour un expert de se prononcer sur un poste qui ne figure pas dans le canevas de la mission qui lui est confiée !
De la même façon, les missions d’expertise muettes sur la question relative aux "fourchettes" des préjudices à venir, se révèlent très vite pénalisantes – on le sait bien - pour obtenir des provisions.
2 - Le choix de l’expert
Celui-ci n’est pas anodin.
Si l’on peut admettre le principe d’une expertise amiable se déroulant entre le médecin conseil de la victime et celui de la compagnie d’assurances, encore faut-il que ce soit dans le cadre d’un dialogue équilibré entre deux médecins disposant de la même qualité d’écoute et d’un respect mutuel.
Dans cette conception, il n’est pas choquant que l’avocat de victime exprime son opinion quant au choix du médecin conseil adverse pressenti.
IV – L’avocat doit préparer le dossier avec son client et/ou le médecin conseil de victimes, et présenter ses pièces en fonction des questions de la mission.
Nous ne sommes plus au temps où l’avocat "déléguait" le médecin conseil de victimes à l’expertise médicale et lui disait de "faire au mieux".
Dans les cas graves, l’avocat doit être présent à l’accédit, mais cela n’a de sens que s’il a préparé à l’avance son dossier, en ayant rencontré la victime.
La nomenclature DINTILHAC a, dans une certaine mesure, "densifié" -("complexifié" diront certains)- les questions relatives au déficit fonctionnel temporaire par exemple.
C’est pourquoi beaucoup plus qu’auparavant, il appartiendra à l’avocat d’examiner chaque question de la mission et de classer, en fonction de la nomenclature ou de ses questions, les pièces utiles à l’expertise.
Ainsi, depuis la généralisation de la nomenclature DINTILHAC, il nous paraît souhaitable que l’avocat de la victime transmette, avant l’accédit, à l’expert judiciaire, au médecin de recours et au médecin de la Compagnie du tiers responsable, les documents et informations suivants, pour apprécier :
les Déficits Fonctionnels Temporaires (total et partiel) et les besoins en aide humaine pendant cette période
au moyen …
des Certificats d’hospitalisation (Les dates d’hospitalisation pourront être utilement mentionnées).
de toutes informations sur l’état de dépendance de la victime pendant les périodes de retour à domicile (fauteuil roulant, nécessité d’une aide à la toilette, présence familiale continuelle, etc …).
des justificatifs de reprises du travail à temps partiel.
Le préjudice esthétique temporaire éventuel
au moyen …
de photographies, d’attestations par exemple
Les souffrances endurées
constituées par …
le "vécu" du traumatisme initial par la victime,
les durées d’hospitalisation,
le nombre de cures chirurgicales,
la durée de la kinésithérapie,
les accidents pouvant émailler la convalescence (algodystrophie, arthrose, etc …),
tout élément d’ordre psychique ou moral accentuant les souffrances de la victime pendant cette période avec prescription d’antidépresseurs, certificats médicaux, etc …
Le déficit fonctionnel permanent ou AIPP
avec en particulier…
les doléances du plaignant (l’avocat aidera à cet égard son client, à exprimer les différents aspects de son préjudice.)
une attention particulière à la persistance de douleurs postérieures à la consolidation qui entraînent souvent une atteinte considérable à la qualité de vie du blessé.
Selon la nomenclature actuelle, elles doivent être intégrées dans le déficit fonctionnel permanent.
L’incidence professionnelle de l’accident :
si elle engendre une pénibilité ou une dévalorisation sur le marché du travail, elle devra être décrite par le médecin (douleurs, fatigabilité, gêne pour l’accomplissement de certains gestes…)
s’il s’agit d’un reclassement dans l’entreprise (avec ou sans perte de revenus), elle devra être étayée par des justificatifs émanant de l’employeur.
Les besoins en aide humaine postérieures à la consolidation :
Ils pourront faire l’objet d’une étude par ergothérapeute.
Le récit de la "journée type" ou mieux encore d’une "semaine type" pourra être utilement préparé et remis à l’expert.
L’existence d’un préjudice d’agrément spécifique nous impose aujourd’hui une plus grande exigence quant à la démonstration des activités d’agrément particulières dont la victime se trouve privée, du fait de ses séquelles.
S’agissant plus particulièrement des actions en responsabilité médicale, les pièces transmises à l’expert devront être classées par ordre chronologique, en distinguant les différents lieux d’hospitalisation et les acteurs de soins successifs.
Ainsi, il peut être intéressant en ce cas de suivre ce canevas indicatif :
pièces 1.1 et suivantes : tous les éléments en relation avec l’activité professionnelle et les activités d’agrément et la vie de la victime avant l’acte médical en cause,
pièces 2.1 et suivantes : la pathologie qui a justifié l’acte médical litigieux,
pièces 3.1 et suivantes : la première intervention chirurgicale (avec l’information écrite préalable, le compte rendu opératoire),
pièces 4.1 et suivantes : les suites de soins et prise en charge en centre de rééducation, par exemple,
pièces 5.1 et suivantes : la situation de la victime contemporaine au moment de l’expertise au plan médical,
en pièces 6.1 et suivantes : la situation actuelle de la victime sur le plan socio-professionnel : arrêts de travail, avis d’inaptitude professionnelle, avis CDAPH , pension d’invalidité, etc …
On voit qu’on est bien loin du "sac plastique" …
V – Le jour de l’expertise, l’avocat doit être présent.
L’expertise est un rendez-vous majeur dans l’histoire d’un blessé.
Aussi est-il important que l’avocat soit présent et, aux côtés du médecin conseil, le rassure et le laisse pleinement s’exprimer.
L’avocat ne doit intervenir qu’avec circonspection au stade de la relation des faits, lorsqu’il a le sentiment qu’un point décisif a été insuffisamment souligné par la victime.
Il doit naturellement s’effacer au stade de l’examen (sauf volonté expresse de la victime de le voir y assister).
Au stade du débat conclusif, il devra être attentif à ce que tous les points de la mission soient vidés et toutes les questions évoquées.
Il devra apporter des arguments humains et sociaux pour convaincre l’expert du bien-fondé de certaines positions quant à :
la dépendance de la victime par exemple au moment de son retour à domicile,
ses besoins actuels en tierce personne,
la nécessité d’aménager son véhicule, son logement,
la modification de son emploi ou l’incidence des séquelles sur sa vie professionnelle,
la perception de la victime de son image corporelle,
l’existence de troubles sexuels, pour lesquels il aura pu, en tant que de besoin, inviter le ou la blessé(e) à s’exprimer par écrit.
En cas de points de désaccord, il n’hésitera pas à établir un "dire" à l’expert judiciaire, dans une forme courtoise, mais non exempte, s’il le faut, de fermeté.
Comme on le voit, dans cette conception, l’avocat n’est plus un simple spectateur de l’expertise médicale, à laquelle il devra participer, non en coulisses, non comme un simple figurant, mais pas davantage comme premier rôle.
En effet, il ne doit jamais perdre de vue que l’examen médico-légal est le temps de la victime et que c’est elle qui est au centre de l’intérêt des médecins.
En conclusion, ayant pleinement œuvré pour rassurer, renseigner et guider son client dans l’obtention de documents justifiant de ses différents préjudices, l’avocat peut « recycler » le sac plastique de la victime pour le moment-clé de l’expertise…
Dominique ARCADIO,
Avocat au Barreau de LYON, spécialisation en Réparation du préjudice corporel