Introduction.
Au fil du temps, les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont devenues indispensables dans de nombreux domaines, y compris celui de la justice. Cette évolution numérique a eu un impact significatif sur les pratiques judiciaires dans la plupart des pays, y compris au Maroc. Le système judiciaire marocain, confronté à des problèmes de lenteur et de complexité dans ses procédures, a progressivement adopté ces nouvelles technologies au cours des dernières années. L’objectif est de moderniser le système judiciaire et d’améliorer l’accès aux services juridiques grâce aux différents portails électroniques disponibles pour les justiciables.
La justice, souvent critiquée pour son inefficacité, cherche désormais à se moderniser en adoptant la numérisation et la juridiction numérique. De nos jours, la révolution numérique a mis en lumière les opportunités d’intégration progressive des technologies numériques dans toutes les activités juridiques. Les objectifs de la dématérialisation comprennent l’amélioration, le renforcement, la promotion et l’adaptation aux évolutions technologiques. Le Maroc a réalisé d’importants progrès dans la numérisation de son système judiciaire, ce qui représente un changement majeur pour rendre la justice plus accessible et efficace.
I) La Justice numérique : concept et critères.
La transition vers la justice numérique au Maroc représente une avancée majeure dans l’efficacité, la rapidité, la simplicité et l’accessibilité des services judiciaires, en exploitant les technologies de l’information et de la communication [1]. Cette évolution engendre des bénéfices significatifs tant sur le plan opérationnel que sur le plan légal. D’un point de vue opérationnel, la justice numérique se caractérise par une optimisation des processus judiciaires, incluant la diminution des dépenses liées aux transports des détenus, la rapidité des décisions judiciaires, la simplification des procédures, ainsi qu’une contribution à la transparence et à la lutte contre la corruption. En outre, elle rapproche la justice des citoyens, renforçant ainsi la confiance envers le système judiciaire.
La mise en œuvre efficace de la justice numérique au Maroc nécessite la satisfaction de diverses exigences techniques. Il est crucial d’établir une infrastructure numérique solide, en dotant les tribunaux d’équipements informatiques adéquats, en généralisant l’accès à internet et en garantissant la sécurisation des données juridiques par le biais de systèmes de cryptage. Parallèlement, la formation du personnel judiciaire et des autres acteurs du domaine judiciaire est indispensable pour assurer une transition numérique réussie. Cette démarche de dématérialisation contribuera également à désengorger les tribunaux, en réduisant l’afflux de justiciables et en permettant aux différents professionnels de droit de mener certaines démarches sans se déplacer physiquement.
Sur le plan légal, le Maroc a mis en place un cadre juridique solide pour encadrer l’échange de données électroniques et protéger les données personnelles contre les cybermenaces. La loi relative à l’échange des données juridiques 05-53 [2] et la loi 07-03 [3] complétant le Code pénal en matière d’infractions liées aux systèmes informatiques régissent respectivement l’échange de données électroniques et les sanctions en cas d’intrusions informatiques. De plus, la loi 09-08 [4] sur la protection des données personnelles définit le régime applicable aux données électroniques, établit l’équivalence entre documents papier et électroniques, et réglemente l’utilisation de la signature électronique. La loi n° 05-20 [5] relative à la cybersécurité et la loi 43-20 [6] relative aux services de confiance pour les transactions électroniques.
La modernisation des services judiciaires au Maroc représente un défi majeur entrepris par le ministère de la justice, avec le lancement de plusieurs initiatives telles que l’application mahakim.ma. Cette plateforme offre aux citoyens la possibilité de suivre à distance le traitement de leurs affaires, aux demandeurs de casiers judiciaires de consulter leurs demandes et d’accéder aux informations sur l’inscription aux registres de commerce. Dans un contexte global, les États sont incités à numériser leurs systèmes judiciaires pour garantir des résultats de qualité, dans des délais raisonnables, afin d’assurer une justice efficace et efficiente [7]. La dématérialisation se traduit par une accélération des procédures judiciaires, une caractéristique souvent considérée comme cruciale par les justiciables. Initialement, les premières technologies liées à la cyber justice visaient à familiariser le personnel judiciaire avec les outils technologiques, se concentrant principalement sur la collecte et le stockage des informations ainsi que sur l’utilisation de l’informatique pour les tâches administratives [8]. La rapidité dans le traitement judiciaire est essentielle pour trois raisons principales : la réduction des délais judiciaires, les avancées procédurales et l’intervention du droit pour promouvoir cette rapidité.
Le Maroc a franchi des étapes significatives en adoptant des lois sur la signature électronique et la confiance numérique, facilitant ainsi la gestion des dossiers et réduisant les coûts et les délais liés aux échanges de documents papier. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) simplifient le travail des magistrats et des greffiers en leur offrant un accès instantané aux dossiers et un suivi en temps réel depuis leur bureau. La dématérialisation facilite également l’échange rapide de pièces et de documents entre les différentes parties impliquées dans une affaire. Cette fluidité dans les échanges influence directement la célérité des affaires et renforce le principe du contradictoire en permettant un accès immédiat aux informations sur le dossier et son avancement.
La dématérialisation incarne un espoir pour une justice efficace et efficiente. Cependant, pour garantir cette efficacité, il est crucial que les normes de procédure respectent les principes fondamentaux assurant la qualité des décisions judiciaires, la rapidité des jugements ainsi que l’égalité des parties dans le procès [9]. Ces étapes impliquent donc la numérisation des données juridiques et l’utilisation de technologies appropriées. Malgré les nombreux avantages de la dématérialisation des procédures judiciaires, certaines limites actuelles entravent son plein déploiement, nécessitant ainsi une analyse approfondie et une adaptation continue des systèmes pour répondre aux besoins des citoyens et garantir des services de qualité dans des délais raisonnables, dans le cadre des différents projets de transformation numérique du domaine judiciaire.
Actuellement, malgré les modestes avancées observées, le portail "Mahakim.ma" se positionne comme le principal référent dans le paysage de la modernisation judiciaire au Maroc. Cette plateforme ambitionne de devenir le carrefour central des échanges électroniques en hébergeant une base de données spécifiquement dédiée aux notifications électroniques. Ces notifications incluent les coordonnées électroniques des différents acteurs du domaine juridique, tels que les avocats, les notaires, les huissiers de justice, les experts judiciaires, ainsi que toute personne ayant un intérêt légitime et faisant une demande. Ce processus de dématérialisation englobe également les convocations judiciaires. Il est à noter que ce nouveau système opérera en parallèle avec les méthodes traditionnelles, sans les remplacer intégralement.
L’orientation stratégique du Maroc vers la modernisation de son système judiciaire à travers la dématérialisation, avec pour vision finale l’instauration d’une justice numérique, est indubitablement porteuse de nombreux avantages. En effet, cette opération vise à réduire les coûts, à optimiser les délais, à garantir la transparence dans le traitement des affaires, ainsi qu’à faciliter l’accès aux données judiciaires de manière efficace et sécurisée [10]. La dématérialisation et la digitalisation revêtent une importance capitale pour l’ensemble des acteurs impliqués dans les procédures judiciaires. Ce virage vers le numérique promet non seulement une gestion plus efficace des affaires judiciaires mais également une démocratisation de l’accès à la justice, et un renforcement de la confiance des citoyens dans le système judiciaire.
II) Les barrières et limites de la digitalisation du secteur de justice.
La transition vers la justice électronique au Maroc se heurte à divers défis qui entravent son plein développement. Ces obstacles sont notamment liés à la nécessité de garantir la sécurité, la protection et la confidentialité des opérations, ainsi qu’au fossé numérique et à l’alphabétisation informatique inégale des justiciables, susceptibles de créer des disparités entre eux. Les contraintes d’ordre juridique occupent une place prépondérante parmi les freins actuels à la digitalisation de l’administration judiciaire. En effet, la protection des transactions électroniques et les données partagées sur internet, ainsi que la préservation de la confidentialité de ces informations personnelles, sont des défis cruciaux.
La sécurité demeure une préoccupation centrale dans ce contexte, puisque la dématérialisation doit préserver le secret professionnel, la vie privée et la confidentialité des données personnelles des justiciables. Il est primordial que l’informatique serve les citoyens sans porter atteinte à leurs droits et libertés individuels ni divulguer des informations confidentielles. La protection de la vie privée et la sécurisation des procédures jouent également un rôle crucial. Le stockage de toutes les données à caractère personnel et professionnel doit être sécurisé pour éviter toute altération ou interruption compromettant leur fiabilité. Cela nécessite la mise en place de mesures de cryptage et de sécurisation des échanges électroniques afin de garantir l’intégrité et la confidentialité des informations partagées.
Par ailleurs, il est important de considérer les obstacles d’ordre psychologique et personnel, tels que l’analphabétisme informatique et l’inaccessibilité aux outils technologiques, qui impactent significativement le développement de la justice numérique. Cette réalité est accentuée par la méfiance générale des citoyens envers les innovations technologiques, ce qui risque de créer une disparité dans l’accès à la justice, notamment en termes d’égalité des chances et de compréhension des procédures dématérialisées. En somme, ces divers défis juridiques, techniques et sociaux nécessitent une approche stratégique et globale pour surmonter les barrières à la digitalisation du secteur judiciaire au Maroc et garantir une transition réussie vers une justice numérique inclusive et efficace.
L’implémentation de la dématérialisation dans le domaine judiciaire suscite des préoccupations quant à l’accès équitable pour tous les justiciables. D’un côté, certains disposent des moyens financiers, des compétences techniques et numériques nécessaires, tandis que d’autres ne les possèdent pas. De plus, il existe des individus qui se trouvent dans une situation de désavantage, étant peu familiers avec la technologie, tels que les personnes âgées, celles ayant des difficultés significatives en lecture ou en écriture, ainsi que celles touchées par l’analphabétisme numérique. En outre, il y a ceux qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour s’adapter aux exigences technologiques. L’absence de compétences numériques peut engendrer des situations d’isolement social et d’exclusion [11]. Ces citoyens expriment souvent de la méfiance envers les technologies, craignant les fraudes et réticents à partager leurs informations personnelles en ligne. Ils préfèrent le contact direct pour voir et évaluer les situations en personne, ce qui peut constituer un obstacle à l’adoption généralisée de la dématérialisation dans le domaine judiciaire.
Le Maroc, tout comme de nombreux autres pays, est confronté à une importante disparité entre les citadins et les ruraux, créant ainsi une fracture numérique [12]. Les habitants des zones rurales sont largement exclus des avantages offerts par les nouvelles technologies de l’information et de la communication en raison de l’inaccessibilité au réseau internet, notamment en raison des coûts élevés associés à son utilisation. Cette situation requiert un accès adéquat à internet pour tous les acteurs impliqués dans les procédures judiciaires afin de pouvoir communiquer électroniquement avec les tribunaux. De plus, l’incapacité des justiciables à utiliser la technologie pour présenter leurs affaires devant le tribunal constitue une préoccupation majeure [13]. Malgré ces obstacles, il est possible de les surmonter en investissant davantage dans la formation des justiciables à l’utilisation des outils informatiques. L’objectif ultime de la réforme judiciaire par le biais de l’innovation technologique est d’offrir des services judiciaires plus adaptés aux attentes des justiciables.
Le volet sécuritaire reste une préoccupation majeure, traitée avec prudence par l’exécutif. La loi 05.20 relative à la cybersécurité a été mise en place, accompagnée de commissions et autorités nationales pour soutenir les institutions dans la sécurisation de leurs données et la gestion de la cybersécurité. La protection des données revêt une importance capitale dans le domaine judiciaire. Le défi majeur réside dans la gestion efficace d’un grand nombre d’affaires tout en préservant leur confidentialité. La transition vers un système numérique nécessite une attention particulière pour assurer un cadre juridique adapté à cette phase délicate. De plus, la formation des professionnels de la Justice constitue un autre défi, favorisant ainsi l’adhésion de tous les acteurs au processus de digitalisation.
Pour surmonter ces défis, il est essentiel de renforcer d’abord le cadre juridique. Ensuite, il est nécessaire d’organiser davantage de sessions de formation pour les professionnels de la justice et de mener des campagnes de sensibilisation auprès des citoyens. Enfin, il est primordial de promouvoir la transparence pour accroître la confiance des utilisateurs dans le système judiciaire.
Conclusion.
En conclusion, la transition vers une justice numérique au Maroc marque une avancée significative dans la modernisation du système judiciaire, offrant des gains en termes de rapidité, d’efficacité et d’accessibilité. La dématérialisation des procédures judiciaires s’inscrit dans un cadre plus large de digitalisation des services publics, visant à rapprocher la justice des citoyens tout en renforçant la transparence et la lutte contre la corruption. Cependant, cette transition n’est pas exempte de défis. Les barrières techniques, juridiques et sociales, notamment liées à la sécurité des données, à l’analphabétisme numérique et aux inégalités d’accès aux technologies, soulignent la nécessité d’une approche globale. Le renforcement du cadre juridique, la formation des professionnels de la justice, ainsi que la sensibilisation des citoyens, apparaissent comme des étapes cruciales pour garantir une transformation réussie vers une justice plus inclusive et adaptée aux besoins de la société marocaine. En définitive, la digitalisation de la justice doit être perçue non seulement comme un outil d’efficacité, mais aussi comme un levier de confiance et d’équité dans l’accès au droit.