Introduction.
En cette rentrée judiciaire, deux réformes phares sont sur toutes les lèvres :
- Celle de première instance issue du décret du 3 juillet 2024, baptisée « Magicobus 1 »,
- Celle de la procédure d’appel, issue du décret du 29 décembre 2023.
La « simplification » est en marche, selon les intitulés de ces deux décrets.
De façon subtile, l’amiable est venu pointer le bout de son nez dans le décret du 29 décembre 2023 entré en vigueur le 1ᵉʳ septembre dernier.
Quelques rappels.
Depuis quelques années, gentiment mais surement, l’amiable joue des coudes au sein du processus judiciaire.
De façon non exhaustive, on peut citer, parmi les étapes les plus marquantes ces dernières années :
- La création de la médiation judiciaire, selon décret du 22 juillet 1996, qui figure aux articles 131-1 et suivants du CPC.
- La création, par la loi du 17 juin 2008, d’un effet suspensif de prescription à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation [1].
- La création de la convention de procédure participative avant tout procès [2], et l’effet suspensif de prescription qui en découle [3], issus de la Loi du 22 décembre 2010.
- La création au sein du CPC, du Livre V « La résolution amiable des différends » (Articles 1528 à 1571), issu du décret du 20 janvier 2012 qui intègre la médiation et la conciliation conventionnelles, et la procédure participative aux fins de mise en état.
- Celle issue du décret du 11 mars 2015, obligeant les parties à faire figurer dans leur assignation, sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige [4].
- Celle issue de l’article 750-1 du CPC [5] qui, après un aller-retour au Conseil d’Etat, dispose qu’à peine d’irrecevabilité pouvant être relevée d’office et sauf exceptions prévues par le texte, l’obligation de rechercher une tentative amiable avant tout procès, par le biais d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, une tentative de médiation ou une tentative de procédure participative pour les litiges :
- inférieurs à 5 000 euros
- ou lorsque le différend a trait aux actions mentionnées aux articles R211-3-4 et R211-3-8
- ou à un trouble anormal du voisinage.
- La faculté donnée au juge de proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation à défaut pour les parties de justifier des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige avant l’introduction de l’instance (art. 127 CPC).
- Le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023, qui inscrit dans le CPC l’Audience de Règlement Amiable (ARA) devant le tribunal judiciaire pour certains litiges.
Des MARD, donc, qui ne sont pas totalement nouveaux, mais qui peinent à entrer en pratique dans le paysage judiciaire, malgré une volonté affichée du législateur de proposer (voire d’imposer) aux parties d’y recourir.
La difficile mise en œuvre de la procédure participative aux fins de mise en état et de la médiation judiciaire devant la cour d’appel.
A fortiori, la procédure participative aux fins de mise en état [6], déjà (très, voire trop) peu usitée, tout comme la médiation judiciaire, ont d’autant moins convaincu au stade de la procédure d’appel.
Il a donc fallu se questionner sur les raisons de ce désintérêt, et la façon de les rendre attrayantes, y compris devant la Cour d’appel, en ces temps où les moyens dévolus à la justice sont réduits à une peau de chagrin, ce qui n’est pas sans incidence sur la longueur des procédures et les droits des justiciables.
Indépendamment du fait que la procédure participative et la médiation judiciaire sont méconnues, voire ignorées (volontairement ou non), le cours des délais Magendie instaurés par décret du 9 décembre 2009 imposait aux parties de poursuivre leurs diligences procédurales (pour signifier la déclaration d’appel, pour déposer, notifier, et signifier leurs conclusions) à peine de caducité de l’acte d’appel ou d’irrecevabilité des conclusions [7].
Incontestablement, l’accomplissement de ces obligations procédurales venait parasiter le processus de résolution amiable des litiges qu’offrent la procédure participative ou la médiation judiciaire.
Le décret du 6 mai 2017 fut un premier levier pour remédier à cette difficulté en consacrant un effet interruptif, sur le cours des délais Magendie, au bénéfice des parties ayant recours à une convention de procédure participative ou une médiation judiciaire.
S’agissant de la procédure participative, l’article 1546-2 du CPC (anc.) disposait ainsi que :
Devant la cour d’appel, l’information donnée au juge de la conclusion d’une convention de procédure participative entre toutes les parties à l’instance d’appel interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incidents mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910. L’interruption de ces délais produit ses effets jusqu’à l’information donnée au juge de l’extinction de la procédure participative.
L’article 910-2 du CPC (anc.), disposait, concernant la médiation judiciaire :
La décision qui enjoint aux parties de rencontrer un médiateur en application de l’article 127-1 ou qui ordonne une médiation en application de l’article 131-1 interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910. L’interruption produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur.
L’intention du législateur était louable, la mise en pratique moins évidente.
D’abord parce que, concernant la procédure participative aux fins de mise en état, les dispositions s’y rapportant ne figuraient pas aux chapitres relatifs à la procédure d’appel ; faute de visibilité et donc de lisibilité, ce mode amiable est resté inaperçu si bien que cela n’a guère augmenté le nombre de recours à ce mode alternatif de résolution du différend [8].
S’agissant de la médiation judiciaire, l’absence de pédagogie et de réticence évidente des praticiens de recourir à ce mode de règlement (souvent parce que l’on pense, parfois à tort, qu’au stade de l’appel l’amiable n’a plus sa place), n’ont pas favorisé sa mise en œuvre au sein des juridictions d’appel.
Enfin et surtout, il est apparu une difficulté d’interprétation liée à l’absence de définition de la notion d’« expiration de la mission du médiateur », ce qui n’est pas sans incidence sur la computation des délais Magendie et le risque qui en découle pour les parties au litige [9].
Nouveautés issues du décret du 29 décembre 2023.
Conscient du peu d’attrait des modes amiables au stade de l’appel, le législateur persévère avec le décret du 29 décembre 2023.
Le nouvel article 905 du CPC, en son alinéa 2, instaure une systématisation de la proposition du Greffe aux parties de conclure une convention de procédure participative aux fins de mise en état.
L’attrait de ce mode de règlement est renforcé au stade de l’appel par le fait que :
- L’avis du Greffe rappelle aux parties l’effet interruptif de la justification de la signature d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état sur le cours des délais prévu aux articles 906-2 nouveau et 908 à 910, jusqu’à l’information donnée, par la partie la plus diligente, au président de la chambre saisie, au magistrat désigné par le premier président ou au conseiller de la mise en état, de l’extinction de la procédure participative.
- Les dispositions du nouvel article 915-3, qui n’est autre que l’ancien article 1546-2, gagnent en en visibilité et en clarté en figurant aux dispositions propres à la cour d’appel, avec cette précision des modalités précises d’extinction de la procédure participative [10].
- En cas de signature d’une procédure participative de fin de mise en état, et lorsque l’instruction est déclarée close, l’affaire bénéficie d’une fixation prioritaire [11], ce qui est particulièrement séduisant au regard des délais d’audiencement actuels.
A l’égard de la médiation judiciaire, le décret met partiellement fin à une incertitude concernant la notion d’« expiration de la mission du médiateur », en précisant à l’article 915-3, 2° du CPC que l’effet interruptif du cours des délais prévus aux articles 906-2 nouveau, et 908 à 910, prend fin soit à l’achèvement du délai imparti aux parties pour rencontrer un médiateur, soit à l’achèvement de la mission du médiateur.
En l’absence de définition, il convient cependant de s’attendre à ce que la notion d’ « achèvement de la mission du médiateur » soit sujet à interprétations et à discussions.
Conclusion.
Au travers des réformes successives qui s’opèrent, l’amiable s’affirme au sein du paysage judiciaire.
Le décret du 29 décembre 2023, entré en vigueur le 1ᵉʳ septembre 2024, est applicable aux instances d’appel introduites à compter de cette date et aux instances reprises devant la cour d’appel à la suite d’un renvoi après cassation lorsque la juridiction de renvoi est saisie à compter de cette même date.
Et si ce décret procède avant tout d’une volonté de simplifier la procédure d’appel (entre deux ou trois chausse-trappes), il est cependant le parfait exemple d’un souhait de convaincre que le processus judiciaire, même au stade de la procédure d’appel, n’est pas exclusif de l’amiable.