Préambule.
Le droit de la construction connaît plusieurs garanties légales destinées à protéger le maître d’ouvrage des divers désordres trouvant leur siège dans la réalisation de travaux.
Parmi ces garanties figure celle dite « de bon fonctionnement », prévue à l’article 1792-3 du Code civil, qui dispose : « Les autres éléments d’équipement de l’ouvrage font l’objet d’une garantie de bon fonctionnement d’une durée minimale de deux ans à compter de sa réception ».
Cette garantie porte sur les éléments d’équipement dissociables qui sont destinés à fonctionner (a contrario Civ. 3ème, 11 septembre 2013, n° 12-19.483 : s’agissant d’un carrelage qui ne saurait être assimilé à un élément d’équipement destiné à « fonctionner »).
Le maitre d’ouvrage dispose donc d’un délai de deux ans à compter de la réception des travaux pour engager la responsabilité du constructeur sur le fondement de la garantie légale de bon fonctionnement.
Aux termes d’un arrêt rendu le 25 janvier 1989 (n°86-11.806, PB), la Cour de cassation avait posé le principe selon lequel la garantie de bon fonctionnement est exclusive de tout autre fondement de responsabilité, en l’occurrence, au cas d’espèce, la responsabilité contractuelle de droit commun :
« Même s’ils ont comme origine une non-conformité aux stipulations contractuelles, les dommages qui relèvent d’une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à cette garantie, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun ».
Ainsi, le maitre d’ouvrage ne peut se fonder sur la responsabilité contractuelle de droit commun [1] pour contourner la forclusion de son action en justice qui aurait dû être engagée sur le fondement de la garantie de bon fonctionnement dans les 2 ans de la réception, dès lors que les conditions de cette garantie étaient réunies.
Plus de trente ans plus tard, la Haute juridiction maintient sa position.
En l’espèce.
Il s’infère de l’exposé des faits et de la procédure de l’arrêt commenté qu’à la suite de l’effondrement d’un mur de soutènement, une expertise amiable a conclu que l’origine du dommage était due à une importante arrivée d’eaux souterraines issue de travaux de réfection de réseaux enterrés d’évacuation des eaux usées, réalisés à la demande de deux propriétaires des fonds supérieurs
Les propriétaires de la parcelle du fonds situé en contrebas du mur litigieux ont assigné l’ensemble des propriétaires des fonds supérieurs ainsi que les entreprises mandatées au titre des travaux de réfection, sur le fondement du trouble anormal du voisinage.
Selon un arrêt rendu le 17 décembre 2019, la Cour d’appel de Fort-de-France a condamné lune des entreprises détentrices du contrat de louage d’ouvrage à indemniser les maîtres d’ouvrage-propriétaires des parcelles en amont desquelles le mur s’est effondré, du montant des travaux de reprise.
Le constructeur a formé un pourvoi en Cassation, faisant grief à l’arrêt :
D’avoir statué sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, alors que l’action relevait de la garantie légale de bon fonctionnement, exclusive de tout autre fondement de responsabilité ;
D’avoir rejeté son moyen d’irrecevabilité fondé sur la forclusion de l’action en garantie de bon fonctionnement.
Problématiques soulevées et portée de l’arrêt.
La solution dégagée par l’arrêt du 11 mai 2022, est identique à celle rendue plus de 30 ans plus tôt.
Au visa des articles 1792, 1792-3 et 1147 (dans sa version antérieure à la réforme du droit des obligations), la Cour de Cassation juge que :
« Les désordres relevant de la garantie décennale ou de la garantie biennale de bon fonctionnement auxquelles sont tenus les locateurs d’ouvrage ne peuvent être réparés sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun ».
Rappelant ce principe, la haute juridiction casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Fort-de-France, en ce que pour rejeter la fin de non-recevoir prise de la forclusion du délai de garantie biennale, et condamner l’entreprise à réparation, il a été jugé que la prestation réalisée, qui consistait en un simple remplacement d’une fosse septique par un épurateur, relevait de la seule responsabilité contractuelle de l’installateur et non de la garantie légale du constructeur.
La Cour de Cassation juge que la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision en s’abstenant de rechercher, comme il le lui était demandé, si les travaux des réseaux enterrés d’évacuation des eaux usées ne constituaient pas un ouvrage et si le dysfonctionnement affectant le filtre épurateur-percolateur ne relevait pas de la garantie de bon fonctionnement, exclusive de la responsabilité de droit commun.
La solution dégagée pour la garantie de bon fonctionnement est valable pour la garantie décennale du constructeur [2].
Dès lors que les conditions sont réunies pour mobiliser la garantie de bon fonctionnement, le maître d’ouvrage ne peut se fonder sur un autre fondement de responsabilité, notamment pour tenter d’échapper à l’irrecevabilité de son action au motif que celle-ci est atteinte de forclusion (specialia generalibus derogant).
Plusieurs enseignements :
La solution doit être saluée au regard du caractère d’ordre public de la garantie, auquel on ne saurait déroger ;
Ensuite, la solution est protectrice des intérêts du constructeur qui bénéficie d’un délai réduit de deux ans pendant lesquels sa responsabilité serait susceptible d’être engagée ;
Enfin, elle est également conforme aux intérêts du maître d’ouvrage qui n’aura pas à rapporter la preuve d’une faute, d’un manquement ou d’une négligence du constructeur au regard du caractère d’ordre public de la garantie légale de bon fonctionnement : dès lors que le désordre trouve son siège dans les travaux du constructeur impliqué, et que les conditions sont réunies, la garantie légale est applicable.