Hors du pays dont il a la nationalité, l’étranger a vocation à mener une vie épanouie.
Ce qui passe notamment par la possibilité d’exercer l’activité professionnelle ou de suivre la formation pour laquelle il est venu en France. Cela passe aussi par la possibilité de mener une vie familiale ; avec une famille fondée en France ou dans son pays d’origine. C’est à cette aspiration que répond le regroupement familial.
Le regroupement familial, qui concerne l’étranger non européen, doit être distingué de deux procédures voisines, la réunification familiale [1] et la procédure « famille accompagnante » [2].
Organisé par le décret n°76-383 du 29 avril 1976 du 29 avril 1976 relatif aux conditions d’entrée et de séjour en France des membres des familles des étrangers autorisés à résider en France, ce dispositif qui permet à un ressortissant étranger régulièrement installé en France d’être rejoint par les membres de sa famille (conjoint et enfants mineurs), a été conforté par des décisions des juridictions. L’on songe en particulier à l’arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat du 8 décembre 1978 [3] par lequel il a jugé
« qu’il résulte des principes généraux du droit et, notamment du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 auquel se réfère la constitution du 4 octobre 1958, que les étrangers résidant régulièrement en France ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale ; que ce droit comporte, en particulier, la faculté, pour ces étrangers, de faire venir auprès d’eux leur conjoint et leurs enfants mineurs ; que, s’il appartient au gouvernement, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, et sous réserve des engagements internationaux de la France, de définir les conditions d’exercice de ce doit pour en concilier le principe avec les nécessités tenant à l’ordre public et à la protection sociale des étrangers et de leur famille, ledit gouvernement ne peut interdire par voie de mesure générale l’occupation d’un emploi par les membres des familles des ressortissants étrangers ; que le décret est ainsi illégal et doit, en conséquence, être annulé » [4].
S’y est notamment ajoutée la Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial [5].
Le régime juridique du regroupement familial est aujourd’hui précisé par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile [6].
En France, la famille bénéficiaire se heurtera peut - être à quelques difficultés, en particulier à celles relatives à l’obtention [7] ou au retrait [8] du titre de séjour. Elles sont toutefois sans commune mesure avec celles qui précèdent et rendent possibles le voyage et l’entrée en France.
De fait, pour être mené à bien, le regroupement familial suppose deux autorisations qu’il n’est pas toujours aisé d’obtenir. Bien que liées, elles n’en sont pas moins distinctes : l’autorisation préfectorale de faire venir la famille (I), à laquelle l’on pense d’emblée ; l’autorisation consulaire d’entrer en France (II), que l’on oublie alors qu’elle est capitale.
I- L’autorisation préfectorale.
Des considérations relatives aux contours de la décision de l’autorité préfectorale (A) précèderont celles qui concernent les voies de recours (B), dans l’hypothèse où le demandeur s’est vu opposer un refus.
A- La décision du préfet.
Elle intervient à l’issue d’une instruction qui permet à l’administration de s’assurer que les conditions requises sont remplies, aussi bien par le demandeur que par la famille bénéficiaire.
1- Les conditions.
Les conditions à remplir par le demandeur.
La Régularité de la situation administrative.
Le demandeur doit justifier d’une résidence régulière en France depuis au moins 18 mois [9] et être en possession, au moment de la demande, d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an. La régularité du séjour doit plutôt être considérée comme un préalable, puisqu’elle ne figure pas dans la section 2 [10] du CESEDA dédiée aux conditions.
Les Ressources.
Les ressources du demandeur (ou celles de la famille) doivent être stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille.
Elles doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance pour une famille de deux ou trois personnes ; moyenne majorée d’un dixième pour une famille de quatre ou cinq personnes et d’un cinquième pour une famille de six personnes ou plus. Le montant moyen des ressources du demandeur est calculé sur la base des douze derniers mois qui précèdent le dépôt de la demande de regroupement familial.
Elles peuvent provenir de revenus issus d’un travail salarié ou non salarié, tirés de la gestion d’un patrimoine. Les ressources de l’époux sont également prises en compte, pour autant qu’il dispose de revenus qui continueront à lui être versés lorsqu’il quittera le pays. Les revenus de remplacement sont pris en compte.
Sont en revanche exclues, les prestations familiales (prestation d’accueil du jeune enfant, allocations familiales, allocation d’éducation de l’enfant handicapé, allocation de soutien familial, allocation de rentrée scolaire, allocation de parent isolé), le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), l’allocation temporaire d’attente pour les étrangers, l’allocation de solidarité spécifique (ASS), l’allocation équivalent retraite (AER) [11].
Le Logement.
Des conditions relatives au logement doivent également être satisfaites. Le demandeur doit disposer (ou justifier qu’il disposera à la date d’arrivée de sa famille en France) d’un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique. Peu importe qu’il soit locataire, sous-locataire (si le bail le permet) propriétaire ou hébergé, si la mise à disposition du logement est bien réelle [12] Le logement doit satisfaire à certaines conditions de salubrité et d’équipement [13] et présenter une superficie habitable minimum suivant la zone géographique où il est situé [14].
Le Respect des principes essentiels.
Du demandeur est attendu le respect des principes essentiels, qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d’accueil [15].
Des exemples de ces principes sont donnés dans la circulaire du 27 décembre 2006 du ministre de l’intérieur : égalité de l’homme et de la femme, monogamie [16], respect de l’intégrité physique des enfants et des adolescents, respect de la liberté du mariage, assiduité scolaire, respect des différences ethniques et religieuses.
Les conditions à remplir par les membres de la famille.
Résider à l’étranger.
En principe, le regroupement familial ne peut être autorisé qu’au profit de personnes résidant à l’étranger.
Toutefois, la famille déjà présente en France peut exceptionnellement bénéficier d’un regroupement sur place. Il en est par exemple ainsi en raison de la nécessité de ne pas séparer les membres d’une famille ou de circonstances d’ordre médical. Par ailleurs, lorsqu’un étranger qui réside régulièrement en France contracte mariage avec une personne de nationalité étrangère régulièrement autorisée à séjourner sur le territoire national sous couvert d’une carte de séjour temporaire d’une durée de validité d’un an, le bénéfice du droit au regroupement familial est alors accordé sans recours à la procédure d’introduction [17].
Etre légalement lié au demandeur et arriver ensemble.
La procédure, dont sont exclus les collatéraux et les ascendants du demandeur, concerne collectivement l’époux(se) majeur (18 ans au moins) et les enfants mineurs (moins de 18 ans) [18].
Les enfants peuvent être issus du couple (à condition d’avoir une filiation légalement établie) ou d’une précédente union du demandeur ou de son époux (à condition soit que l’autre parent soit décédé ou déchu de ses droits parentaux, soit que le parent concerné se soit vu confier l’exercice de l’autorité parentale sur ces enfants en vertu d’une décision judiciaire étrangère). Il peut également s’agir d’enfants adoptés en vertu d’une décision d’adoption, y compris l’adoption simple, sous réserve de la vérification par le Ministère public de la régularité de celle-ci lorsqu’elle a été prononcée à l’étranger [19].
Ne pas représenter une menace à l’ordre public et un danger à la santé publique.
L’époux ou les enfants peuvent être exclus du regroupement familial si leur présence en France constitue une menace pour l’ordre public et/ou un danger pour la santé publique [20].
2- L’instruction de la demande [21].
La demande de regroupement familial est formulée sur un imprimé dont le modèle est établi par arrêté du ministre chargé de l’immigration. Elle est déposée, accompagnée des pièces justificatives, auprès de la Direction territoriale de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) du département du lieu de résidence prévu pour l’accueil de la famille [22].
Elle comporte l’engagement du demandeur de permettre à des agents des services de la commune où doit résider la famille ainsi qu’aux agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’entrée dans le logement prévu pour accueillir la famille aux fins de vérification des conditions de logement ou, si le logement n’est pas encre disponible, de mettre le maire de la commune en mesure de procéder à cette vérification sur pièces [23].
Autre engagement, celui de verser, s’il y a lieu, à l’Office français de l’immigration et de l’intégration la redevance forfaitaire pour services rendus (à savoir : la mise en œuvre de la procédure d’introduction en France ou de la procédure d’admission au séjour à partir du territoire national des familles des étrangers, accueil des étrangers sous la responsabilité du Préfet) dont le montant est fixé par un arrêté conjoint du ministre chargé de l’intégration et du ministre chargé du budget [24].
Au vu du dossier complet de la demande de regroupement familial, les services de l’OFII délivrent sans délai une attestation de dépôt qui fait courir le délai de six mois dont bénéficie l’autorité administrative pour statuer [25].
Après vérification des pièces du dossier de demande de regroupement familial et délivrance à l’intéressé de l’attestation de dépôt de sa demande, les services de l’OFII transmettent une copie du dossier au Maire de la commune de résidence de l’étranger ou au maire de la commune où l’étranger envisage de s’établir [26].
Le Maire dispose d’un délai de deux mois à compter de la réception du dossier pour vérifier si les conditions de ressources et de logement sont remplies [27]. Il dispose d’un délai de durée égale, s’il a été saisi par l’autorité préfectorale pour émettre un avis sur le respect des principes essentiels qui régissent la vie familiale en France. Le Maire et l’OFII peuvent solliciter des informations sur l’emploi qui procure au demandeur du regroupement familial tout ou partie des ressources dont il fait état.
Le Maire transmet ensuite le dossier avec son avis motivé sur les conditions de ressources et de logement à la délégation concernée de l’OFII. Celle-ci complète, si besoin, l’instruction et adresse le dossier au préfet pour décision.
C’est le préfet du département de résidence du demandeur qui accepte ou refuse la demande de regroupement familial. Sa décision est notifiée au demandeur dans un délai de six mois à compter du dépôt complet à l’OFII [28]. Cette décision est ensuite communiquée à l’OFII, qui la transmet sans délai au maire et au consulat de France de la résidence de la famille à l’étranger.
B - Les voies de recours.
En pratique, le refus du regroupement familial porte souvent sur l’insuffisance ou l’instabilité des ressources ou sur la taille inadaptée du logement du demandeur [29].
Il convient à cet égard de rappeler, d’une part, que le préfet n’est pas en situation de compétence liée face à l’avis défavorable rendu par le Maire, eu égard au logement ou aux ressources du demandeur. D’autre part, il a la possibilité d’envisager la demande également au regard de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. De plus, lorsqu’il y en a, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en compte dans son appréciation [30].
Les recours peuvent être administratifs : ils sont effectués soit auprès du préfet auteur de la décision de rejet (recours gracieux), soit auprès du ministre de l’intérieur (recours hiérarchique).
Les recours peuvent aussi être juridictionnels. Le demandeur a en effet la possibilité de saisir le tribunal administratif territorialement compétent d’un recours en annulation de la décision de refus du préfet.
Importante et nécessaire, l’autorisation préfectorale de regrouper n’est cependant pas suffisante. Il importe également d’obtenir l’autorisation consulaire. Illustrative à cet égard est la précision apportée par l’autorité préfectorale dans sa décision.
« Monsieur, Je vous informe que j’ai décidé d’accueillir favorablement la demande par laquelle vous avez sollicité l’introduction en France, au titre du regroupement familial, de votre épouse …./ Il vous appartient d’informer votre famille de cette décision, en lui recommandant de formuler, sans délai, une demande de visa auprès du Consulat de France de son pays de résidence. / J’appelle votre attention sur le fait que ce dernier est seul compétent pour juger de l’opportunité de délivrer ou non le visa [31] / L’entrée sur le territoire français doit intervenir dans un délai de trois mois à compter de la délivrance du visa. / Au terme de ce délai, l’autorisation de regroupement familial est réputée caduque ».
II- L’autorisation consulaire.
La Directive du Conseil dispose en article 13 que :
« 1. Dès que la demande de regroupement familial est acceptée, l’État membre concerné autorise l’entrée du ou des membres de la famille. À cet égard, l’État membre concerné accorde à ces personnes toute facilité pour obtenir les visas exigés. / 2- L’État membre concerné délivre aux membres de la famille un premier titre de séjour d’une durée d’au moins un an. Ce titre de séjour est renouvelable ».
Autrement dit, une fois l’autorité préfectorale acquise, l’obtention du visa ne devrait en principe être qu’une simple formalité. Il en va pourtant différemment dans la pratique. Ce qui fait de l’autorisation consulaire une étape cruciale. Aussi convient-il d’envisager les unes après l’autre, les voies de recours (B) et la décision de l’autorité consulaire (A).
A- La décision de l’autorité consulaire.
L’admission de la famille, on l’a vu, est subordonnée à l’obtention d’un visa d’entrée en France. Elle est délivrée par l’autorité consulaire du lieu de résidence de cette famille.
La demande de visa d’entrée en France se fait auprès de l’autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle habite la famille du demandeur. Elle doit en principe être faite dès la délivrance par l’OFII d’une attestation de dépôt de demande de regroupement familial sans attendre la décision du préfet. Mais le visa ne pourra être accordé qu’après l’accord du préfet.
Saisie de cette demande, l’autorité consulaire procède à différentes vérifications. L’une des plus déterminantes est celle relative aux actes d’état civil et à leur authenticité.
L’autorité diplomatique ou consulaire dispose, pour ce faire, d’un délai de quatre mois, susceptible d’être prorogé.
Ces vérifications procèdent notamment du doute sur l’authenticité des actes produits.
Deux possibilités à l’issue de l’instruction. Soit le visa est délivré, alors la famille dispose de trois mois pour entrer en France, sous peine de voir l’autorisation de regrouper frappée de caducité. Soit une décision de refus explicite ou implicite est opposée à la famille. Les intéressés ont la possibilité, dans cette dernière hypothèse et s’ils tiennent toujours à leur projet, de former un recours contre cette décision qui leur fait grief.
B- Les voies de recours.
Un recours administratif préalable obligatoire précède la saisine éventuelle du Tribunal administratif de Nantes.
1- La saisine de la commission des recours contre les refus de visa (CRRV).
Autorité administrative mise en place par le décret n°2000 -1093 du 10 novembre 2000 et placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l’immigration, la commission de recours contre les décisions de refus de visa a pour but de filtrer les recours formés contre les décisions de refus de visa.
Elle comprend : un président choisi parmi les personnes ayant exercé des fonctions de chef de poste diplomatique ou consulaire, un membre, en activité ou honoraire, de la juridiction administrative, un représentant du ministre des affaires étrangères, un représentant du ministre chargé de l’immigration, un représentant du ministre de l’intérieur. Le président et les membres de la commission sont nommés par décret du premier ministre pour une durée de trois ans. Pour chacun d’eux, un premier et un second suppléant sont nommés dans les mêmes conditions. Les autorités diplomatiques ou consulaires, les services du ministère des affaires étrangères et les services du ministère chargé de l’immigration fournissent à la commission, sur sa demande, les informations utiles à l’examen des recours dont elle est saisie [32].
La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l’exercice d’un recours contentieux, à peine d’irrecevabilité de ce dernier.
Le recours devant cette commission doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de refus. Il doit être motivé et rédigé en langue française. Il est seul de nature à conserver le délai de recours contentieux. La commission ne peut être régulièrement saisie que par une personne justifiant d’un intérêt lui donnant qualité pour contester la décision de refus de visa ou par un mandataire dûment habilité.
S’il s’agit d’un refus implicite, le délai court à compter de l’expiration des deux mois, à condition que l’administration ait remis à l’intéressé un accusé de réception de la demande de visa comportant l’indication des voies et délais de recours. Dans le cas contraire, aucun délai ne peut lui être opposé et son recours est recevable alors même qu’un délai supérieur à deux mois se serait écoulé depuis la naissance de la décision implicite.
La commission peut soit rejeter le recours, soit recommander au ministre des affaires étrangères et au ministre chargé de l’immigration d’accorder le visa demandé. Le président de la commission peut rejeter, sans réunir la commission, les recours manifestement irrecevables ou mal fondés.
2- La saisine du Tribunal administratif de Nantes.
Si le recours formé auprès de la commission est rejeté, ou si le Ministre confirme le refus de visa en dépit de l’avis favorable de la commission, il appartient à l’intéressé de déposer un recours contentieux devant le Tribunal administratif de Nantes, compétent depuis le 1er avril 2010 pour connaître des litiges relatifs au rejet des demande de visa d’entrée sur le territoire de la république française relevant des autorités consulaires [33].
Sur ce point comme sur d’autres, qui ont trait à l’entrée et au séjour des étrangers en France, l’on comprend et admet volontiers la nécessité de concilier l’ordre public et le droit de mener une vie privée et familiale (et la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, lorsqu’il y en a).
Reste que l’entrée en France au titre du regroupement familial, de ce qui ressort des différents textes, est plutôt un droit qu’il serait malheureux de fouler aux pieds aux seuls motifs qu’il manquerait quelques mètres carrés de surface habitable au logement, que l’installation électrique serait quelque peu défaillante ou encore qu’il y aurait une coquille dans un document administratif [34].
Une souplesse dans l’examen des demandes (de regroupement familial et/ ou de visas) éviterait à coup sûr ces situations où les autorisations sont délivrées et obtenues alors même que le couple, longtemps à l’épreuve de la séparation et de la procédure, a entretemps volé en éclats.