L’employeur peut-il soumettre un salarié à un alcootest ?

Par Pierre Robillard, Avocat.

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Explorer : # alcootest # sécurité au travail # vie privée # réglement intérieur

Face à cette question très pratique, l’employeur est bien démuni : s’il peut nourrir de sérieux doutes quant à l’état d’ébriété d’un de ses employés, il doit aussi s’interroger sur la limite de son pouvoir hiérarchique, qui pourrait confiner ici à celui des forces de l’ordre. Pourtant, s’il n’agit pas, sa responsabilité peut être mise en cause pour avoir laisser travailler un salarié qui présente un danger aussi bien pour lui-même que pour les autres … Au-delà du cas de l’alcootest, c’est toute la question du contrôle des salariés qui est posée.

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Le Code du travail prévoit que tout employeur est tenu à une obligation de sécurité et de résultat quant à la santé des salariés et qu’il lui est formellement interdit de « laisser entrer ou séjourner dans les lieux de travail des personnes en état d’ivresse  » (article R 4228–21).

Plus généralement, en vertu de son pouvoir de direction, il peut surveiller et contrôler l’activité de ses salariés durant le temps de travail (lequel est précisément rémunéré) ; néanmoins, les dispositifs de contrôle doivent être « justifiés par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché » (article L 1121-1 du Code du Travail).

De cette formule volontiers subjective, la Cour de cassation a développé une jurisprudence basée principalement sur le respect de l’intimité de la vie privée à laquelle le salarié a droit « même pendant le temps et sur le lieu de travail », ainsi que sur le respect plus général de la loyauté contractuelle.

Sur ce dernier point d’ailleurs, l’employeur ne peut pas recourir à des dispositifs de contrôle qui n’auraient pas été préalablement portés à la connaissance des salariés, aussi bien individuellement que collectivement ; on pense immédiatement à la preuve de cette information, qu’il convient donc d’assurer par écrit et d’en garder la trace.

A mentionner dans le règlement intérieur.

Appliqué à notre cas concret de contrôle par éthylotest, cette information doit obligatoirement figurer dans le règlement intérieur où seront prévues les conditions de travail auxquelles il est susceptible de s’appliquer : par exemple un salarié manipulant des produits dangereux ou affecté à une machine particulière, conduisant un véhicule, etc. (circulaire DRT 83 du 15 mars 1983). Si la présence d’un tiers lors du contrôle n’est pas indispensable, la Cour de cassation estime en revanche qu’il doit pouvoir faire l’objet d’une contestation par le salarié concerné dans la mesure où son résultat positif peut déboucher sur un licenciement (Cass. Soc. 22 05 2002, n° 99-45878 ; 24 février 2004, n°01-4700). Néanmoins, la Cour ne précise pas les modalités de cette contestation, laissant à l’employeur la charge de démontrer la fiabilité du système utilisé et, là aussi, d’en conserver la preuve. Il convient donc de s’assurer que l’éthylotest utilisé (il en existe profusion sur le marché grand public) répond à toutes les normes en vigueur.

Des parallèles avec le code de la route.

Précision sémantique : si alcootest et éthylotest sont ici synonymes, le suffixe –test permet à l’appareil de déterminer la présence d’alcool tandis que –mètre (dans « éthylomètre ») désigne l’instrument de mesure du taux d’alcool. On peut donc dire que l’éthylomètre sert à confirmer et mesurer le taux d’alcool suite à un contrôle positif par éthylotest (source : http://www.securite-routiere.gouv.fr/connaitre-les-regles/questions-frequentes/questions-frequentes-sur-l-ethylotest).

On peut également se poser la question de savoir comment le chef d’entreprise doit réagir si le salarié refuse de se soumettre à l’éthylotest. Le Code de la route prévoit quant à lui que la peine encourue est équivalente à celle d’un contrôle positif, ce qui a le mérite du pragmatisme, tandis que le Code du travail est muet sur ce sujet. Doit-il en arriver à retenir (physiquement) le salarié sur place en attendant l’arrivée des policiers pour « faire souffler » l’intéressé ?

Quant au prélèvement sanguin, il n’entre pas dans les pouvoirs de l’employeur et ne peut être pratiqué que par le médecin du travail lors d’une visite ; de surcroit, le consentement du salarié concerné est indispensable. Et son résultat ne peut de toute façon pas être communiqué à l’employeur puisqu’il est couvert par le secret médical ; il sert seulement à vérifier l’aptitude du salarié au poste.

Boire ou travailler, il faut choisir ( ?)

Quoiqu’il en soit, il arrive à la Cour de cassation de s’affranchir de la preuve objective que peut fournir l’éthylotest en retenant « l’état d’ébriété régulier » sur le lieu de travail comme constitutif d’une faute grave pour un directeur d’agence dont le bureau, selon une collègue, dégageait une odeur d’alcool après les pauses déjeuners tandis qu’un client émettait l’avis qu’il avait « tendance à boire plus que de raison ». On s’approche ici de la notion « d’ivresse manifeste » prévue par le Code de la Route (article L 234-1) qui permet de sanctionner les automobilistes même en l’absence de mesure exacte du taux d’alcool dans le sang. Les procès-verbaux invitent les forces de l’ordre à cocher les items correspondant à leurs constatations, telles que l’odeur d’alcool émanant de l’haleine du contrevenant, son comportement (agressif et/ou énervé ?), son regard (voilé ?), son allocution (pâteuse et bégayante ?), ses explications (répétitives et embrouillées ?), son équilibre (titubant ?) …

En revanche, ce n’est « que » la faute simple qui a été retenue pour un chauffeur de poids lourd dont le taux d’alcoolémie relevé par la gendarmerie lors d’un contrôle s’est avéré inférieur au taux pénalement punissable et ce alors même que le règlement intérieur ne proscrivait pas totalement la consommation boisson alcoolisée pendant le service. Cet arrêt remonte à plus de 20 ans (Cass. Soc. 9 juillet 1991, n°2663D) ; la sévérité accrue en matière de sécurité routière ces dernières années pourrait aujourd’hui conduire la Chambre sociale à adopter une position plus stricte aujourd’hui.

Néanmoins, quelques décisions récentes démontrent une appréciation relativement souple de la faute : ainsi d’un salarié qui, bien qu’en état d’ébriété sur son lieu de travail, n’avait pas eu d’antécédent ni aucune répercussion sur la qualité de son travail, ne pouvait pas être licencié pour faute grave bien qu’utilisant des outils potentiellement dangereux (Soc. 8 juin 2011, n°10-30162) ; ou encore une aide-soignante prenant son service de nuit en état d’ébriété mais pour laquelle il s’agissait d’une faute isolée en 23 ans d’ancienneté (Soc. 16 décembre 2009, n°08-44984).

Alcool versus stupéfiants : le retard du législateur.

Compte tenu de l’évolution des mœurs, il est particulièrement frappant de constater que le Code du travail ne prévoit aucune disposition spécifique, à l’instar de la consommation d’alcool, quant à l’usage de stupéfiant. Pourtant, les risques induits sont incontestablement similaires à ceux de l’état d’ébriété : en dehors même du manque de concentration pouvant favoriser les erreurs, le risque d’accident et de conflits relationnels. Par défaut, c’est donc le principe rappelé ci-dessus qui doit s’appliquer : l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité et de résultat quant à la santé et à la sécurité des salariés, doit en assurer l’effectivité.

C’est vers le médecin du travail qu’il faut se tourner, d’abord pour indiquer les postes pour lesquels un dépistage de toxicomanie paraît justifié, en fonction là aussi des tâches à accomplir, de leur exposition au danger, sans que cela ne débouche sur une recherche systématique appliquée à l’ensemble de l’effectif. Pour aider les employeurs à y voir plus clair, la documentation française (avec la contribution d’une mission interministérielle et de la Direction Générale du Travail et de l’INRS vient à la rescousse en proposant un guide pratique intitulé « Repères pour une politique de prévention des risques liés à la consommation de drogue en milieu professionnel » (de surcroît téléchargeable gratuitement sur le site [http://www.drogues.gouv.fr/fileadmin/user_upload/site-pro/04_actions_mesures/05_actions_2008-2011/Milieu_pro/Guide-conduites-addictives-milieu-pro_Mildt-2012.pdf)

C’est ainsi qu’une liste des postes de sûreté et de sécurité pouvant légitimer un dépistage médical doit être dressée au sein de l’entreprise, compte tenu de son activité et de son organisation de travail, après avis des représentants du personnel, afin d’être annexée au règlement intérieur. Dans les entreprises dépourvus d’un tel règlement, cette liste fera l’objet d’une note de service.

Ce silence des textes n’empêche néanmoins pas de recourir à un test salivaire (en vente au grand public comme les éthylotests d’ailleurs) pourvu que le salarié occupe un poste pour lequel l’usage de drogue est susceptible de mettre en jeu sa sécurité ou celle de tiers (sans oublier, bien entendu la mention explicite d’une telle possibilité dans le règlement intérieur).

Les résultats du test de dépistage, soumis au secret médical, ne peuvent conduire qu’à un avis quant à l’aptitude (ou non) du salarié à occuper son poste.

Dans le contexte d’un droit du travail largement favorable aux salariés, il serait dommage d’oublier l’article L 4122-1 qui, en parallèle, enjoint « chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celle des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ». En d’autres termes, individu majeur et responsable, le salarié n’est pas déchargé de ses responsabilités dès lors qu’il franchit la porte de l’entreprise.

Maître Pierre ROBILLARD, avocat, spécialiste en droit du travail, diplômé de Sciences Po Paris.

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 5 septembre 2019 à 10:53
    par Jacques GUILLEMOTO , Le 28 octobre 2014 à 08:22

    TB pour l’article.
    Toutefois, il n’est pas précisé si le recours à un éthylotest à usage unique (chimique) est autorisé ou pas. Suivant plusieurs articles parus lors de l’annonce de l’obligation de détention d’un éthylotest dans tous les véhicules carrossés, l’éthylotest chimique ne serait pas fiable.
    En cas d’utilisation d’un éthylotest électronique faut il utiliser un classe 1 (forces de l’ordre) ou classe 2 ?

    • par robillard , Le 30 octobre 2014 à 15:47

      bonjour

      il convient en effet de s’assurer de la fiabilité de l’appareil utilisé (vérification de l’agrément)

      pour ce qui concerne la "classe", j’ignore si une personne privée peut acquérir facilement un appareil destiné aux forces de l’ordre ?

      Me ROBILLARD

    • par FAVRE TEYLAZ Laurent , Le 5 septembre 2019 à 10:53

      Bonjour
      Je souhaiterais savoir si un employeur peut procéder à des tests alcoolémie suite à un accident du travail ? C’est légal ?

  • par Neumayer Frederic , Le 12 juin 2018 à 07:05

    Tres instructif

  • Notre règlement interne stipule que " l’alcootest sera effectué par le médecin du travail en présence de deux témoins... ". Il me semble que cela n’est pas légal (secret médical). Qu’en pensez-vous ? Qui peut pratiquer le test ?

    • par Ancion frank , Le 14 septembre 2016 à 09:40

      bjr la direction a telle pouvoirs et droit a effectuer alcootest ?A savoir dans un lieux autre que l entreprise et sous quelles conditions ?Suite a un pot entreprise
      Et enfin question principale peut on refuser et quelles sanctions peut prendre la direction ?

  • par Gedane , Le 31 août 2015 à 07:48

    Merci pour cet article qui est tres interessant. L’utilisation de l’alcootest en entreprise est une disposition qui reste superflue dans la mesure ou les reglements interieurs n’ont habituellement pas cette mention et le probleme se pose toujours lorsqu’un travailleur est surpri en etat d’ebriete sur les lieux de travail. L’employeur peut-il neanmoins oblige’ le medecin su travail a effectue’ un alcootest a un travailleurs non affecte’ a un poste de securite’ et sans antecedenta d’ivresse sur les lieux de travail ?

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