Un employeur peut-il sanctionner des faits fautifs par une mesure disciplinaire immédiate ?

Par Marie-Paule Richard-Descamps, Avocat.

20353 lectures 1re Parution: Modifié: 4.97  /5

Explorer : # procédure disciplinaire # sanctions disciplinaires # droits des salariés # code du travail

La réponse est non ! Dans le cadre de ce qu’il est convenu de nommer « l’affaire Benalla », ont été énoncées de multiples contre-vérités, en matière de droit disciplinaire, qu’il convient de rectifier au regard du droit privé.

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Quelle que soit la gravité de la faute commise, les dispositions du Code du travail relatives au droit disciplinaire et notamment la procédure à respecter par l’employeur pour garantir au salarié la protection de ses droits fondamentaux s’appliquent, a minima , à tout salarié, quels que soient son ancienneté ou son statut et quels que soient l’activité ou la taille de l’entreprise.

Le droit du travail est très clair, en aucun cas, un employeur ne peut notifier immédiatement une quelconque sanction disciplinaire à un salarié : mise à pied, rétrogradation ou licenciement sans l’avoir, au préalable, convoqué à un entretien préalable et avoir observé les délais qui s’imposent à lui.

Ce n’est qu’à l’issue de cette procédure que l’employeur a la faculté de notifier au salarié une éventuelle sanction s’il estime que les faits le justifient mais en aucun cas avant.

Il n’est donc pas possible juridiquement de faire état d’une sanction qui aurait été prise immédiatement, qu’il s’agisse d’une mise à pied ou d’un licenciement.

Définition de la sanction.

Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. (article L1331-1 du Code du travail)

La loi ne donne pas une liste de sanctions. La nature et l’échelle de celles-ci doivent être fixées par le règlement intérieur qui généralement prévoit les sanctions suivantes :

Blâme : lettre écrite faisant état du comportement fautif ;

Avertissement : lettre reprochant le comportement fautif et avertissant le salarié de l’éventualité de nouvelles sanctions en cas de faute ultérieure.

Mise à pied : suspension temporaire des fonctions avec suspension de la rémunération pendant une durée maximum.

Mutation disciplinaire : changement de poste sans perte de rémunération.

Rétrogradation : changement de poste avec perte de responsabilité et de rémunération.

Licenciement pour cause réelle et sérieuse : rupture du contrat de travail avec préavis et indemnité de licenciement.

Licenciement disciplinaire pour faute grave ou lourde : rupture du contrat de travail sans préavis et sans indemnité de licenciement.

Une sanction qualifiée de « suspension » assortie d’une retenue sur salaire correspond, en fait, à une mise à pied disciplinaire.

Non-cumul des sanctions.

De jurisprudence constante, un même fait fautif ne peut justifier successivement deux mesures disciplinaires.

C’est la raison pour laquelle le salarié qui s’est déjà vu infliger une sanction disciplinaire pour des faits fautifs telle qu’une mise à pied disciplinaire, par exemple, ne pourra plus être sanctionné pour ces faits mais seulement pour de nouveaux griefs qui, le cas échéant, peuvent justifier une sanction plus grave telle que le licenciement.

Prescription des faits fautifs.

« Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales. » (article L1332-4 du Code du travail)

L’employeur ne peut donc plus invoquer des faits fautifs à l’appui d’une sanction, au-delà d’un délai de deux mois, à compter du jour où il en a eu connaissance. Le salarié échappe alors à toute sanction, au regard du droit du travail.

Procédure disciplinaire.

Même dans l’hypothèse d’une faute extrêmement grave, l’employeur ne peut pas notifier au salarié une sanction « sur le champ » sans avoir observé la procédure prévue par le Code du travail qui, en toute hypothèse, doit impérativement être respectée.

Les droits de la défense sont assurés par une procédure qui comporte deux phases : un entretien préalable puis la notification d’une décision.

Il convient de signaler, cependant, que l’entretien préalable n’est pas obligatoire si la sanction envisagée est mineure : un avertissement ou une sanction de même nature n’ayant pas d’incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié.

Mise à pied conservatoire.

Si les faits reprochés au salarié paraissent d’une gravité telle qu’ils justifient sa mise à l’écart immédiate de l’entreprise, l’employeur a la faculté de notifier au salarié une mise à pied conservatoire. Il est alors dispensé d’exécuter son travail dans l’attente de la sanction à intervenir.

Il s’agit d’une mesure provisoire, qui ne constitue pas une sanction et qui sera payée sauf si la sanction est un licenciement pour une faute grave ou lourde qui dispense alors l’employeur du paiement du salaire afférent à cette période non travaillée.

Lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive relative à ces faits ne peut être prise sans que la procédure ait été respectée. (article L1332-3 du Code du travail)

Entretien préalable.

Comme indiqué précédemment, sauf si la sanction envisagée est un avertissement, lorsque l’employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l’objet de la convocation. Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise ou le cas échéant, par un conseiller du salarié.

Au cours de l’entretien, l’employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.

Choix de la sanction.

Il appartient à l’employeur de choisir la sanction qui lui paraît proportionnée et adaptée au comportement du salarié dans le respect, le cas échéant, du règlement intérieur qui prévoit une échelle des sanctions.

L’employeur ne peut pas prononcer d’autres sanctions que celles qui y sont prévues.
Il n’est pas vain de signaler qu’en cas de contentieux, le juge vérifie que la sanction prononcée à l’encontre du salarié n’est pas trop sévère compte tenu des faits qui lui sont reprochés étant précisé qu’il ne peut pas annuler une sanction qu’il estimerait trop clémente.

Notification de la sanction.

Aucune sanction ne peut être prise à l’encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui. (article L1332-1 du Code du travail)

La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien. Elle est motivée et notifiée à l’intéressé. (article L1332-2 du Code du travail)

L’employeur doit donc respecter ce délai minimum de 2 jours ouvrables à compter du jour de l’entretien pour notifier sa décision de sanction éventuelle qui doit être motivée ; les motifs énoncés fixent les limites du litige.

Exécution de la sanction.

Aucun délai n’est fixé pour la réalisation matérielle d’une sanction une fois celle-ci notifiée au salarié.

Toutefois, si l’exécution en est différée pendant de longs mois sans explication, l’employeur peut être considéré comme y ayant renoncé.

Lorsque la mise à pied disciplinaire de 15 jours par exemple, curieusement, n’a pas fait l’objet d’une retenue sur salaire et que survient rapidement un licenciement, l’employeur a la possibilité de retenir le salaire lors de l’établissement du solde de tout compte, pour autant que le salarié a effectivement cessé toute activité pendant cette mise à pied.

Il ne saurait être question d’imputer les 15 jours en cause sur ses droits à congés payés. Dans le cadre du solde de tout compte, il s’opère en fait une compensation entre les sommes lui restant dues notamment au titre des salaires et de l’indemnité compensatrice de congés payés et la somme négative correspondant aux 15 jours qui ont été rémunérés à tort sur une paie précédente.

Marie-Paule Richard-Descamps
Avocat spécialiste en droit du travail
Présidente de la Commission sociale du Barreau des Hauts de Seine
https://www.cabinetrichard-descampsavocat.fr

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