La Cour de cassation a tranché cette question dans un arrêt du 25 septembre 2024 (Cass.soc. 25 septembre 2024 nº 23-13.992)
Le Code du travail.
L’article L1121-1 dispose que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
La jurisprudence.
Pour la Cour de cassation (Cass.soc.12 février 2013, n°11-28649) une clé USB, dès lors qu’elle est connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur pour l’exécution du contrat de travail, est présumée utilisée à des fins professionnelles.
En conséquence, les dossiers et fichiers non identifiés comme personnels qu’elle contient sont présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors la présence du salarié.
Ainsi, est créée une présomption d’utilisation professionnelle de la clé USB connectée à l’ordinateur professionnel et l’employeur peut consulter librement les dossiers et fichiers qui y sont stockés dès lors qu’ils ne sont pas identifiés comme personnels.
Dans son avis [1], l’avocate générale évoquant cette jurisprudence précise :
Ainsi que l’a souligné le Professeur B. Bossu [2] : « Cette solution vise évidemment à sauvegarder les intérêts de l’entreprise : il n’est pas admissible qu’un salarié enregistre sur sa clé USB des données confidentielles appartenant à l’entreprise », soulignant que « (…) le droit au respect de la vie privée n’a pas été institué dans le but de couvrir les agissements indélicats [3] et qu’en conséquence il convient de rechercher un équilibre entre la vie privée du salarié et le pouvoir de surveillance de l’employeur ».
Dans l’affaire qui lui était soumise la Chambre sociale a fait une nouvelle application des règles posées par l’Assemblée plénière le 22 décembre 2023 dans son revirement opéré en matière de preuve déloyale (Cass. ass. plén., 22 déc. 2023, nº 20-20.648).
Voir également d’autres articles sur le même thème : Preuve du harcèlement moral : le salarié peut produire un enregistrement clandestin ; Courriels à caractère raciste et xénophobe via la messagerie professionnelle et respect de la vie privée ; Même illicites, les enregistrements d’une vidéosurveillance peuvent justifier un licenciement pour faute.
Faits et procédure.
Une salariée occupant en dernier lieu les fonctions d’assistante commerciale a été licenciée pour faute grave pour avoir copié sur cinq clés USB trouvées dans son bureau un nombre considérable de fichiers (cinquante mille) de son entreprise y compris certains relatifs à la fabrication auxquels elle n’avait pas accès de par ses fonctions.
La salariée a reconnu les faits, y compris dans le cadre des procédures pénales engagées par elle (pour vol des clés USB) et contre elle (pour violation de données informatiques).
Elle a saisi la juridiction prud’homale notamment de demandes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.
La Cour d’appel de Lyon dans un arrêt du 25 janvier 2023, a confirmé la décision du conseil de prud’hommes, estimant que son licenciement était fondé sur une faute grave et l’a déboutée de toutes ses demandes.
Pour la cour, la preuve n’avait pas été obtenue en violation de la vie privée de la salariée, puisque
« Aucun élément ne vient corroborer (ses) affirmations selon lesquelles les cinq clefs étaient dans son sac à main qu’elle avait laissé dans son bureau, et non pas à un endroit dudit bureau auquel l’employeur avait le droit d’accéder, même en son absence. Les cinq clefs qui se trouvaient dans le bureau de la salariée ne pouvaient en elles-mêmes être identifiées comme étant des clefs personnelles ».
Elle en a donc conclu que l’employeur pouvait y avoir accès hors la présence de la salariée et sans l’avoir fait appeler, dès lors qu’elles n’avaient pas été identifiées comme personnelles par la salariée, et que la preuve n’avait pas été obtenue illicitement en violation de sa vie privée.
Les arguments de la salariée.
Elle a formé un pourvoi et fait valoir notamment que :
- une clé USB n’est présumée utilisée à des fins professionnelles, de sorte que l’employeur peut avoir accès aux fichiers non identifiés comme personnels qu’elle contient, y compris hors la présence du salarié, qu’à la condition qu’elle soit connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur pour l’exécution du contrat de travail ;
- en l’espèce, l’employeur, qui soutenait de manière vague que les clés USB litigieuses se trouvaient, lorsqu’il s’en est emparé, "dans le bureau de la salariée, puis "sur son bureau de travail", n’alléguait pas que ces clés étaient, au moment de leur découverte, connectées à l’ordinateur professionnel de la salariée ou à un ordinateur de l’entreprise ;
- pour rejeter le moyen tiré du caractère illicite de la preuve servant de fondement au licenciement, la cour d’appel a relevé :
- que les clefs USB litigieuses ont été connectées par la salariée aux ordinateurs appartenant à son employeur pour y copier des fichiers professionnels de l’entreprise, comme elle l’a indiqué elle-même aux services de police ;
- et que, s’agissant de supports amovibles, ces clefs ont donc été intégrées à divers moments au matériel informatique de l’employeur, y compris à d’autres ordinateurs que celui mis à la disposition personnelle de la salariée.
Position de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi.
Il résulte de l’article L1121-1 du Code du travail que l’accès par l’employeur, hors la présence du salarié, aux fichiers contenus dans des clés USB personnelles, qui ne sont pas connectées à l’ordinateur professionnel, constitue une atteinte à la vie privée du salarié.
Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.
Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
La cour d’appel, après avoir relevé que l’employeur faisait valoir qu’il avait agi de manière proportionnée afin d’exercer son droit à la preuve, dans le seul but de préserver la confidentialité de ses affaires, a d’abord constaté, que celui-ci démontrait qu’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le contrôle effectué sur les clés USB, au regard du comportement de la salariée.
Selon le témoignage de deux de ses collègues, la salariée avait, courant juin et juillet 2017, travaillé sur le poste informatique d’une collègue absente et imprimé de nombreux documents qu’elle avait ensuite rangés dans un sac plastique placé soit au pied de son bureau soit dans une armoire métallique fermée.
Pour établir le grief imputé à la salariée, l’employeur s’était borné à produire les données strictement professionnelles reproduites dans une clé unique (Verbatim 64 GB) après le tri opéré par l’expert qu’il avait mandaté à cet effet, en présence d’un huissier de justice, les fichiers à caractère personnel n’ayant pas été ouverts par l’expert et ayant été supprimés de la copie transmise à l’employeur, selon procès-verbal de constat en date du 11 septembre 2017.
La production du listing de fichiers tiré de l’exploitation des clés USB était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et l’atteinte à la vie privée de la salariée était strictement proportionnée au but poursuivi.
La cour d’appel, qui a déduit que les pièces relatives au contenu des clés USB litigieuses étaient recevables, a légalement justifié sa décision.
Conclusion.
Constitue une atteinte à la vie privée du salarié le fait pour un employeur, d’accéder aux fichiers contenus dans des clés USB personnelles, qui ne sont pas connectées à l’ordinateur professionnel hors la présence du salarié.
La production de ce moyen de preuve est illicite.
Toutefois, dans le cadre d’un procès prud’homal, cette preuve illicite invoquée pour justifier un licenciement, peut être recevable dès lors qu’elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et que l’atteinte à la vie privée de la salariée est strictement proportionnée au but poursuivi.