Pour faire face à l’épidémie de Covid-19, nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré [1], renouvelé jusqu’au 10 juillet 2020 inclus [2], et le sera certainement de nouveau.
L’état d’urgence sanitaire donne pouvoir au Premier ministre de prendre par décret des mesures générales privatives de liberté. Le Code de la santé publique donne également pouvoir, en cas de menace sanitaire grave, au ministre chargé de la Santé de prescrire toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population [3].
- Marguerite Brac de la Perrière
Dans ce contexte, de nombreuses mesures sanitaires ont été prises par décrets et arrêtés successifs, telles que des mesures de confinement, de limitation des transports, de fermeture au public de certains lieux, d’interdiction des marchés, interdiction de rassemblements… L’appréciation de la proportionnalité de ces mesures requiert des compétences tellement variées, notamment scientifiques, de santé publique, juridiques, organisationnelles et logistiques, que toute critique, positive ou négative, est nécessairement partielle et biaisée. Les mesures peuvent être distinguées selon qu’elles s’imposent ou non en raison de l’impréparation à l’épidémie, et selon les principes législatifs auxquelles elles dérogent.
Des mesures polémiques.
Des mesures proportionnées à l’impréparation plutôt qu’aux risques.
L’exemple le plus parlant est la réquisition des masques. Si celle-ci a dû être prise, c’est certes d’abord à cause de la pandémie, mais aussi sans aucun doute faute d’anticipation sur les stocks de masques. Nul doute que c’est la pénurie de masques qui a nécessité leur réquisition par le gouvernement, pour pouvoir équiper prioritairement les soignants.
Dans le même sens, si les mesures de confinement ont dû être prises, c’est clairement du fait de la pandémie, mais il y a lieu de s’interroger sur le point de savoir si le confinement aurait pu être évité ou sa durée écourtée, si la France avait été en mesure de dépister/tester massivement, et si tout un chacun avait pu se procurer des masques.
La mise à mal de la liberté de prescription.
A ce titre, on ne peut passer sous silence le décret [4] encadrant la prescription, la dispensation et l’administration de l’hydroxychloroquine, affectant par la même gravement la liberté de prescription des médecins.
Rappelons que la loi permet au médecin de prescrire des spécialités hors autorisation de mise sur le marché (AMM) en l’absence d’alternative médicamenteuse, lorsqu’il le juge indispensable au regard des données acquises de la science, pour améliorer l’état clinique d’un patient [5].
En l’espèce, en réservant sa dispensation par les pharmacies d’officine à une prescription dans le cadre de son AMM, ou hospitalière , le gouvernement s’est immiscé dans la liberté de prescription des médecins de ville, et plus généralement dans la prise en charge médicale des patients en ville, et a annihilé les dispositions légales susmentionnées.
Des mesures garantissant le droit à l’accès aux soins.
La libéralisation de la télésanté.
C’est selon une logique non plus restrictive, mais libéralisatrice, il importe de mentionner les mesures prises pour élargir la possibilité d’accompagner les patients au travers des outils de télésanté. Une manière incontestable de préserver le droit d’accès aux soins dans ce contexte épidémique.
Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le recours à la téléconsultation et/ou au télésoin tend notamment à apporter une « réponse rapide » [6] au Covid-19 :
en assurant une prise en charge à domicile pour les patients présentant les symptômes de l’infection ou reconnus atteints du Covid-19 ;
en facilitant l’accès aux soins, y compris en cas de besoin de prise en charge aigüe ;
en assurant une continuité de prise en charge chez les patients ayant une maladie chronique et chez les femmes enceintes et
en protégeant les professionnels de santé de l’infection ainsi que les patients qu’ils prennent en charge.
De nombreux décrets ont ainsi successivement posé des conditions dérogatoires de prise en charge et de réalisation des actes de télémédecine.
En premier lieu, ces assouplissements ont concerné exclusivement la téléconsultation et les personnes atteintes ou potentiellement infectées par le Covid19, et permis une prise en charge en dehors du parcours de soins coordonnés, sans connaissance préalable du patient [7].
En second lieu, les mêmes conditions dérogatoires de prise en charge ont porté sur les activités de télésoin réalisées par les infirmiers pour les personnes diagnostiquées Covid19. Un assouplissement concernant les outils sécurisés a été introduit, permettant les activités de télésoin par téléphone dans l’hypothèse où le patient ne disposerait pas du matériel nécessaire pour réaliser une vidéotransmission [8].
En troisième lieu, de nouvelles conditions dérogatoires de prise en charge des actes de téléconsultation ont permis leur réalisation par téléphone pour les personnes résidant dans les zones blanches ou ne disposant pas du matériel nécessaire à la réalisation d’une vidéotransmission pour les patients Covid-19, âgés de 70 ans ou plus, atteints d’une affection de longue durée (ALD) et femme enceinte [9].
Enfin, de nouvelles dérogations ont été prises concernant notamment les actes de télésurveillance et le télésoin [10].
Des évolutions pérennes.
Professionnels de santé et patients s’étant appropriés ces nouvelles conditions de prises en charge médicale, nul doute que ces nouveaux usages perdureront au-delà de la crise sanitaire.
S’il est à appeler de nos vœux que des conditions dérogatoires de prises en charge perdurent, afin de faciliter la prise en charge des patients, et limiter leurs déplacements, il conviendra toutefois de s’assurer, en dehors de toute considération économique, que les professionnels de santé accèdent bien aux données médicales nécessaires dans ce cadre, et que ces conditions de prise en charge ne portent pas atteinte au secret médical [11] compte tenu de conditions possiblement non sécurisées d’échange et de partage des données, non conformes aux référentiels d’interopérabilité et de sécurité [12].
Des dérogations au secret médical.
La mise en œuvre d’une politique de dépistage et d’enquêtes sanitaires.
L’intervention du législateur pour la mise en œuvre des systèmes d’information s’est également imposée pour encadrer la nouvelle dérogation au secret médical qu’emporte la création de traitement de données visant la mise en œuvre d’une politique de dépistage et d’enquêtes sanitaires sur tout le territoire [13].
Par dérogation expresse à l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique, consacrant le droit au secret médical, il est en effet légalement prévu que des données à caractère personnel concernant la santé relatives aux personnes atteintes par le Covid-19 et aux personnes ayant été en contact avec elles puissent être traitées et partagées, le cas échéant sans le consentement des personnes intéressées. Ceci, aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19 et pour la durée strictement nécessaire à cet objectif ou, au plus, pour une durée de six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire, dans le cadre d’un système d’information créé par décret en Conseil d’État. C’est désormais chose faite avec la création des traitements « Contact Covid » et « Si-DEP » [14].
Si ces différents textes appellent des observations juridiques quant aux conditions de mise en œuvre de ces traitements, les principes essentiels de protection des données apparaissent respectés, et leur pertinence scientifique semble relativement acquise, afin, espérons-le, d’éviter de nouvelles mesures de confinement…
La nécessaire primauté du regard scientifique par rapport au regard juridique.
Face aux initiatives gouvernementales en matière d’applications et systèmes d’information, les débats devraient se cristalliser en premier lieu sur l’appréciation de la pertinence scientifique et épidémiologique des mesures dans le contexte épidémique français, et non sur des considérations juridiques.
Ce n’est qu’une fois démontrée cette pertinence scientifique des outils et traitements de données envisagés par les scientifiques et épidémiologistes compétents, qu’il convient d’apprécier leur faisabilité juridique et conditions de mise en œuvre dans le respect des droits et libertés fondamentales, notamment de la vie privée, et de la protection des données personnelles.
A défaut, les débats sont pollués, et les critiques contreproductives, conduisant au resserrement des conditions de réalisation de traitements, lesquels ne devraient pourtant même pas voir le jour à défaut de légitimité et pertinence scientifique…
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