Ainsi, bien que rattachée à la notion de droit au respect de la vie privée, la jurisprudence a néanmoins progressivement consacré l’autonomie du droit à l’image [1].
Par un arrêt du 19 janvier 2022 [2], la Chambre sociale renforce les contours de ce droit essentiel du salarié, en statuant que la réparation de l’atteinte qui en découle n’est pas assujettie à la démonstration de la preuve du préjudice (voir infra).
Retour sur la consécration du droit à l’image.
Au fond, l’atteinte à la vie privée et l’entorse au droit à image sont des sources de préjudices distinctes, permettant, dès lors, des réparations différentes. Quand bien même, souvent, l’une s’accompagne de l’autre [3].
A cet égard, la CEDH consacre également l’effectivité de ce droit fondamental comme rappelé dans l’arrêt Reklos [4] :
« L’image d’un individu est l’un des attributs principaux de sa personnalité, du fait qu’elle dégage son originalité et lui permet de se différencier de ses congénères » ;
de sorte que « le droit de la personne à la protection de son image constitue […] l’une des composantes essentielles de son épanouissement personnel et présuppose principalement la maîtrise par l’individu de son image ».
Fondements d’un droit attaché à la personnalité.
Bien que l’article 9 du Code civil ne se réfère guère au droit à l’image, posant exclusivement le droit au respect de la vie privée, il n’en demeure pas moins que cette disposition sert de matrice aux droits de la personnalité [5]. L’interprétation successive de ce texte donne lieu à la reconnaissance des droits y afférents.
Partant, érigé au titre de droit subjectif - droit essentiel de la personne, la réparation de l’atteinte s’y rapportant repose sur le régime de responsabilité civile, exigeant la triple démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice [6].
Concrètement, l’image d’une personne ne peut être diffusée sans son consentement, quel qu’en soit le support :
« Toute personne dispose sur son image, partie intégrante de sa personnalité, d’un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à sa reproduction » [7].
En somme, pour se prévaloir de la violation du droit à la vie privée ou du droit à l’image, il est nécessaire qu’une identification de la personne représentée soit possible [8].
A cet égard, la première chambre civile affine cette règle dans un arrêt du 9 mars 2017 [9], en ce sens que flouter le visage et déformer la voix ne suffisent pas à se mettre à l’abri d’une condamnation pour atteinte au droit à l’image.
De surcroît, ici, le manquement s’apprécie en fonction des circonstances. D’une part, dans les lieux privés, l’image d’une personne ne peut être prise sans son consentement [10]. D’autre part, en lieu public, la captation de l’image d’autrui n’est possible que si celle-ci montre un groupe de plusieurs personnes [11].
Or, si la personne apparaît isolément la violation du droit à l’image est caractérisée [12].
Sur le terrain de la responsabilité, les sanctions y afférentes sont prévues aux articles 226-1, 226-2 et 226-8 du code pénal, outre des sanctions civiles prescrites par l’article 9 du Code Civil.
Une création prétorienne.
Le droit à l’image, droit fondamental, s’étend à la relation de travail. L’employeur ne peut, en cela, exploiter l’image d’un salarié sans son consentement exprès, que cette diffusion soit interne ou externe à l’entreprise ; à but commercial ou publicitaire [13].
Ceci, de la même manière, durant l’exécution ou postérieurement à la rupture du contrat de travail.
Pourtant, lorsque la diffusion a un but seulement informatif, les juges peuvent être moins conciliants.
« La protection consacrée par l’article 9 du code civil, est celle de la vie privée (…) Lorsqu’elles n’excèdent pas l’activité professionnelle consécutive de la finalité de la captation des images litigieuses, les diffusions non préalablement autorisées ne sont pas constitutives d’une atteinte aux droits de la personne en cause » [14].
Dispense de la preuve du préjudice : apport de l’arrêt de la Cour de Cassation du 19 janvier 2022.
Précisément, les faits litigieux de l’espèce analysée [15] sont intervenus après la rupture du contrat de travail.
En effet, deux salariés d’une société de construction ont été licenciés pour motif économique et ont saisi la juridiction prud’homale de demandes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.
Ayant été photographiés avec l’ensemble de l’équipe pour apparaître sur le site internet de la société, les salariés ont demandé, par courrier, la suppression de ces photos consécutivement au licenciement.
L’employeur n’a pas daigné faire droit, dans un premier temps, à cette demande de suppression, avant d’effacer les photos litigieuses postérieurement à la communication des conclusions de première instance.
La Cour d’appel de Toulouse déboute les salariés de leur demande de dommages et intérêts, en vertu de l’atteinte à leur droit à l’image.
En substance, les juges du fond considèrent que, bien que la société ne se soit pas conformée à la demande initiale de suppression des photos, mais seulement après la saisine du tribunal, les salariés « ne démontrent aucunement l’existence d’un préjudice personnel, direct et certain résultant du délai de suppression de la photographie en question ».
Les salariés se pourvoient en Cassation sur le fondement de l’article 9 du code civil.
Censurant l’arrêt d’appel, la Haute assemblée retient que :
« Il résulte de ce texte que le droit dont la personne dispose sur son image porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation, et que la seule constatation d’une atteinte ouvre droit à réparation » [16].
En clair, la seule constatation de l’atteinte au droit à l’image est suffisante à fonder le droit à réparation. Dit autrement, la démonstration d’un préjudice n’est pas requise.
L’abandon de l’exigence d’un préjudice.
Par cette décision, la Cour régulatrice élargit les circonstances susceptibles de constituer une atteinte à l’image. Partant, elle donne une nouvelle déclinaison à l’article 9 du code civil, relativement au droit à l’image du salarié.
Cette position s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la CEDH, qua permis au droit à l’image de s’affirmer isolément, de manière dissociée du droit à la vie privée, engendrant une adaptation à ses principes par les cours nationales. En ce sens que la Cour de Strasbourg reconnaît dans l’arrêt Reklos [17] et De la Flor Cabrera [18] que l’individu a « la possibilité de refuser la diffusion de son image ». Et, qui plus est, peut s’opposer « à la captation, la conservation et la reproduction de celle-ci par autrui ».
À cet égard, la première chambre civile a déjà rappelé dans plusieurs arrêts ce principe.
Par un arrêt du 5 novembre 1996 [19], « la seule constatation d’une atteinte au droit à l’image ouvre droit à réparation » ; avant de réitérer que le droit dont la personne dispose sur son image porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation ; et que la seule constatation d’une atteinte ouvre droit à réparation [20].
En cela, l’arrêt analysé apporte une précision significative : même si le salarié a prétendument exprimé son consentement pour la captation de l’image (les salariés concernés ont été pris en photo avec l’ensemble du personnel), il reste que s’ils n’acquiescent pas à la diffusion- demandant vainement son retrait- , la violation du droit à l’image est, en conséquence, caractérisée.
Au regard de ces prescriptions, l’employeur doit, dès lors, obtenir l’autorisation sans équivoque du salarié à l’effet d’utiliser son image personnelle.
En outre, selon une autre jurisprudence de la première chambre civile du 6 décembre 2017 [21], le juge peut prendre en compte le commentaire des images dans l’évaluation de ce préjudice.
« Sans se contredire, la cour d’appel a pu déduire que l’action menée relevait de l’article 9 et que l’évaluation du préjudice subi pouvait tenir compte du caractère péjoratif et peu flatteur du commentaire précédent la diffusion des images. »
Par ailleurs, si une personne est identifiable sur une photo, l’image procède d’une donnée à caractère personnel. Il suit de là que si celle-ci n’est pas retirée d’un site internet, il est loisible à son titulaire de saisir, outre les juridictions, la CNIL afin d’exercer son droit à l’effacement.
En définitive, le droit à l’image, droit fondamental dans la vie privée et la sphère professionnelle, ouvre le champ de la réparation à partir de la simple constatation d’une atteinte, nonobstant le consentement présumé pour la captation, lequel ne saurait s’étendre à la diffusion. Il en résulte que le salarié qui n’a pas explicitement signifié son consentement est dispensé de prouver le préjudice subi. Le droit à l’image s’analyse comme droit attaché à la personne ; les manquements subséquents bénéficient d’une présomption de préjudice.