Distribution dans les DOM TOM, l’Autorité de la concurrence rappelle l’interdiction des exclusivités.

Par Jocelyn Goubet, Avocat.

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Explorer : # concurrence # exclusivité # dom tom # importation

Depuis la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer, dite loi Lurel, les exclusivités d’importation, non justifiées, sont interdites dans les collectivités d’outre-mer. Cette interdiction est pourtant largement ignorée par les professionnels de la distribution tous secteurs confondus. L’Autorité de la concurrence vient de rappeler à l’ordre plusieurs entreprises actives dans le secteur du champagne dans sa décision 23-D-02 du 8 mars 2023.

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Afin de dynamiser la concurrence intra marque par les prix, le législateur a introduit à l’article L420-2-1 du Code de commerce une interdiction des exclusivités d’importation dans l’ensemble des contrats portant sur les DOM TOM. Cette interdiction de principe avait pour objectif de permettre aux distributeurs actifs dans les DOM TOM de faire jouer la concurrence entre importateurs-grossistes, et ainsi de lutter contre la vie chère dans ces collectivités.

Depuis l’adoption de la loi Lurel, l’Autorité de la concurrence a adopté dix décisions de sanction pour non-respect de la loi Lurel dans des secteurs variés : produits d’hygiène et d’entretien [1], desserts [2], pièges à termites [3], conserves et boissons [4], dispositifs de biologie médicale [5], parfumerie et cosmétiques [6], et le champagne [7]. Après les maisons Nicolas Feuillatte et Cattier, c’est déjà la 3ème décision de ce type adoptée en moins de trois années par l’Autorité dans le secteur du champagne, qui semble donc recevoir toutes les faveurs de l’Autorité.

Dans cette nouvelle affaire portant sur les champagnes Canard Duchêne, les producteurs et les grossistes importateurs bénéficiaires du droit exclusif d’importation aux Antilles et en Guyane ont été condamnés par l’Autorité à des sanctions variant de 10.000 euros à 119.000 euros [8].

Si pour une partie des pratiques, l’Autorité a constaté le maintien après l’entrée en vigueur de la loi Lurel d’une exclusivité expressément prévue dans les contrats en cause (1), les pratiques ont en réalité perduré dans les faits hors cadre contractuel même après l’entrée en vigueur de la loi (2).

1. L’interdiction des exclusivités prévues expressément dans les contrats.

Si les exclusivités d’importation en cause dans cette affaire portent sur les champagnes Canard-Duchêne, elles ont été mises en œuvre par des grossistes importateurs parfaitement indépendants l’un de l’autre, l’un actif en Guyane et l’autre actif en Guadeloupe.

Néanmoins, les faits sont relativement proches quel que soit le grossiste importateur concerné.

Ainsi, l’Autorité a pu constater que les deux contrats d’importation initiaux étaient des contrats exclusifs, conclus le 22 février 2000 pour la Guyane et le 25 février 1999 pour la Guadeloupe, et reconduits successivement jusqu’au 31 décembre 2013, soit postérieurement à la période de transition prévue par la loi Lurel.

Le fait que les contrats aient été conclus avant l’adoption de la loi Lurel est indifférent pour l’Autorité, les parties auraient dû s’assurer de la mise en conformité de leur contrat avec le cadre réglementaire en vigueur, d’autant que le législateur avait prévu une période transitoire jusqu’au 22 mars 2013 afin de permettre aux acteurs du secteur de s’adapter.

A eux seuls, ces contrats constituent pour l’Autorité des preuves documentaires directes de la volonté des parties de réserver l’importation des produits Canard-Duchêne à un unique grossiste importateur, et suffisent pour caractériser la violation de l’interdiction des exclusivités.

2. L’interdiction des exclusivités de fait.

Pour retenir également le maintien de fait de l’exclusivité accordée aux grossistes importateurs, l’Autorité s’est penchée sur l’ensemble de la documentation relative à la relation commerciale entre les parties.

Si la notion d’exclusivité avait bien disparu des contrats, plusieurs indices émanant du producteur d’une part, et du grossiste importateur d’autre part, ont permis à l’Autorité de retenir le maintien de cette exclusivité en Guyane comme en Guadeloupe. Tout d’abord, l’Autorité a constaté que le grossiste importateur en cause a continué à être l’unique client de Canard-Duchêne dans le département en cause.

De plus, dans la documentation interne du fournisseur, la remise dont bénéficiait le grossiste importateur était intitulée « Remise de distributeur et exclusivité ». Cette mention ressortait également sur les factures retrouvées chez le grossiste importateur. Enfin, le fournisseur avait également mis en place un système afin de limiter ses offres promotionnelles à la France métropolitaine, et éviter les importations parallèles par la grande distribution.

S’agissant plus particulièrement des pratiques mises en œuvre en Guyane, des clients potentiels s’étaient vu opposer un refus de vente par le fournisseur à deux reprises, les invitant à se tourner vers le grossiste importateur en place dans leur département pour s’approvisionner.

En conséquence, l’Autorité retient que l’ensemble de ces éléments constituent un faisceau d’indices graves, précis et concordants de la volonté commune des parties de continuer à appliquer une exclusivité d’importation des produits Canard-Duchêne sur le territoire de la Guyane et de la Guadeloupe à compter du 1er janvier 2014 jusqu’à la fin de l’année 2016.

Comme le relève l’Autorité, une exclusivité d’importation constitue une infraction en soi, de sorte que

« le simple constat de l’octroi d’un droit exclusif d’importation accordé à une entreprise suffit à qualifier une infraction à l’article L420-2-1 du Code de commerce » [9].

Cette solution avait déjà été consacrée par la Cour d’appel de Paris dans l’affaire des champagnes Nicolas Feuillatte écartant l’analyse de l’impact de la pratique, présumé, potentiel ou réel, sur le fonctionnement de la concurrence [10].

On comprend mieux dans ces circonstances l’intérêt de l’Autorité pour la poursuite de telles pratiques. Les contrôles sont en effet dès lors extrêmement faciles à mener pour l’administration, et les sanctions quasi automatiques. Les acteurs du secteur ne doivent donc certainement pas s’attendre à une baisse du rythme des contrôles du respect de cette interdiction des exclusivités.

Quoi qu’il en soit, les auteurs de pratiques anticoncurrentielles peuvent tenter de bénéficier de l’exemption prévue par l’article L420-4 du Code de commerce à condition de démontrer que les pratiques en cause sont fondés sur des motifs objectifs tirés de l’efficacité économique et qu’elles réservent aux consommateurs une partie du profit

Ici, le grossiste importateur actif en Guadeloupe a tenté de soutenir que la pratique était dépourvue d’effets anticoncurrentiels compte-tenu de la vive concurrence intra-marque qui existerait sur le marché de détail en Guadeloupe, et que l’exclusivité d’importation aurait permis des économies de coûts logistiques, qui auraient bénéficié au consommateur final.

Cette argumentation est néanmoins balayée par l’Autorité de la concurrence en l’absence de communication de preuve documentaire.

Jocelyn Goubet, Avocat à la Cour
Barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1Décision 16-D-15 du 6 juillet 2016, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits de grande consommation en Outre-mer.

[2Décision 17-D-14 du 27 juillet 2017, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits de grande consommation en Outre-mer.

[3Décision 18-D-03 du 20 février 2018, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de pièges à termites à base de biocides à La Réunion, aux Antilles et en Guyane.

[4Décision18-D-21 du 8 octobre 2018, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits de grande consommation sur les îles du territoire de Wallis et Futuna.

[5Décision 19-D-11 du 29 mai 2019, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de réactifs et consommables pour laboratoires hospitaliers sur le territoire de la Guyane.

[6Décision 19-D-20 du 8 octobre 2019, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits de parfumerie et cosmétiques à La Réunion, aux Antilles et en Guyane.

[7Décision 20-D-16 du 29 octobre 2020, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation du champagne aux Antilles et en Guyane ; décision 21-D-23 du 7 octobre 2021, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation du champagne et de spiritueux à La Réunion.

[8Décision 23-D-02 du 8 mars 2023, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation du champagne Canard Duchêne aux Antilles et en Guyane.

[9Décision 23-D-02 du 8 mars 2023, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation du champagne Canard Duchêne aux Antilles et en Guyane, §110.

[10Cour d’appel de Paris, 9 juin 2022, n°20/16288.

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