Introduction
Le texte de la directive [1] a été ardemment discuté pendant plus de 2 ans et demi. Ce qui est énorme !
L’objectif de la directive a été d’une part de moderniser le droit d’auteur à l’ère numérique et, d’autre part, d’inciter les plateformes électroniques à mieux rétribuer les auteurs, les artistes et les journalistes. Lancés en 2016, les débats européens ont été agités entre auteurs et médias d’un côté, en lutte pour une meilleure rémunération et qui devront recevoir « une part de tout revenu lié au droit d’auteur obtenu par leur éditeur de presse », et géants du numérique de l’autre, dont Facebook, YouTube et Google, qui souhaitent une protection moins stricte.
Deux articles du texte européen ont été vraiment au cœur des controverses.
L’article 11 (devenu par après, l’article 15) prévoit de créer un « droit voisin » des éditeurs et agences de presse, qui leur permettra d’être rémunérés pour la réutilisation de leur production par des moteurs, comme GoogleNews, ou des réseaux sociaux, comme Facebook.
L’article 13 (devenu article 17) oblige quant à lui les plateformes à retirer des contenus qui n’auraient pas fait l’objet d’un accord de licence entre ces dernières et les titulaires de droits. Les sites seront dorénavant responsables du contenu que leurs utilisateurs mettent en ligne.
Exceptions : certaines productions, comme les mèmes ou les GIF, pourront toutefois être partagées librement, tels les liens vers des articles d’actualité, accompagnés de « mots isolés ou de très courts extraits. ».
De plus, l’article 18 prévoit le droit à une « rémunération appropriée et proportionnelle » pour les auteurs et les artistes (les créateurs européens). Ils pourront renégocier une rémunération plus équitable au vu des bénéfices que tire le distributeur de l’exploitation de leurs droits.
Le texte a été salué comme une victoire pour les créateurs en Europe : après 26 mois de négociations, entre campagnes de lobbying et mobilisation de milliers d’auteurs, réalisateurs, scénaristes pour défendre les droits des créateurs.
Certains craignent toutefois que le texte instaure une censure généralisée du web.
Analysons ici succinctement quelques conséquences de ce texte.
A. Conséquences et impacts pour les entreprises.
1. Éditeurs de presse.
Clairement, les éditeurs de presse (Rossel, Roularta, Le Monde, etc.) auront une base juridique pour négocier face à, par exemple, Google pour son service GoogleNews.
Rappelons que la presse belge (associée aux auteurs journalistes et scientifiques) avaient gagné le litige contre Google en 2007 (première instance [2]) et 2011 (appel [3]).
Les éditeurs de presse pourront négocier avec les plateformes comme GoogleNews mais aussi avec Facebook, LinkedIn ou Twitter, pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse. Il est évident que c’est GoogleNews qui vient le premier à l’esprit mais les autres plateformes que nous venons de mentionner sont aussi concernées dans la mesure où elles ne pourront pas bénéficier des exceptions mentionnées par la directive.
En effet, le texte européen mentionne trois cas où les éditeurs ne pourront pas négocier :
pour les utilisations des publications de presse faites par des utilisateurs individuels (que ces utilisations soient faites à titre privé ou non commercial) ;
pour les actes liés aux hyperliens ;
en ce qui concerne l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse.
La licence a un champ d’application très étroit :
1. elle ne concernera plus les articles qui auront plus de deux ans d’existence (le droit voisin des éditeurs a donc une durée d’existence très court à l’inverse des droits des auteurs qui s’éteignent 70 ans après leur décès) ;
2. elle ne s’appliquera pas aux publications de presse publiées pour la première fois avant la date d’entrée en vigueur de la directive.
La rémunération perçue par les éditeurs de presse devra être partagée avec les auteurs. En effet, la directive prévoit que ces derniers devront en recevoir « une part appropriée ». Que recouvre cette expression, nul ne le sait pour l’instant…
2. Producteurs audiovisuels.
La disposition phare de la directive !
Dorénavant, les producteurs audiovisuels pourront négocier des licences avec les « fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » pour les actes de communication au public que ces fournisseurs réalisent. Il s’agit des YouTube et DailyMotion mais non les Wikipedia, les Dropbox, les ebay.
Dans le cas où ces plateformes de partage refusent de conclure des accords, elles pourraient voir engager leur responsabilité (sous certaines conditions).
3. Éditeurs de livres, producteurs et SVOD.
Les éditeurs de livres voient eux leurs droits restreints par l’instauration de nouvelles possibilités pour les chercheurs scientifiques, les institutions culturelles, les établissements d’enseignement et pour les auteurs de livres. Par contre, les éditeurs (de presse et de livres) ainsi que les producteurs d’œuvres audiovisuelles pourraient bénéficier de nouvelles possibilités grâce aux licences collectives étendues.
a) Chercheurs scientifiques
Les organismes de recherche et les institutions du patrimoine culturel pourront procéder, à des fins de recherche scientifique, à des fouilles de textes et de données (“text&data mining”) sur des corpus de documentation auxquels ils ont déjà accès de manière licite.
Qui est concerné par cette possibilité ?
Les bibliothèques accessibles au public, les musées, les archives et les institutions dépositaires d’un patrimoine cinématographique ou sonore.
Qu’est-ce que la fouille de textes et de données ?
Il s’agit des techniques d’analyse automatisée visant à analyser des textes et des données numériques afin d’en dégager des informations (des constantes, des tendances, des corrélations, etc.).
Auparavant, les éditeurs considéraient qu’ils pouvaient aussi facturer la réalisation de cette activité par les chercheurs. Dorénavant, la fouille de textes et de données pourra être réalisée sans augmentation de la licence octroyant l’accès aux documents.
b) Les établissements d’enseignement.
Les Etats membres pourront prévoir que les établissements d’enseignement peuvent utiliser numériquement tout matériel d’enseignement (et ce même à titre gratuit si l’Etat membre en décide ainsi).
Cette utilisation est toutefois très encadrée :
elle ne peut avoir pour but qu’à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement ;
dans la mesure justifiée par le but non commercial poursuivi par l’établissement d’enseignement ;
l’utilisation ait lieu sous la responsabilité de l’établissement d’enseignement, dans ses locaux ou dans d’autres lieux ;
ou au moyen d’un environnement électronique sécurisé accessible uniquement aux élèves, aux étudiants et au personnel enseignant de cet établissement.
En fonction du choix futur du législateur national, les éditeurs ne pourront peut-être plus dans le futur conclure des licences avec les établissements d’enseignement pour de telles utilisations.
c) Éditeurs et producteurs.
La directive étend dans toute l’Europe le système des licences collectives étendues qui fonctionnent depuis de nombreuses années dans les pays nordiques.
Ce système permet aux sociétés de gestion de conclure des accords dans des domaines d’utilisations bien définis. Ces accords concernent les membres de la société de gestion en question mais, de par une fiction juridique, s’étend aux non membres de la société de gestion. La licence doit recevoir une certaine publicité pour avertir ces non membres et leur permettre de demander la sortie de leurs œuvres de ladite licence. La licence ne peut être conclue que par une société de gestion qui est « suffisamment » représentative de la catégorie d’œuvres concernées.
Les licences collectives étendues sont utilisées dans les pays nordiques pour toute sorte d’utilisation : numérisation de masse, utilisation audiovisuelle.
Selon la loi nationale de transposition de la directive, il se pourrait que de nouvelles opportunités de licences s’ouvrent aux producteurs et aux éditeurs pour permettre, par exemple, une utilisation commerciale plus poussée de leurs archives.
d) Les plateformes de vidéo à la demande.
La directive prévoit des mesures de facilitation pour les entreprises qui veulent ouvrir des plateformes de vidéo à la demande.
En effet, les Etats membres devront faire en sorte que, dans le cas où ces entreprises rencontrent des difficultés en matière d’octroi de licences de droits, puissent recourir à l’assistance d’un organisme impartial ou de médiateurs. L’organisme impartial établi ou désigné par l’Etat membre et les médiateurs devront apporter leur assistance aux différentes parties en cause dans la négociation et les aider à aboutir à un accord, y compris, le cas échéant, en leur soumettant des propositions.
e) Auteurs et artistes.
Les entreprises audiovisuelles, les producteurs de disque ainsi que les éditeurs de livres et de presse devront revoir les contrats qui les lient avec leurs auteurs ou artistes.
En effet, la directive prévoit dorénavant que :
"lorsque les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants ont octroyé sous licence ou lorsqu’ils ont transféré leurs droits exclusifs pour l’exploitation de leurs œuvres ou autres objets protégés à un cocontractant, ils ont le droit de percevoir une rémunération « appropriée et proportionnelle ».
Ce que recouvre cette expression n’est pas encore connue. L’Etat membre va-t-il fixer un pourcentage minimum ? Va-t-elle laisser les parties décider de cette rémunération appropriée et proportionnelle (et donc le juge in fine) ?
Les auteurs et les artistes devront recevoir annuellement des informations sur les exploitations de leurs œuvres.
La directive introduit aussi ce que l’on appelle la clause de succès :
L’Etat membre devra veiller à :
« ce que les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants ou leurs représentants aient le droit de réclamer à la partie avec laquelle ils ont conclu un contrat d’exploitation des droits ou aux ayants droits de cette partie, une rémunération supplémentaire appropriée et juste lorsque la rémunération initialement convenue se révèle exagérément faible par rapport à l’ensemble des revenus ultérieurement tirés de l’exploitation des œuvres ou des interprétations ou exécutions. ».
Ce mécanisme ne jouera pas s’il existe accord collectif applicable prévoyant un mécanisme comparable. Ce sera donc une analyse au cas par cas.
Enfin, le texte européen va obliger les producteurs et éditeurs à réellement exploiter les œuvres dont ils ont obtenu les droits via des licences ou des transferts de droits. En effet, s’ils n’exploitent pas les œuvres, les auteurs et les artistes pourront demander à récupérer leurs œuvres (révoquer les licences). L’Etat membre pourra encadrer dans le temps l’exercice de ce droit de révocation.
B. Conclusion
Que vous soyez auteur ou artiste, un chercheur ou un enseignant, un gérant d’un musée ou d’une institution culturelle, une société gérant une plateforme en ligne permettant le partage de contenus ou un éditeur de presse, etc. ne tardez pas à vous renseigner sur le texte européen !