Victime d’un véhicule terrestre à moteur, le piéton, s’il est âgé de seize à soixante-dix ans inclus, sera indemnisé automatiquement sans qu’on puisse lui opposer la force majeure ou le fait d’un tiers [1], ni même sa propre faute sauf si elle est inexcusable et la cause exclusive de l’accident [2] et, s’il est âgé de moins de seize ou de plus de soixante-dix ans ou atteint d’un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité de 80% au moins, il sera indemnisé dans tous les cas [3].
Il n’existe qu’une limite, la recherche volontaire du dommage [4], plutôt rare, comme peut l’être la tentative de suicide ( l’intention suicidaire ne se présume pas mais doit être prouvée) [5].
Par ailleurs, les tribunaux judiciaires qui ont ici une compétence exclusive, interprètent très favorablement la loi, notamment s’agissant de la notion de faute inexcusable du piéton qu’ils réduisent à la « faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » [6] dans des cas tels que la traversée d’autoroutes ou de voies à grande circulation [7], l’écartant en revanche dans le cas d’une brusque traversée d’une route ordinaire, y compris, par exemple, lorsque le feu est au vert pour les automobilistes ou lorsqu’elle intervient à un endroit formellement interdit aux piétons pour traverser [8] et, peu important, par ailleurs, l’état d’ ivresse du piéton [9].
Dans le cas des ouvrages publics, il en va tout autrement.
Force est de constater que les recours sont le plus souvent rejetés par les juridictions administratives seules compétentes, pour un manque de vigilance du piéton ou pour insuffisance de preuve.
Elles relèvent en préambule de leurs décisions qu’il « appartient à l’usager d’un ouvrage public qui demande réparation d’un préjudice qu’il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre celui-ci et le préjudice invoqué... »
Ainsi, la preuve doit être rapportée que la chute est bien due au mauvais état du trottoir [10] ce qui n’est pas le cas, par exemple, des obstacles jugés visibles tels qu’un pavé en surélévation de 5 cm ne nécessitant aucune signalisation particulière [11], un léger affaissement de la chaussée après comblement d’une tranchée [12] ou une plaque métallique, même non signalée, se distinguant nettement du revêtement du sol compte tenu de sa hauteur et de sa couleur.
Mais la difficulté pour le piéton à se faire indemniser réside le plus souvent dans la question de la preuve.
Les attestations sont souvent jugées insuffisantes pour établir les circonstances exactes de la chute une attestation d’un membre de la famille ne suffit pas [13], pas plus que des attestations de témoins non-directs ou imprécises quant à la date et au lieu de l’accident [14].
Illustration par cet extrait d’un récent arrêt n° 21MA02701 du 16 décembre 2022 de la Cour d’appel administrative de Marseille [15] :
« ... Si la requérante soutient avoir chuté sur la voie publique (...) du fait de la présence sur le trottoir d’une ouverture recouverte par une fine planche de bois qui a cédé à son passage (…), les clichés photographiques qu’elle verse aux débats ne sont ni datés, ni précisément localisés (…) Il ne résulte pas non plus de ces seules photographies que celles-ci montreraient l’état de l’ouvrage public litigieux à la date dudit accident. En outre, la matérialité des faits ne saurait davantage résulter des seules déclarations de l’intéressée ou de l’attestation d’un tiers n’ayant pas assisté à l’accident et qui n’est elle-même, ni précise, ni circonstanciée. Dans ces conditions, la requérante n’établit pas de lien de causalité, contesté par la défense, entre les dommages dont elle demande réparation et l’état de l’ouvrage public... ».
S’il n’a pas de témoignages directs précis, ce qui est assez souvent le cas, il semble difficile pour le piéton, blessé et en état de choc, de faire dresser un constat d’huissier qui parait être la seule preuve susceptible d’être retenue. On peut également s’étonner que, dans la plupart des décisions, on ne trouve aucune trace d’un procès-verbal dressé par la police ou la gendarmerie qui doivent normalement intervenir dès lors qu’il y a blessure, ce qui faciliterait largement la preuve, s’agissant de la matérialité des lieux et des faits.
On voit donc qu’il existe un véritable fossé entre, d’une part, un régime d’indemnisation extrêmement libéral (trop ?) confinant à une forme d’irresponsabilité quasi-totale du piéton et, d’autre part, un autre beaucoup plus (trop ?) restrictif sur le plan de la preuve qu’il lui faut apporter.
L’auteur de cet article a réalisé le "Guide juridique du piéton" aux Éditions du Puits fleuri.