Ces derniers jours, les affaires d’ordre sexuel concernant Gérard Depardieu ont connu un emballement médiatique et désormais politique, voire international... faisant suite à l’émission « Complément d’enquête » du 7 décembre, assez souvent sans faire de distinction entre droit, morale, bienséance, savoir-vivre et maintenant honneur.
Probablement est-ce pour partie en raison du vide laissé par la justice relativement aux accusations principales de viol et agression sexuelle pour lesquels plainte a été déposée immédiatement en août 2018, qui font actuellement l’objet d’une mise en examen confirmée par un arrêt de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris remontant au 20 mars 2022. Selon ce que l’on sait, les faits ont eu lieu dans le huis clos de l’hôtel particulier de l’acteur avec pour seul témoin une caméra de surveillance et de nombreuses investigations ayant abouti initialement à un classement sans suite le 4 juin 2019 ont été menées au cours de l’enquête préliminaire, de sorte qu’on peine, dans ces conditions, à comprendre un aussi long silence judiciaire.
Cela étant observé, le dernier mot devant malgré tout revenir un jour à la loi, il paraît utile de replacer dans leur contexte juridique ces différentes affaires qui, toujours selon ce qu’on en sait des déclarations des plaignantes et des éléments fournis par les médias, sont susceptibles de relever d’une grande variété d’infractions sexuelles : harcèlement, exhibition, outrage, agression et viol, les quatre premières étant des délits et la cinquième un crime.
Se pose d’abord la question de la prescription. Elle est aujourd’hui de 20 ans pour les crimes et de 6 ans pour les délits mais seulement depuis le 1ᵉʳ mars 2017 [1] car elle n’était auparavant que de 10 et 3 ans.
Elle paraît acquise, en l’absence de plainte, pour des faits de harcèlement, d’exhibition et d’agression qui auraient été commis avant le 1ᵉʳ mars 2014, de même que pour ceux qui l’auraient été entre le 1ᵉʳ mars 2014 et le 1ᵉʳ mars 2017 et à la suite desquels aucune plainte n’aurait été déposée avant le 1ᵉʳ mars 2023.
Ensuite, concernant les agissements eux-mêmes, il faut distinguer les propos et les actes :
- S’agissant des propos à connotation sexuelle qui ont pu être tenus par l’acteur, l’outrage ne peut être retenu car à supposer que les conditions en soient ici réunies (propos imposés, particulière vulnérabilité de la victime), il s’agit d’un délit de création récente en vigueur depuis le 1ᵉʳ avril 2023 seulement et aucuns propos postérieurs à cette date ne semblent reprochés au comédien. On notera que pour ce délit, les poursuites peuvent être arrêtées par le paiement d’une amende forfaitaire [2].
Par ailleurs, de simples propos tels que ceux tenus en Corée du Nord, pour regrettables qu’ils soient, ne sont constitutifs d’aucune infraction, notamment dans la mesure où ils ne s’adressent pas directement à une victime mais tout au plus à l’entourage à moins qu’il ne s’agisse d’un long monologue...
En revanche, des propos de même nature tenus dans le passé à une victime potentielle pourraient être à l’origine du délit de harcèlement sexuel dans deux cas, soit parce qu’ils auraient été répétés, soit parce que, isolés, ils constitueraient une pression ayant pour finalité d’obtenir un acte de nature sexuelle [3].
- Qu’en est-il des actes ?
Les gestes ou plus généralement les comportements susceptibles de constituer un harcèlement sexuel [4] sont punissables dans les mêmes conditions que les propos (répétition ou recherche d’un acte sexuel).
L’exhibition sexuelle [5], tel le reproche fait à l’acteur par une jeune femme de lui avoir montré son sexe lors d’un tournage, n’est un délit que si elle est commise dans un lieu accessible au regard du public.
La pénétration digitale est constitutive d’un viol [6].
L’agression sexuelle [7] peut consister, par exemple, en des attouchements, des baisers. Ces éléments matériels indispensables semblent ici avoir eu lieu.
Mais il faut aussi un défaut de consentement de la victime.
Il a été jugé (c’était en 2001, il est vrai) que l’absence totale de consentement doit être caractérisée et que le fait que le prévenu ne pouvait pas ne pas se rendre compte que la victime n’était pas tout à fait consentante n’était pas suffisant [8].
Le défaut de consentement peut résulter de la violence, de la menace, de la surprise ou de la contrainte dont l’auteur a usé [9]. Il semble que dans le cas de l’acteur, du moins sur la base des éléments connus, seule la contrainte puisse être envisagée, étant précisé que la surprise n’est pas l’état de sidération de la victime mais, par exemple, la ruse consistant à se faire passer pour un autre afin d’obtenir son consentement.
La contrainte peut être physique ou morale [10]. Cette dernière paraît être la seule alléguée par les plaignantes. Expressément introduite en 2010 dans le Code pénal qui ne connaissait jusque-là que la contrainte en général, elle pourrait être appréciée moins strictement pour des faits antérieurs non prescrits, compte tenu de la non-rétroactivité de la loi pénale.
Il s’agit d’une circonstance qui doit être caractérisée au cas par cas. Par le passé, la contrainte morale a, par exemple, été retenue pour une jeune femme de dix-huit ans timide et réservée face à un directeur despotique et tyrannique [11].
Enfin, pour le viol et l’agression sexuelle (de même d’ailleurs que pour le harcèlement), la peine est aggravée si la victime se trouve dans un état de particulière vulnérabilité apparent ou connu de l’auteur [12], circonstance qui a fait l’objet de différentes décisions dans des cas tels que l’arriération mentale, des troubles mentaux, l’ivresse, une hémiplégie ou un état de prostration et d’inconscience consécutif à la prise d’un traitement médical [13]. Si la culpabilité était retenue, la question pourrait donc se poser pour l’anorexie invoquée par la plaignante afin d’expliquer son absence de résistance.
En conclusion, on peut constater, au terme de ce rapide tour d’horizon et sous réserve de ce que l’on sait à ce jour et des décisions que prendront les magistrats, que sur un plan strictement judiciaire, les propos et les actes reprochés à l’acteur semblent pour la plupart, ou bien prescrits, ou bien ne pas constituer une infraction et pour les autres, laisser une place pour la discussion.
Et mesurer ainsi l’écart qu’il peut y avoir avec un certain nombre de commentaires et de réactions.
Discussions en cours :
Selon l’article R 96 du code de la Légion d’honneur, "Les peines disciplinaires prévues au présent chapitre peuvent être prises contre tout membre de l’ordre qui aura commis un acte contraire à l’honneur".
Donc il n’est pas nécessaire d’avoir été condamné par un tribunal pour être soumis aux sanctions disciplinaires de l’ordre de la Légion d’honneur.
Par ailleurs, il y a trois séries de sanctions : censure(blâme), suspension et radiation.
Radiation et suspension sont prises par décret signé du président de la République.
il est donc clair que Depardieu ne sera ni suspendu ni radié.
Mais la censure, le blâme relèvent d’un arrêté du grand chancelier après avis du conseil de l’ordre.
Donc si le général Lecointre, grand chancelier, le voulait, il pourrait très bien prononcer un blâme contre Depardieu.
Les peines diciplinaires peuvent effectivement être prononcées en cas d’acte contraire à l’honneur et la peine de censure prononcée par le grand chancelier.
Mais elles sont par ailleurs étroitement liées à une condamnation pénale (articles R 91 à R 95).
Si l’on reprend le cas Depardieu, seuls les propos tenus en Corée du Sud peuvent être considérés, à ce jour du moins, comme acquis, et encore existe-t-il une polémique concernant, d’une part, les conditions de leur diffusion et, d’autre part, leur présentation tronquée ou pas.
Sur un plan purement formel, on notera que l’article R 96 ne vise que les actes, pas les propos.
Si l’on entend les actes au sens large en y assimilant les propos, se pose la question de l’atteinte à l’honneur alors même qu’ils ne constituent pas une infraction pénale ce qui permet certes de prendre une sanction disciplinaire sans attendre une décision pénale qui ne viendra pas mais, en l’absence de support judiciaire, sur la base d’un critère qui fait précisément partie de ces notions à géométrie variable sur lesquelles tout un chacun peut, dans le cas d’espèce, avoir sa propre opinion et entretenir la polémique.
Toute précipitation ne paraissant pas ici justifiée, ne serait-il pas prudent d’attendre les éventuelles décisions de justice et embrasser ainsi l’ensemble des faits reprochés au comédien. En cas de condamnation rentrant dans le cadre des articles R 91 à R 95, la question de la sanction serait réglée et, dans le cas contraire, les éléments d’appréciation d’un manquement à l’honneur seraient plus complets.