Détention provisoire en comparution immédiate : plaidez le fond ! Par Victor Khal, Avocat.

Détention provisoire en comparution immédiate : plaidez le fond !

Par Victor Khal, Avocat.

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Explorer : # détention provisoire # indices graves ou concordants # comparution immédiate # droits de la défense

Le placement en détention provisoire d’une personne devant être jugée en comparution immédiate exige-t-il l’examen de l’existence d’indices graves ou concordants ? Ou bien de charges suffisantes ?
À défaut, le fait de se limiter aux conditions de l’article 144 du Code de procédure pénale est-il conforme aux principes les plus fondamentaux du droit pénal ?

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Par arrêt du 14 octobre 2020 rendu au visa de l’article 5 1. c) de la Convention européenne des droits de l’Homme, la chambre criminelle de la Cour de cassation a identifié une nouvelle condition légale, autre que celles de l’article 144 du Code de procédure pénale : la détention provisoire exige l’examen de l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés [1].

L’examen d’indices graves ou concordants était avant cet arrêt une notion propre au juge de l’instruction qui entend mettre en examen un suspect.

Désormais, lorsqu’ils sont saisis d’une demande de placement en détention provisoire ou de mise en liberté, le juge des libertés et de la détention et éventuellement, la chambre de l’instruction, doivent également examiner l’existence de ces mêmes d’indices graves ou concordants.

Cet examen doit se faire à chacun des stades de la procédure, même d’office [2] et la constatation de l’existence de raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis les infractions reprochées ne permet pas de déduire l’existence d’indices graves ou concordants de sa participation à ces mêmes faits, cette dernière exigence étant plus stricte que la première [3].

Toutefois, l’obligation susvisée de constater l’existence des indices graves ou concordants cesse, sauf contestation sur ce point, en cas de placement en détention provisoire sanctionnant des manquements volontaires aux obligations du contrôle judiciaire [4].

Quid alors de la détention provisoire ordonnée dans le cadre d’une procédure de détention provisoire ?

Par arrêt du 25 octobre 2023, la Cour d’appel de Versailles a confirmé un jugement ayant rejeté une demande de mise en liberté en refusant d’examiner ces indices graves ou concordants aux motifs que [5] :

« la notion d’indices graves ou concordants ne peut être soulevée dans le cadre d’une comparution immédiate, seuls le juge des libertés et de la détention, le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction étant tenus de s’assurer de l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation à la commission des faits ».

Dans cette espèce relative à des faits de violences conjugales, ont été produits des éléments d’anciennes procédures démontrant que la parole de la plaignante n’était pas crédible car elle avait déjà dénoncé des faits de même nature et d’autres plus graves sur lesquels elle était revenue en adressant des lettres au procureur de la République.

Cela étant, la Cour d’appel de Versailles a décidé de n’examiner que les conditions de l’article 144 du Code de procédure pénale considérant que dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate, l’exigence d’examen d’indices graves ou concordants n’est pas applicable.

Or, en rendant son arrêt du 14 octobre 2020 au visa de l’article 5 1. c) de la Convention européenne des droits de l’Homme uniquement et en indiquant à ce titre que la détention provisoire est soumise à « des conditions légales », notamment, « de l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés », la Cour de cassation a vraisemblablement voulu dégager un principe général.

La présence des mentions « personne mise en examen » et « chambre de l’instruction » s’expliquerait, dès lors, simplement par le fait que le demandeur au pourvoi a été mis en examen et que l’arrêt attaqué a été rendu par la chambre de l’instruction, rien de plus.

La seule spécificité par rapport à la procédure d’instruction se limite au fait que « la chambre de l’instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s’assurer que les conditions légales de la détention provisoire sont réunies » [6].

Ceci s’explique par le fait que l’instruction étant toujours en cours, les indices rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés peuvent évoluer dans un sens comme dans un autre.

En audience de comparution immédiate, le procureur de la République a décidé de clôturer l’enquête et renvoyer le mis en cause pour être jugé sur-le-champ car il a estimé que les charges étaient suffisantes. L’examen d’indices graves ou concordants s’impose donc de plus fort.

Partant, il n’y a pas lieu de procéder à une distinction entre les procédures d’instruction et celles conduisant à un placement en détention provisoire dans le cadre d’une comparution immédiate alors que l’arrêt du 14 octobre 2020, arrêt de principe publié au bulletin est rendu au visa d’une disposition évoquant la détention de façon générale.

Cette interprétation se justifie également par le III° de l’article préliminaire du Code de procédure pénale qui énonce sans aucune distinction entre les procédures que : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie ».

La distinction opérée selon que la détention provisoire soit ordonnée dans le cadre d’une procédure d’instruction ou d’une procédure de comparution immédiate se justifie d’autant moins qu’il n’existe pas de disposition traitant spécifiquement de la détention provisoire en procédure de comparution immédiate.

En effet, l’article 397-3 al. 2 du Code de procédure pénale évoquant la question du placement ou du maintien du prévenu devant être jugé en comparution immédiate renvoie à des dispositions insérées dans le titre III du même code, intitulé « Des juridictions d’instruction (Articles 79 à 230) ».

Au surplus, l’examen d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation aux faits reprochés par le prévenu s’impose davantage en comparution immédiate car dans le cadre d’une procédure d’instruction - en application de l’article 137 du Code de procédure pénale - seule une personne mise en examen peut être placée en détention provisoire et ce, à titre exceptionnel.

Ainsi, il existe un premier filtre relatif à la mise en examen puisque celle-ci n’est possible qu’en présence desdits indices graves ou concordants qui, à défaut de respect de cette exigence, encourt la nullité.

Il existe également un second filtre puisque le mis en examen peut soulever une erreur de procédure et donc, provoquer l’annulation de sa mise en examen si l’erreur conduit à l’écartement d’un acte justifiant ces indices graves ou concordants.

Or, en comparution immédiate, aucun de ces filtres n’existe.

La décision de renvoi en comparution immédiate - c’est-à-dire de traduction du prévenu sur-le-champ devant le tribunal correctionnel - n’est pas susceptible de recours et le prévenu ne pourra former de contestation pour erreur de procédure que le jour de l’audience de jugement.

A fortiori, dans le cadre d’une procédure d’instruction, le débat relatif à la détention provisoire a lieu devant le Juge des libertés et de la détention, magistrat du siège expérimenté ne pouvant être suppléé en cas de vacance d’emploi, d’absence ou d’empêchement que par un magistrat du siège du premier grade ou hors hiérarchie désigné par le président du tribunal judiciaire. Et seulement en cas d’empêchement de ces magistrats, le président du tribunal judiciaire peut désigner un magistrat du second grade [7].

S’agissant de la détention provisoire et de la culpabilité, Christian Guéry, ancien conseiller à la chambre criminelle, a déclaré dès 2006 [8] qu’ :

« Avant de s’intéresser aux critères permettant de se poser la question de la détention, nos textes devraient prévoir une formule exigeant, comme socle de départ, la réunion d’éléments sérieux à l’encontre de la personne poursuivie.
Certains pourront trouver nos remarques évidentes. Pas tant que cela sans doute puisqu’il existe des juges des libertés et de la détention qui pensent qu’ils ne doivent pas s’intéresser au « fond » de l’affaire. Et combien de présidents de chambre de l’instruction, de cour d’assises ou de tribunal correctionnel, saisis d’une demande de mise en liberté, interrompent l’avocat trop long en lui disant « nous ne nous intéressons qu’à la détention aujourd’hui, Maître... » ?
Pire, combien d’avocats pratiquent une auto-censure en débutant leurs plaidoiries ou leurs observations en affirmant qu’ils savent très bien qu’ils ne sont pas là pour « évoquer le fond de l’affaire ».
Bien sûr que si !
Comment peut-on dire à quelqu’un qui nie les faits qu’il va rester en détention parce qu’il y a des risques de pression alors qu’il prétend ne pas connaître la victime ?
Qu’il y a risque de renouvellement alors qu’il soutient ne rien avoir fait ?
Comment peut-on lui dire cela sans lui expliquer au préalable quels sont les éléments réunis à son encontre ?
Cette explication passe par la motivation des décisions. Dès lors qu’une personne conteste les faits, la juridiction saisie de la demande de placement, de prolongation, de maintien de la détention ou d’une demande de mise en liberté se doit d’expliquer quels sont les indices, quelles sont les charges réunies, condition sine qua non avant de se poser la question de la détention
 ».

C’est bien ce raisonnement qui a été consacré dans l’arrêt du 14 octobre 2020 auquel Monsieur Guéry a participé à l’élaboration en qualité de Conseiller de la chambre criminelle.

Partant, aucune distinction ne doit être faite entre les procédures d’instruction et les autres.

En effet, sur cette question de placement ou de maintien en détention provisoire, la seule distinction qui doit être faite en évoquant le fond est celle de ne pas plaider, par exemple, les peines, le sursis, l’aménagement de la peine ou le concours d’infractions, questions étrangères au simple examen des indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation aux faits reprochés.

Par ailleurs, en vertu du principe « in dubio pro reo », qui constitue l’un des principes les plus fondamentaux du droit pénal [9], la charge de la preuve incombe à l’accusation et une personne poursuivie ne pourrait être contrainte de prouver son innocence [10].

Dès lors, placer ou maintenir une personne en détention provisoire en refusant d’examiner l’existence d’indices graves ou concordants au prétexte qu’il sied de n’examiner que les conditions de l’article 144 du Code de procédure pénale conduit nécessairement à une atteinte grave à la présomption d’innocence et au principe « in dubio pro reo » signifiant que le doute profite à l’accusé ou au prévenu (et non au plaignant ou à l’accusation).

Plus encore, cela occasionnera une atteinte grave aux droits de la défense puisque tout prévenu renvoyé en comparution immédiate sera contraint d’accepter d’être jugé sur-le-champ sans demande de délai pour préparer sa défense et ce, même s’il conteste les faits qui lui sont reprochés car il risque d’être placé en détention provisoire sans avoir eu la possibilité de s’exprimer sur ceux-ci.

Ainsi, placer ou maintenir une personne en détention provisoire en refusant d’examiner l’existence d’indices graves ou concordants au prétexte qu’il sied de n’examiner que les conditions de l’article 144 du Code de procédure pénale porte atteinte à l’article 5.1 c) mais également au droit de « disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense » tel que garanti par l’article 6.3 c) de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Enfin, il sera rappelé qu’aux termes de l’article 395 al. 1er du Code de procédure pénale :

« Si le maximum de l’emprisonnement prévu par la loi est au moins égal à deux ans, le procureur de la République, lorsqu’il lui apparaît que les charges réunies sont suffisantes et que l’affaire est en l’état d’être jugée, peut, s’il estime que les éléments de l’espèce justifient une comparution immédiate, traduire le prévenu sur-le-champ devant le tribunal ».

Ainsi, à supposer que la notion d’indices graves ou concordants soit exclusive à la procédure d’instruction, la Cour de cassation pourra ériger au visa de l’article 5.1 c) de la Convention européenne des droits de l’Homme, comme elle l’a fait dans son arrêt du 14 octobre 2020 avec les indices graves ou concordants, la notion de charges suffisantes comme l’une des conditions légales de la décision de placement ou de maintien en détention provisoire prise par le tribunal correctionnel dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate.

La vérification de l’existence de charges suffisantes est une exigence plus stricte que le simple examen d’indices graves ou concordants étant donné qu’en comparution immédiate, il a été décidé de faire juger le prévenu sur-le-champ au motif que le procureur de la République a estimé, par ailleurs, que l’affaire était en état d’être jugée.

S’agissant du degré d’exigence, dans son arrêt du 16 mars 2021, la chambre criminelle a, pour mémoire, jugé que la constatation de l’existence de raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis les infractions reprochées ne permet pas de déduire l’existence d’indices graves ou concordants de sa participation à ces mêmes faits, cette dernière exigence étant plus stricte que la première [11].

Dans la mesure où la chambre criminelle semble avoir consacré le palier de la vraisemblance évoqué par son ancien conseiller Christian Guéry, [12] la notion de charges suffisantes est une exigence plus stricte que celle d’indices graves ou concordants.

En l’état,

  • l’exigence d’une ou plusieurs «  raisons plausibles  » de soupçonner la participation d’un individu à la commission d’une infraction constitue la condition nécessaire de son placement en garde à vue
  • l’existence «  d’indices graves ou concordants  » constitue la condition préalable au placement en détention provisoire dans le cadre d’une procédure d’instruction d’une personne mise en examen
  • l’existence de «  charges suffisantes  » constitue la condition préalable au placement en détention provisoire dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate d’un prévenu
  • l’existence de «  preuves  » permet la condamnation d’un prévenu [13].

En effet, le procureur de la République décide de traduire un prévenu sur-le-champ devant le tribunal correctionnel car il lui apparait « que les charges réunies sont suffisantes et que l’affaire est en l’état d’être jugée » et qu’il estime que « les éléments de l’espèce justifient une comparution immédiate » [14].

Après avoir veillé à ce que les investigations tendant à la manifestation de la vérité soient accomplies à charge et à décharge, dans le respect des droits de la victime, du plaignant et de la personne suspectée [15], le procureur de la République a donc considéré qu’il existait des charges suffisantes ou preuves permettant de faire condamner le mis en cause et ainsi, le renvoyer devant le tribunal correctionnel pour être jugé en comparution immédiate.

La procédure de comparution immédiate, considérablement attentatoire aux droits de la défense, ne se justifie que par le fait que l’affaire est en état d’être jugée et par l’existence de ces charges suffisantes.

En termes de vraisemblance, la vérification de charges suffisantes devra donc nécessairement se situer, à mi-chemin, entre les indices graves ou concordants et les preuves.

Dès lors, le placement en détention provisoire d’une personne devant être jugée en comparution immédiate exige-t-il l’examen de l’existence d’indices graves ou concordants ? ou bien de charges suffisantes ?

Un pourvoi a été formé contre ledit arrêt de la Cour d’appel de Versailles pour permettre à la Cour de cassation de répondre à cette question.

Victor Khal
Avocat au barreau de Paris
www.khal.fr

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Notes de l'article:

[1Crim. 14 oct. 2020, no 20-82.961 P.

[2Crim. 9 févr. 2021, n° 20-86.339 P.

[3Crim. 16 mars 2021, n° 20-87.092 FS-P.

[4Crim. 27 janv. 2021, n° 20-85.990 P.

[5CA Versailles, 25 octobre 2023, 18ème chambre n° 23/02804.

[6Crim. 9 févr. 2021, n° 20-86.339 P.

[7Article 137-1-1 du Code de procédure pénale.

[8Recueil Dalloz Détention provisoire et culpabilité - Christian Guéry - D. 2006. 1556.

[9CEDH 15 novembre 2018 Navalnyy c/Russie n° 29580/12.

[10CEDH, 24 juillet 2008, Melich et Beck c/République tchèque, n° 35450/04 et CEDH 28 juin 2022, Boutaffala c/Belgique, n° 20762/19.

[11Crim. 16 mars 2021, FS-P, n° 20-87.092.

[12Recueil Dalloz Détention provisoire et culpabilité - Christian Guéry - D. 2006. 1556.

[13AJ Pénal 2021 p.27 De l’importance du sens des mots, Jean Boudot.

[14Article 395 du Code de procédure pénale.

[15Article 39-3 du Code de procédure pénale.

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