Un chauffeur de bus, licencié à la suite d’un comportement déplacé envers deux collègues, a contesté son licenciement et en a profité pour demander la réparation du préjudice qu’il considère avoir subi par ailleurs du fait d’une mesure mise en place dans l’entreprise : un accord collectif a accordé une demi-journée de congé aux femmes et seulement aux femmes, le 8 mars à l’occasion de la journée internationale des droits de la femme. Il avait donc réclamé lui aussi, au nom de l’égalité, le droit à cette demi-journée qui lui a été refusée au motif qu’il était un homme.
La question posée aux juges par notre redresseur de torts était donc de savoir si une telle mesure pouvait rentrer dans le champ des mesures légalement autorisées c’est-à-dire s’il s’agissait bien de « mesures temporaires prises au seul bénéfice des femmes visant à établir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes » (Art. L1142-4 du Code du travail). On emploie généralement pour les désigner le terme de « discrimination positive », vocable qui nous déplaît assez puisqu’il donne l’impression d’un traitement de faveur là où il ne s’agit que de rétablir une situation injuste. Bref, s’opposait l’égalité devant la loi à l’inégalité compensatrice.
La cour d’appel a considéré qu’il n’y avait pas d’inégalité de traitement, rejetant la demande du salarié et, « en même temps », dans un étrange syllogisme jupitérien, lui a accordé 1.099 euros d’indemnisation…
La Cour de cassation saisie à son tour confirme qu’un « un accord collectif peut prévoir au seul bénéfice des salariées de sexe féminin une demi-journée de repos à l’occasion de la journée internationale pour les droits des femmes, dès lors que cette mesure vise à établir l’égalité des chances entre les hommes et les femmes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes ».
Et comment a-t-elle accompli cette tâche délicate consistant à faire le lien entre une demi-journée le 8 mars et la lutte contre les inégalités affectant les femmes ? En sortant les pagaies pour nous expliquer que « si la journée du 8 mars, issue des luttes féministes, dépasse largement le périmètre du travail des femmes dans les entreprises, elle le concerne aussi très directement. On sait que les inégalités au travail, entre les hommes et les femmes, sont encore importantes, qu’il s’agisse des écarts de rémunération ou de la qualité des emplois. Les manifestations de quelque forme qu’elles soient, le 8 mars, permettent de susciter une réflexion sur la situation spécifique des femmes au travail et sur les moyens de l’améliorer. La chambre sociale considère qu’il existe dès lors un lien entre cette journée et les conditions de travail, légitimant cette mesure, en faveur de l’égalité des chances, prévue par un accord collectif ».
Soit.
Le mérite de cette décision, qualifiée d’arrêt important dans la notice explicative publiée par la haute juridiction et bénéficiant de la publicité maximale P+B+R+I, est de ne pas décourager les entreprises et leurs partenaires sociaux qui auraient pu craindre avec une solution contraire de mettre en place des mesures, des vraies comme des rattrapages de salaires ou des actions de promotion sur des postes peu féminisés, surtout que les décisions en la matière sont très rares.
Il est quand même regrettable que ce sujet n’arrive que par le biais d’une mesure aussi symbolique et maladroite qui semble traduire (rayer les mentions inutiles) un manque d’inspiration, une très mauvaise compréhension des phénomènes à l’œuvre ou une volonté de traiter hâtivement la question en répondant favorablement à une demande syndicale.
La publicité donnée à cet arrêt envoie un très mauvais message. Le Parisien du 12 juillet 2017 titrait ainsi « Le 8 mars, les entreprises ont le droit de réserver une demi-journée de congé aux femmes », réduisant le débat à des mesures anecdotiques.
Peut-on sérieusement défendre l’idée que c’est avec une demi-journée le 8 mars que les freins sociaux et culturels à une évolution de la condition des femmes dans le milieu professionnel puissent être levés ? N’est-il pas d’ailleurs assez contestable de laisser s’installer l’idée qu’il s’agirait d’un combat qui ne concerne que les femmes puisqu’elles seules bénéficient de cette demi-journée et non pas l’ensemble de la société ?
A ce jour, le seul à qui cette mesure ait réellement profité, c’est le chauffeur de bus licencié qui en aura quand même retiré plus de 1.000 euros après avoir encombré les tribunaux français pendant plusieurs années avec cette affaire.