L’évolution du droit des femmes au travail : nouvel outil d’analyse.

Par Jérôme Guicherd, Avocat, Anaïs de Moncuit de Boiscuillé, Doctorante et Dominique Szepielak, Psychologue.

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Le nombre de Deborah : de la physique des fluides appliquée à l’étude de l’effectivité de l’égalité homme-femme au travail [1].

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1946 est l’année où la France pose dans le préambule de sa Constitution du 27 octobre, l’égalité entre les hommes et les femmes :

« la Nation garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ».

Ainsi, à partir de la Libération, le droit des femmes au travail va évoluer avec notamment, la fin de la notion de salaire féminin (arrêté de juillet 1946), la suppression de toute restriction quant à l’emploi des femmes dans le secteur public (statut général des fonctionnaires du 19 octobre 1946), l’égalité salariale (loi du 22 décembre 1972 : « tout employeur est tenu d’assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes »), Directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, loi du 13 juillet 1983 interdisant toute discrimination liée au sexe dans le domaine professionnel.

2022, la mise en place et l’effectivité de l’égalité des droits des femmes au travail reste fastidieuse, nécessitant toujours plus de lois et l’application d’une discrimination positive.
Ainsi, sans être exhaustif : loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, ordonnance du 12 mars 2007 instituant « un plan pour l’égalité professionnelle », loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance, loi du 5 septembre 2018 créant un chapitre II bis dans le code du travail relatif aux « mesures visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans l’entreprise ».
Et dernièrement loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle en introduisant des quotas de représentation minimale de chaque sexe dans les postes de direction des grandes entreprises (40% à compter du 1er mars 2029) et en imposant l’obligation de publier les écarts de représentation entre les femmes et les hommes. Toutes ces lois sont comme une pilule qu’on veut leur faire avaler.

Il semblait pourtant qu’Élisa Lemonnier, fer de lance de la cause féminine au XIXème siècle, avait à l’époque suffisamment changé le regard sur les femmes au travail, en révolutionnant la formation professionnelle de ces dernières.

La progression du droit des femmes au travail s’inscrit dans une lenteur telle qu’elle semble cristallisée. Pour la révéler, il fallait donc des paramètres de calculs subtils, et seul le « nombre de Déborah » présente ces qualités.

Le « nombre de Déborah » est introduit par Markus Reiner en 1964 pour objectiver la fluidité des matériaux et étudier leur relaxation. Le temps d’écoulement de la lave, du goudron, de certaines huiles, de certains polymères... sont désormais normés et référencés au service de la géologie, de la médecine et a des applications dans différents secteurs de l’industrie. La rhéologie, le domaine scientifique qui en découle, observe ces phénomènes physiques et fait aussi le constat que l’augmentation de la température a valeur de fluidifiant et de relaxant.

Tout comme l’élévation de température accélère l’écoulement en rhéologie, les guerres et les crises semblent de même favoriser les avancées législatives des droits des femmes au travail… 1946, c’est l’après-guerre, 1976, le contre-coup du premier choc pétrolier et la fin des Trente Glorieuses, 1983 celui du second choc pétrolier.

La progression des droits des femmes au travail serait un indicateur social de référence. Communément statique et élastique, il devient prioritaire et mobile à la suite de périodes de déséquilibre et de bouleversement.

Attardons-nous sur cette hypothèse avec un exemple plus contemporain.

2019 : pour contenir la crise sanitaire liée à la COVID, bien des changements opérés dans l’urgence ont vu le jour, dans les pratiques professionnelles, dans les relations entre collègues, et même dans la philosophie du travail.

Grande démission et démission silencieuse en résultent et mettent à jour un profond mal-être généralisé, découlant des décisions d’orientations prises à brûle-pourpoint.

L’OCDE, l’OIT, l’APEC… présentent des études sur la spécificité du travail des femmes, alertés par des pénuries d’employés et des démissions dans des secteurs d’activités clés.

Soins, grande distribution, hôtellerie, restauration, éducation, sont en manque de personnel depuis la pandémie. Pour l’Education nationale, 2022 fut une rentrée préoccupante dans les académies, 62% des établissements en France manquaient au moins d’un enseignant.

Tous les secteurs d’activité précités ont la réputation d’inscrire leur personnel dans la précarité financière, la précarité de l’emploi, voire les deux. Ils ont aussi la réputation d’être majoritairement féminisés…

Pour les postes à haute responsabilité, proportionnellement plus que les hommes, les femmes s’interrogent sur le sens de leur activité, et donc, in fine, sur la place du travail dans leur vie.
Dans les témoignages que nous avons recueillis, désabusée, une cadre supérieure fit le résumé suivant : « le travail est une organisation d’homme avec des femmes à l’intérieur ».
Dans le même sens, une autre avoua amuser les hommes lorsque junior elle les manageait, maintenant qu’elle est senior, elle les agace, pire ils l’ignorent.

Le syndrome de l’imposteur est souvent mis en avant, les femmes ayant l’impression d’être toujours dans l’obligation de prouver leur légitimité, sentiment d’insécurité et angoisses devenant chroniques. Généralement dans la surenchère, elles s’appliquent à faire mieux, à faire plus.

Elles évoquent les effets néfastes de l’inflation des modes de communication et de transmission informatisés. Solution magique pour passer rapidement à autre chose, l’informatique a la part belle, pourtant, les chiffres le prouvent, la souffrance au travail s’amplifie. Derrière leurs écrans, les femmes disent perdre tout l’intérêt d’être plus efficiente en Intelligence Émotionnelle. Les contacts moins fréquents, le distanciel, les exigences factuelles et techniques valorisent désormais les datas, mais réduisent les temps collectifs pour penser, échanger, ressentir. La coordination prend désormais plus de temps, car pour communiquer, pour manager, l’affect et le cognitif doivent être équilibrés.

À l’heure de la robotique et de la domotique, il n’y a plus rien de roboratif.

Ainsi, avec encore plus de logistique, et moins d’humain, les nouvelles normes écrasent l’altérité et la dialectique. Les temps informels rentrent dans le rang, beaucoup plus calibrés, parfaits pour la comptabilité analytique. Les liens se distendent au détriment des relations qualitatives.

Parallèlement, la médecine du travail observe une augmentation plus significative chez les femmes, des Troubles Musculo-Squelettique, de burn-out et de la souffrance au travail. Débordements et perte de capacité d’auto-préservation, prédominent chez la majorité.

Pourtant, les femmes ont la réputation de savoir faire l’étoile. Entre la gestion du foyer, les enfants à élever et une carrière professionnelle à mener, elles passent d’une obligation à une autre, sans répit, sans compassion de leur entourage. Étant depuis bien longtemps sorties de la grotte, pleines de confiance, les femmes ont accepté d’être à terrain découvert, sans zone de repli.

Suite à la crise sanitaire, nombreuses sont celles qui ont baissé les bras alors que la réalité actuelle, polymorphe, nécessite leur altérité, leur intelligence émotionnelle, leur intelligence cognitive, les liens, les partages et la cohésion. Elles ont fait le choix du sens, pour elles, pour leur famille, pour la grotte.

Dans le marasme ambiant, les tendances dominantes en management stratégique ont confondu vitesse et précipitation. Les femmes, elles, ont fait un pas de côté.

Ne serait-ce que comme ce que provoque un « préjudice d’attente », le temps d’écoulement est bien long. Ce qui nous fait revenir au « nombre de Déborah », significatif de la fluidité et de la relaxation d’un matériau, il s’agirait donc dans notre développement d’un indicateur majeur de la qualité de vie.
Les femmes une fois sortie de la grotte n’ont pas dit leur dernier mot. Le constat fait pour les femmes dans le monde du travail peut être vécu comme une défaite ; pourtant, la mobilisation actuelle des femmes en Arménie qui se battent pour leur pays, prouve comme en 14-18 et en 39-45 qu’elles ont toujours été pleines de ressources et qu’elles constituaient toujours un recours inattendu. Dans le même registre, le post-covid va révéler le pouvoir de résolution de problèmes de cette partie de la société.

Dans un contexte social et professionnel dégradé et en pleine mutation, les femmes doivent être considérées dans leur singularité toujours enrichissante. Demain, donc de nouvelles réponses, et des avancées certaines des droits des femmes au travail sont à prévoir.

Jérôme Guicherd, Avocat au Barreau de Paris
jguicherd chez fgc-avocats.com
Dominique Szepielak, Docteur en psychologie et dirigeant d’Institut Horizons
Anaïs de Moncuit de Boiscuillé, doctorante et dirigeante d’Institut Horizons

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Notes de l'article:

[1Le nombre de Deborah est un nombre sans dimension, utilisé en rhéologie pour caractériser la fluidité d’un matériau (Définition Wikipédia).

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