Délivrance conforme et terrain devenu inconstructible après la vente.

Par Marie Allix, Avocat.

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Explorer : # délivrance conforme # vice caché # permis de construire # inconstructibilité

La Cour de cassation dans un arrêt rendu par la 3ème chambre civile, le 16 mars 2023 (n°21-19.460) apporte un éclairage sur la notion de délivrance conforme d’un terrain constructible et notamment sur l’importance de la chronologie contractuelle. Cet arrêt est l’occasion de revenir sur les fondements juridiques envisageables en cas de défaut sur les qualités de la chose vendue, à savoir l’action en manquement à l’obligation de délivrance conforme et l’action en vice caché.

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I) Les faits de l’espèce.

Une SCI vendait à une entreprise, par acte authentique en date du 31 mars 2008, un terrain sur lequel se trouvait une grange à démolir.

L’acte de vente faisait état d’un permis de construire permettant de réaliser deux immeubles sur le terrain objet de la vente.

Ce permis de construire avait été accordé par arrêté municipal du 29 septembre 2004.

La SCI afin de permettre la vente du terrain, avait obtenu du Maire de la commune, un certificat de non-caducité du permis de construire, le 3 décembre 2007.

Ce certificat de non-caducité était annexé à l’acte de vente.

A l’issue de la vente intervenue le 31 mars 2008, un des voisins du terrain avait soulevé la péremption du permis de construire auprès de la Mairie.

Le Maire de la commune, par décision du 16 septembre 2008 avait refusé de constater la péremption du permis de construire.

Le voisin saisissait ainsi sur requête le Tribunal administratif de Strasbourg aux fins de voir annuler la décision du Maire refusant de reconnaitre la péremption du permis de construire.

Le 29 mai 2012, le Tribunal administratif de Strasbourg faisait droit à la demande du voisin et annulait la décision du Maire.

Le permis de construire était donc automatiquement rendu caduc par ce jugement.

L’acquéreur du terrain assignait alors la SCI venderesse en paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi.

Il soutenait notamment avoir été empêché de mener à bien son projet immobilier en raison d’un manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme d’un terrain constructible.

II) La décision de la cour d’appel.

La Cour d’appel de Metz, dans un arrêt du 18 mars 2021 jugeait que la SCI n’avait commis aucun manquement à son obligation de délivrance dès lors que le Maire avait délivré une attestation de non-caducité du permis de construire et que le recours ayant eu pour effet de constater la caducité dudit permis n’avait été introduit que postérieurement à la vente.

La Cour d’appel rappelait également que l’inconstructibilité d’un terrain devait s’analyser en un vice caché, que toutefois, le vice caché doit être un vice inhérent à la chose vendue et que la caducité d’un permis de construire n’était pas un vice inhérent à la chose vendue comme le serait l’inconstructibilité d’un terrain.

III) La nécessité de distinguer les notions de délivrance conforme et vice caché.

Pour que l’inconstructibilité d’un terrain soit reconnue comme vice caché, il est donc essentiel que le vice caché affecte le terrain lui-même, c’est-à-dire, qu’il soit inhérent à la chose vendue et la rende impropre à sa destination ou en diminue son usage.

Il est également nécessaire que le vice soit antérieur à la vente et caché au moment de celle-ci.

Ainsi, il a été jugé que l’inconstructibilité d’un immeuble sur un terrain qui avait été vendu pour être construit alors qu’il se trouvait sur un site classé espace naturel empêchant toute construction, constituait un vice caché affectant le terrain vendu (Cass. 3e civ., 1er oct. 1997, n° 95-22.263).

En effet, l’inconstructibilité était bien inhérente au terrain puisque résultant d’un arrêté rendu sur ce terrain, antérieure à la vente et caché au moment de celle-ci, le terrain ayant été vendu comme constructible.

La Cour de cassation refusait d’ailleurs aux termes de cet arrêt de retenir un manquement au titre de l’obligation de délivrance.

Récemment, la Cour de cassation s’est prononcée sur la différence entre défaut de conformité et vice caché concernant l’inconstructibilité d’un terrain pollué.

Par un arrêt de la 3ème chambre civile, du 30 septembre 2021, n°20-15.354, la Cour de cassation précise qu’en l’absence de clause dans l’acte de vente indiquant que le terrain vendu avait fait l’objet d’une dépollution, l’inconstructibilité de ce terrain constituait un vice caché et non pas dans un défaut de conformité.

A défaut de clause relative à l’absence de pollution dans l’acte de vente, l’inconstructibilité d’un terrain en raison de la présence d’hydrocarbures constitue non un défaut de conformité, mais un vice caché de la chose vendue.

Ainsi, il en résulte que le défaut de conformité s’attache exclusivement à ce qui est mentionné dans l’acte de vente, en d’autres termes, aux stipulations contractuelles, tandis que le vice caché s’intéresse à la chose vendue et à l’usage auquel elle est normalement destinée.

Le défaut de conformité peut donc s’envisager lorsqu’il existe une différence entre la chose convenue au contrat et celle livrée. Il existe donc une altération de l’usage qui était prévu au contrat.

Il est ainsi facile de retenir cette notion lorsque le défaut porte sur la nature de la chose vendue ou sur sa quantité.

Toutefois, il est aisé de s’apercevoir que la distinction entre défaut de conformité et vice caché est plus floue lorsque le défaut porte sur les qualités attendues de la chose vendue.

En effet, bien que ne répondant pas aux stipulations contractuelles, la chose vendue peut être conforme à son usage normal.

Afin de faire la distinction, il convient donc de s’interroger sur le point de savoir si la chose, bien que non conforme aux stipulations contractuelles peut être utilisée normalement ou si la chose est en elle-même impropre à son usage normal.

Dans ce dernier cas, c’est bien sur le fondement de la garantie des vices cachés qu’il faut agir.

Cette distinction est primordiale.

En effet, les délais de prescription des deux actions ne sont pas enfermés dans la même échéance.

L’action en manquement à l’obligation de délivrance conforme relève de l’article 2224 du Code civil (cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer).

L’action en garantie des vices cachés relève quant à elle de l’article 1648 du Code civil et se prescrit par 2 ans à compter de la découverte du vice.

Aussi, en choisissant un mauvais fondement dès le départ, l’acquéreur peut perdre toute action à l’encontre du vendeur.

Or, la Cour de cassation rappelle régulièrement que lorsque la notion de vice caché est mobilisable, l’acquéreur est limité dans le fondement de son action.

En effet, l’action en vice caché constitue l’unique fondement possible lorsque le défaut qui affecte le bien vendu le rend impropre à son usage normal (Cass. 3e civ., 18 janv. 2023, n° 21-22.543).

Le vice caché l’emporte dès lors la chose vendue est impropre à son usage.

IV) Les apports de l’arrêt.

L’arrêt rendu le 16 mars 2023 apporte un éclairage concernant le moment auquel doit s’apprécier le manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme de la chose vendue.

En effet, la Cour de cassation rappelle aux termes de cet arrêt que la cour d’appel a énoncé à bon droit que la conformité du bien vendu et livré aux spécifications contractuelles s’apprécie au moment de la délivrance du bien, soit pour un terrain lors de la remise des titres de propriété.

La cour rappelle également que le permis de construire n’avait fait l’objet d’aucun recours et que le Maire avait rendu un certificat de non-caducité le 3 décembre 2007, avant la vente.

Aussi, peu importe l’effet rétroactif de la caducité sur le permis de construire dès lors que cette caducité résultait d’une demande du voisin et d’un jugement tous deux postérieurs à l’acte de vente.

L’acquéreur ne pouvait donc soutenir que le terrain n’avait jamais été constructible.

La Cour de cassation refuse donc de faire jouer la rétroactivité et considère qu’au jour de la vente, le terrain était constructible.

C’est donc bien au moment de la délivrance du bien que s’apprécie la conformité aux stipulations contractuelles.

La Cour de cassation ne s’est en revanche pas prononcée sur le vice caché.

Toutefois, celui-ci n’aurait pu être retenu en l’espèce car le terrain n’était pas en lui-même inconstructible. Seul le permis de construire était devenu caduc.

Le terrain n’était donc pas impropre à son usage.

La Cour de cassation dans un arrêt de 3ème chambre civile du 24 novembre 2016 n°15-26.226 s’est également déjà prononcée sur l’annulation d’un permis de construire après une vente conduisant à l’inconstructibilité du terrain.

Dans cette affaire, l’acte notarié mentionnait un état des risques informant l’acquéreur que les parcelles se trouvaient en zones inondables et couvertes par un plan de prévention des risques. Le terrain était cependant constructible au jour de la vente.

Toutefois, les acquéreurs s’étaient vus retirer le permis de construire octroyé en raison des risques d’inondations.

Ils soutenaient que le vice d’inconstructibilité affectant le terrain, qui résulte de son caractère inondable et qui est seulement constaté par la décision administrative était inhérent au bien vendu mais également qu’ils avaient commis une erreur excusable en pensant faire l’acquisition d’un terrain constructible, ce qui leur permettrait d’annuler la vente pour erreur sur les qualités essentielles de la chose vendue.

Or, la Cour de cassation refusait l’argumentation des acquéreurs en relevant que l’acte authentique de vente signé en 2006 faisait bien mention du risque d’inondation et que le terrain était, au jour de la vente, constructible. Pour preuve, un permis avait été accordé le 27 décembre 2007.

Ce n’est que par un recours gracieux du préfet que le permis de construire avait été retiré par arrêté municipal du 7 juillet 2008, pour des motifs de sécurité liés au caractère inondable de cette zone.

L’annulation du permis de construire obtenu après la vente était ainsi sans incidence sur l’erreur devant s’apprécier au moment de la formation du contrat.

La Cour de cassation a ainsi régulièrement rappelé que le retrait du permis de construire ne pouvait entraîner la nullité de la vente, ni donner lieu à la garantie des vices cachés.

Dans cette affaire, la Cour de cassation a donc refusé de retenir la rétroactivité de l’inconstructibilité résultant du retrait du permis de construire pour annuler une vente.

D’une part, la nullité du contrat pour erreur sur les qualités essentielles de la chose ne pouvait être accordée car l’erreur doit s’apprécier, tout comme le manquement à l’obligation de délivrance conforme, le jour de la vente.

Ainsi, la Cour de cassation sous-entend par cet arrêt que les acquéreurs auraient dû anticiper la décision du préfet compte tenu du classement en zone inondable. L’erreur des acquéreurs n’était donc pas excusable et de facto la vente non annulable.

D’autre part, cet arrêt rappelle que n’est pas un vice antérieur à la vente, l’inconstructibilité d’un terrain résultant d’un refus de délivrance d’un permis de construire, postérieur à la vente.

Les acquéreurs sont donc avertis, l’acquisition d’un terrain à bâtir peut réserver de très mauvaises surprises.

Dès lors, lorsqu’un risque d’inconstructibilité semble poindre à l’horizon, notamment, lorsque tous les recours ne sont pas épuisés/purgés, il apparait judicieux de prévoir à l’acte de vente, une condition résolutoire.

Ainsi, si l’élément futur mentionné, tel que l’inconstructibilité se produit, le contrat peut alors être annulé.

D’où l’importance de se faire accompagner par son propre notaire lors d’une telle acquisition.

Il a d’ailleurs été jugé que la responsabilité des notaires peut être retenue lorsqu’il apparait que ces derniers n’ont pas attiré l’attention des acquéreurs sur les risques qu’ils encouraient en s’engageant avant d’avoir obtenu un permis de construire ayant acquis un caractère définitif (Cour de cassation, 1ère civ, 9 septembre 2020, n° 19-14.361).

Marie Allix
Avocat
Barreau de Paris

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Discussion en cours :

  • par JMN , Le 30 mai 2023 à 14:26

    Monsieur

    Ayant pris bonne note d’un ensemble de jurisprudence, qui disent que l’inconstructibilité d’un terrain ... doit être reconnue comme un vice cachée. Si elle affecte sa constructibilité ou diminue sa valeur.
    Est-ce dans le cadre de d’un lotissement de 12 lots donc 9 ont été vendus 2 années après la création de celle-ci, et les 3 autres restant, se situant dans un relief de l’assiette,
    vendus à trois couples, qui lors des formalités en afin d’obtenir un PC, découvre, un sol lézardé mais réparable : peut-être
    considéré comme un vice caché. Et quel serait parmi les jugements exposés dans votre commentaire, celui qui serait le plus rapprocher à ma situation.
    Par ailleurs nous vous signalons qu’un certificat d’achèvement avant été délivré avant la commercialisation des lots y compris ceux situés dans un relief et de dimension inappropriée et non conforme à l’esquisse du géomètre ;
    Nous vous interrogeons suite à la pléthores des décisions à laquelle vous avez faites allusion de la notion du vice caché dans le contexte de la vente des terrais à BATIR

    Cordialement

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