Au-delà de l’Omnibus : plaidoyer pour des entreprises responsables.

Par Stéphane Brabant et Nicola Bonucci, Avocats.

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Explorer : # entreprises responsables # droits de l'homme # durabilité # compétitivité

Alors que les discussions font rage sur la simplification des normes présentées par la Commission dans son paquet omnibus, il convient pour les entreprises de ne pas perdre leur cap et de déterminer en toute autonomie l’importance du respect des droits humains. En effet, au-delà des aménagements des directives européennes, disposer d’une politique claire en matière de droits humains est un gage d’attractivité et de compétitivité, au sens large du terme.
Dans une période de turbulence normative et donc d’insécurité juridique, des choix clairs constituent la meilleure garantie de durabilité pour l’entreprise.

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De nombreux commentaires ont été publiés sur le paquet Omnibus.
Les avis à son sujet sont divers et il en résulte que quasiment tout le monde est plus ou moins déçu, pour des raisons naturellement très différentes. On ressent un malaise, des incertitudes sur l’avenir alors que concilier dignité humaine et profitabilité /compétitivité, loin d’être des oxymores, devrait naturellement s’imposer.
On est aujourd’hui en effet un peu perdu, y compris par le nombre d’acronymes qui lui n’a pas diminué, loin s’en faut.

À l’origine, Kofi Annan avait à Davos en 1999 simplement demandé aux entreprises et leurs dirigeants de contribuer à "donner une face humaine au marché". Donc essentiellement étendre le respect des valeurs reconnues comme universelles, à savoir les droits de l’Homme, aux entreprises.

Les entreprises étaient, dans un premier temps, un peu réservées et prudentes sur cette approche nouvelle, mais pas nécessairement opposées car beaucoup en percevaient déjà l’avantage pour leur pérennité.

Il fallait en outre des outils pour atteindre cet objectif et construire un monde des affaires d’une autre dimension.

C’est ainsi de cette annonce, qu’est immédiatement naît en 2000 la première et grande initiative de durabilité au monde : le pacte mondial des Nations Unies (Global Compact). Ce cadre d’engagement volontaire propose aux entreprises de s’aligner sur 10 principes en lien avec le respect des droits humains, des normes internationales du travail, de l’environnement et de la lutte contre la corruption.

Aussi et après avoir largement consulté des représentants d’entreprises, d’États et de la société civile, cette initiative a été suivie par la mise au point d’une "boîte à outils" par John Ruggie : les Principes Directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de 2011 (feuille de route à vocation universelle/ norme mondiale/ standards internationaux qui s’appliquent à tous les États et à toutes les entreprises, mais non-contraignants).

Ces Principes-outils, qualifiés de « droit souple », s’appliquent, on dirait naturellement, à toutes les entreprises du monde entier, quelle que soit leur taille, pour toutes leurs activités et celles, sans limites, de leurs chaines de valeur.

Il est vrai que cela opérait une certaine (r)évolution non seulement pour les dirigeants surtout formés pour réaliser un profit, mais aussi du droit, le droit international public réservé aux États devenant d’une certaine façon et concernant les droits de l’Homme, une "composante" du droit des affaires.

Les Principes Directeurs sont pourtant rapidement devenus la référence pour nombre d’entreprises qui les ont endossés et appliqués (parfois pour faire la différence avec leurs concurrents...) en en faisant ainsi "leur" droit dur (auto-régulation) avant l’adoption par certains États de lois plus générales de diligence/vigilance comme en France, en Allemagne, en Norvège, aux Pays-Bas, et/ou de « reporting » comme au Royaume-Uni, Chine et dans d’autres pays et aussi... dans l’UE avec les CSRD et CSDDD.

Alors que se passe-t-il avec les CSRD, CSDDD et la taxonomie ?

Ces textes qui ont été négociés pendant des années sont soudainement revus à la hâte à la suite d’un mélange combinant une absence ou mauvaise lecture notamment de la CSDDD, une trop grande complexité des normes ESRS dans le cadre de la CSRD (et de la Taxonomie) malheureusement parfois exagérément exploitée par certains conseils. Ce discours a pu vouloir profiter de l’occasion pour mettre à mal la bureaucratie européenne (réelle) et ses supposées conséquences sur la compétitivité des entreprises.

Comme dans tout débat, il y a du vrai, du moins vrai et du faux. De tout ceci résulte l’Omnibus.

Le but affiché du paquet Omnibus est essentiellement de réduire les coûts, renforcer la compétitivité et mettre en œuvre plus d’innovations et d’investissements. On peut d’ailleurs souligner que c’est justement au travers la mise en œuvre de ces Directives que nombre d’entreprises y ont trouvé des opportunités d’innovations et d’investissements et même d’emplois nouveaux. Notons que la volonté d’harmonisation pour assurer une saine concurrence au sein de l’UE est un point fort (sauf malheureusement sur le plan de la responsabilité civile), la fragmentation ayant été régulièrement dénoncée.

Concernant la CSRD (y compris les normes ESRS), beaucoup de choses sont à regretter quant à sa présentation et sa communication qui en ont fait une boite à outils qui apparaît en effet pour certains aspects inutilement complexe et couteuse. Toutefois, une lecture attentive (et une meilleure communication) aurait permis de montrer que les outils proposés pouvaient être choisis en fonction des contextes pour assurer qu’ils participent à une meilleure construction/gestion de l’entreprise, et générer un retour sur investissements, au moins dans le temps.

Il n’est pas trop tard, en adaptant le texte de façon constructive dans l’intérêt d’une bonne gestion des entreprises potentiellement exposées à des résultats financiers menacés par des risques environnementaux et sociaux ou encore à la recherche de financement, sans compter leur réputation et les conséquences sur la rentabilité.

En sachant moins bien où elle en est, une entreprise saura moins bien où elle va.

Concernant la CSDDD le texte a été trop souvent peu ou mal lu ou compris. Il donnait pourtant avec une certaine précision de bons outils pour être simplement... vigilants... selon les contextes géographiques et culturels, afin, chaque année de toujours mieux éviter, et au pire réparer, les incidences graves sur les droits humains résultant de leurs activités ou celles de leur chaîne d’activités.

Ce texte aussi a été contesté alors qu’il n’est même pas opérationnel et qu’il semble donc difficile de pouvoir affirmer qu’il serait la cause d’une perte de compétitivité de l’industrie européenne. Certains relèvent même qu’il pourrait être source d’une meilleure compétitivité face à des entreprises qui feraient fi du respect des droits fondamentaux qui, dans de nombreux pays, peuvent aussi entrainer de graves perturbations dans la réalisation des projets (les exemples en matière extractive, forestière, agro-alimentaire et autres sont parlants).

Le texte nouveau Omnibus qui en résulte, fruit de discussions hâtives et de compromis purement politiques, est finalement surprenant d’imprécisions et donc source d’insécurité pour les entreprises.

En effet et à titre d’exemple, on note que :

  • Le devoir de vigilance s’étendrait au-delà du rang 1 (partenaires commerciaux directs) dans les cas où l’entreprise dispose d’informations plausibles suggérant que des impacts négatifs se sont produits ou peuvent se produire dans la chaine de valeur.
  • Les évaluations périodiques sont prévues désormais tous les 5 ans, sauf si une entreprise a des motifs raisonnables de croire que les mesures ne sont plus adéquates ou efficaces.
  • Les demandes d’informations aux PME limitées (effet du ruissèlement), à moins pour une entreprise qu’il n’y ait besoin d’informations complémentaires pour réaliser la cartographie et qu’elles ne puissent obtenir ces informations d’une autre manière raisonnable.
  • Les parties prenantes à consulter (restrictivement définies à celles directement affectées) sont étendues aux personnes et communautés dont les droits ou les intérêts sont ou pourraient être directement affectés, y compris par leurs partenaires commerciaux.
  • L’obligation de mettre fin à une relation d’affaires en tant que mesure de dernier recours lorsqu’une infraction est constatée est supprimée et remplacée par la suspension... le temps de trouver une solution, et ceci sans autre précision.
  • Les conditions de la responsabilité civile sont renvoyées sans autre précision/socle commun aux législations nationales (donc risque de fragmentation et de « forum shopping »).

Ces imprécisions (et d’autres) si elles venaient à être maintenues devront donc être interprétées probablement à la lumière du préambule des textes adoptés (exemple sur les « informations plausibles ») et de textes comme les Principes Directeurs des Nations unies et les Principes Directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales qui constituent les fondements même de la CSDDD.

En voulant créer de la « souplesse » on risque donc de créer un cadre juridique peu lisible et donc peu fiable pour les entreprises qui resteront alors plus que jamais exposées à leurs « nouveaux juges » que sont les consommateurs, actionnaires, financiers, boursiers, communautés et personnes affectées et dont les jugements sont souvent rapides et sans appel.

Dans ce contexte aujourd’hui tellement incertain et plus fragmenté que possible, on ne peut que conseiller aux entreprises de garder le cap et favoriser l’application des principes les plus protecteurs pour les individus, leur réputation mais aussi et, selon les contextes, de nature à leur éviter d’éventuelles mises en cause devant des tribunaux ou administrations (eg : douanières).

Soyons humbles, mais unis en Europe pour oser défendre les valeurs qui sont celles d’une humanité pour l’humanité, comme Kofi Annan l’avait demandé aux dirigeants d’entreprises.

Stéphane Brabant, Avocat à la Cour,
Senior Partner-Trinity International AARPI.
Nicola Bonucci, Avocat International,
Ancien Directeur Juridique OCDE .

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