Plusieurs décisions sont à relever en 2021, les voici présentées ci-après.
1. Une interprétation extensive du versement intégral de la rémunération variable lorsque les objectifs ont été communiqués tardivement au salarié [2].
Il est acquis désormais que le salarié dont les objectifs n’ont pas été fixés en début d’exercice peut solliciter le versement de l’intégralité du montant de sa prime [3].
La Cour de Cassation va plus loin en sanctionnant une cour d’appel qui a bien condamné l’employeur à verser la prime variable au salarié dont les objectifs ont été communiqués tardivement (au lieu du 31 mai, le 29 novembre)... mais pas suffisamment :
Les objectifs fixés prévoyaient un taux d’atteinte soit de 200% avec un bonus cible de 12% soit une atteinte à 100% avec un bonus cible de 6%. La Cour d’appel condamne l’employeur au versement de la prime d’objectif due au salarié pour communication tardive des objectifs mais elle applique la règle du bonus cible de 6% correspondant à 100% d’atteinte des objectifs.
La Cour de cassation casse cet arrêt au visa de la bonne foi contractuelle et constate que la rémunération variable « devait lui être versée intégralement à hauteur du bonus cible maximum de 12% ».
Ainsi, la notion du versement intégral est appliquée in extenso suivant les conditions prévues entre les parties ici le maximum correspondait bien au taux d’atteinte d’objectifs de 200% avec un bonus cible de 12%.
2. Le règlement prorata temporis de la prime d’objectifs : l’évolution de la jurisprudence en faveur du salarié.
Lorsqu’un salarié quitte l’entreprise avant la fin de l’exercice annuel, doit-il percevoir ou non sa prime d’objectifs au prorata de son temps de présence ?
Les juges du fond s’opposent sur la réponse apportée à cette question.
En 2019 la Cour d’appel de Lyon y répondait négativement :
« A défaut de stipulation prévoyant que la prime d’objectifs s’acquiert au prorata du temps de présence du salarié dans l’entreprise au cours de l’exercice, la prime d’objectifs ne peut pas donner lieu à une proratisation dès lors que les objectifs sont définis sur une base annuelle et impliquent des objectifs eux-mêmes annuels » [4].
La Cour d’appel de Paris, Pôle 6 - Chambre 9, 10 mars 2021 [5] est d’un avis contraire :
« La prime constitue la partie variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité de sorte qu’elle s’acquiert au fur et à mesure même si le départ du salarié est antérieur au versement de cette prime ».
Dans le même sens, la Cour d’appel de Paris, Pôle 6 – Chambre 11, arrêt du 19 janvier 2021 [6] confirme que la prime « liée à l’activité du salarié s’acquiert au fur et à mesure… il sera fait droit à la demande au prorata temporis (du salarié) ».
En 2021, vous pouvez donc prétendre au prorata temporis de votre prime d’objectifs si vous partez en cours d’année de l’entreprise.
3. La fixation des objectifs par l’employeur sous le contrôle des Juges.
a) Une information précise doit être donnée par l’employeur au salarié en début d’exercice.
Pour protéger les salariés, les juges examinent précisément les documents communiqués par les deux parties pour vérifier si les objectifs ont bien été communiqués de manière claire et précise au salarié en début d’exercice.
Dans ce premier arrêt l’employeur prétendait avoir notifié les objectifs au salarié dans son entretien annuel d’évaluation alors que le salarié contestait toute information précise sur les conditions de fixation de ses objectifs.
La Cour d’appel de Versailles examinant les pièces communiquées conclut avec pertinence que :
« la société n’a pas respecté ses engagements contractuels en ne lui notifiant pas au salarié des objectifs précis. Les objectifs notifiés lors de l’entretien d’évaluation qui a pour objet d’évaluer la performance du salarié… n’ont pas le même objectif que la fiche de fixation des objectifs qui fixe le pourcentage de la rémunération variable » [7].
L’information donnée au salarié sur les conditions de fixation de sa prime d’objectifs est une information essentielle [8] :
« Seule une clause précise définissant objectivement l’étendue et les limites de l’obligation souscrite peut constituer une condition d’application (de la prime d’objectifs)... le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues ».
Dans cet arrêt, il s’agissait de vérifier si le salarié avait été ou non informé que son chiffre d’affaires pouvait être amputé rétroactivement de remises et pénalités affectant les marchés conclus par son employeur ce que la Cour d’appel n’avait pas vérifié, Alors même que le salarié contestait toute information de cette pratique qui selon lui « n’avait jamais été portée à sa connaissance ».
b) L’employeur à la charge de prouver qu’il a bien informé le salarié des conditions de fixation de sa prime d’objectifs.
Ainsi la Cour d’appel de Bordeaux dans son arrêt du 13 janvier 2021 [9] rappelle qu’il appartient à l’employeur :
« de prouver qu’il a ouvert des négociations (pour) négocier les objectifs avec le salarié... (à défaut) l’entreprise est débitrice des primes d’objectifs dont le montant doit être fixé par le juge ».
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris, Pôle 6 - Chambre 10, du 6 mars 2019 [10] répartit également la charge de la preuve de la prime d’objectif :
Si c’est au salarié de prouver :
« qu’il a droit à l’attribution d’une rémunération variable en fonction de convention d’usage », « l’employeur est tenu à une obligation de transparence qui le contraint à communiquer au salarié les éléments servant de base de calcul de son salaire notamment, de cette part variable ».
Dans le même sens la Cour d’appel de Paris, Pôle 6 - Chambre 3, arrêt du 2 avril 2019 [11] condamne l’employeur :
« qui ne transmet pas ces modalités de calcul (de la part variable) à verser la prime d’objectifs au salarié ».
c) L’interdiction de modifier la rémunération variable du salarié en cours d’exercice.
Récemment, la Cour de cassation a rappelé dans son arrêt du 8 avril 2021 [12] que l’employeur ne peut pas modifier les objectifs dont il a informé le salarié en début d’exercice et qu’il ne peut :
« ni modifier le mode de calcul convenu de la rémunération, ni réduire le montant de la prime » unilatéralement à l’issue de l’exercice le salarié pouvant dès lors « prétendre un rappel de rémunération variable ».
4. L’immixtion des juges dans le pouvoir de décision de l’employeur [13].
Dans cette décision le salarié contestait le caractère réalisable de ses objectifs en invoquant :
« l’attitude des employeurs envers le client… en matière de pénalités et réductions des remises ayant contribué à ne pas lui permettre d’atteindre le seuil déclenchant le paiement du bonus ».
La Cour d’appel rejetait les demandes du salarié en considérant que c’était dans son pouvoir de direction que l’entreprise définissait une stratégie commerciale et notamment une politique de remise et avait informé le salarié que l’objectif ne serait réalisable que si la politique de remise était suivie pour le client, en considérant que le salarié était informé des « aléas commerciaux ».
Cet arrêt est cassé par la Cour Suprême qui reproche aux juges du fond de ne pas avoir recherché :
« si les objectifs fixés par l’employeur étaient réalisables compte tenu de sa politique commerciale ».
La cour de cassation demande ainsi aux juges du fond de s’immiscer dans le pouvoir de direction de l’employeur pour vérifier si l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction n’a pas rendu irréalisable par sa politique commerciale les objectifs exigés du salarié.
Une telle immixtion des juges dans le pouvoir de direction de l’employeur est suffisamment rare pour être ici relevée.
Ces 11 décisions confirment la volonté des juges clairement affirmée depuis de longues années de protéger sur tous les fronts le droit du salarié à sa rémunération.
Discussions en cours :
Bonjour,
Pourriez vous svp préciser si dans un groupe international, un cadre local peut voir ses objectifs fixés en fonction des résultats globaux du groupe "Volume/Part de marché/Profits" alors que ces objectifs ne sont pas ceux du pays dans lequel il travaille ?
Autrement dit si localement un cadre a atteint ses objectifs, peut-on lui réduire sa prime variable si les résultats du groupe au niveau mondial sont un peu en dessous des objectifs donnés ?
En vous remerciant.
Jérôme
Bonjour, oui, dans les objectifs fixés au salarié il peut y avoir une fraction personnelle liée aux résultats propres du salarié et une fraction extérieure liée aux résultats du groupe, à la condition que cette fraction extérieure n’ait pas de caractère potestatif c’est-à-dire que l’employeur ne doit pas être en mesure de contrôler et modifier ce chiffre qui doit rester une donnée objective et ne pas dépendre uniquement de la seule volonté de l’employeur. En savoir plus : https://www.village-justice.com/articles/comment-obtenir-paiement-prime-objectifs-2020,35416.html
Judith Bouhana
Avocat spécialiste en droit du travail
www.bouhana-avocats.com
Bonjour, oui, dans les objectifs fixés au salarié il peut y avoir une fraction personnelle liée aux résultats propres du salarié et une fraction extérieure liée aux résultats du groupe, à la condition que cette fraction extérieure n’ait pas de caractère potestatif c’est-à-dire que l’employeur ne doit pas être en mesure de contrôler et modifier ce chiffre qui doit rester une donnée objective et ne pas dépendre uniquement de la seule volonté de l’employeur. En savoir plus : https://www.village-justice.com/articles/comment-obtenir-paiement-prime-objectifs-2020,35416.html
Judith Bouhana
Avocat spécialiste en droit du travail
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Bonjour
J’ai une prime variable annuelle calculée sur les objectifs définis en amont. Sauf qu’on a aucun outil de pilotage dans l’année qui permet de savoir où nous en sommes dans l’atteinte de ces objectifs. Il arrive de temps en temps que je réclame les informations mais elles ne sont pas systématiques.
Puis je réclamer le montant de la prime globale ?
Cordialement
Bonjour
J’ai une prime variable annuelle calculée sur les objectifs définis en amont. Sauf qu’on a aucun outil de pilotage dans l’année qui permet de savoir où nous en sommes dans l’atteinte de ces objectifs. Il arrive de temps en temps que je réclame les informations mais elles ne sont pas systématiques.
Puis je réclamer le montant de la prime globale ?
Cordialement
Bonjour,
L’outil de pilotage que vous mentionnez peut être exigé s’il est indispensable à vous permettre de comprendre comment est fixé votre prime d’objectif.
En soit, ce n’est pas un argument, suffisant pour solliciter l’intégralité de votre prime d’objectif. Tout est une question de fait, a priori il vous appartient de calculer au fur et à mesure vos résultats, si l’employeur vous en donne la possibilité avec les outils/informations qu’il vous fournit.
À défaut, vous pourriez solliciter en justice ces éléments sous astreinte, action à laquelle pourrait s’adjoindre une demande de paiement de l’intégralité de votre prime d’objectif si vous pouvez établir que vos conditions de travail dont outils / informations ne vous ont pas permis de réaliser votre prime d’objectif, que ces objectifs sont irréalisables ou fixés de manière potestative.
Judith Bouhana
Avocat spécialiste en droit du travail
www.bouhana-avocats.com
Bonjour, et merci pour cet article.
Pour expliquer la situation nous avons des primes trimestrielles, avec un avenant signé en février chaque année.
Cette année nous n’avons, à date du 28/03, toujours pas reçu le détail du fonctionnement de notre variable trimestriel.
Nous allons donc en avril avoir une paie sur laquelle nous ne pouvions en rien décider sachant que T1 se termine.
Dans ce cadre là, mon entreprise doit elle prendre dans le calcul de mon variable le "système" de rémunération de 2022 ? Puis-je faire quelque chose ?
Merci d’avance pour le retour :)
Bonjour, Vous ne précisez pas ce qui est prévu dans votre contrat de travail. Je ne peux que vous répondre à partir des informations que vous donnez : votre employeur n’a donc pas fixé les modalités de calcul de votre prime variable. Or il doit fixer les conditions de calcul de votre prime d’objectifs en début d’exercice. À défaut, vous pouvez obtenir en justice le paiement de votre prime d’objectif en fonction "des données de la cause" donc effectivement de l’année dernière voir des trois dernières années. Si vous ne souhaitez pas entrer en contentieux, je vous suggère de demander à votre employeur par un écrit (mail voir encore mieux par lettre recommandé avec avis de réception) les modalités de calcul de votre prime d’objectif. En savoir plus : https://bouhana-avocats.com/category/prime-dobjectif/ et https://www.village-justice.com/articles/salaries-obtenez-paiement-votre-prime-objectifs-2022-2eme-partie,42582.html
Judith Bouhana
Avocat spécialiste en droit du travail
www.bouhana-avocats.com
Bonjour,
Nous avons dans nos contrats de travail une clause spécifiant que "le/la salarié(e) percevra une rémunération variable, indexée sur une lettre d’objectif présentée en annexe, de XXX,XX EUR (xxxxxx xxxxx euros) à la fin de chaque trimestre au prorata du temps passé". Or notre employeur a décidé cette année de faire signer à tous un avenant qui révise cette clause et qui intègre une condition nouvelle : le versement de ces primes seraient conditionné à "l’atteinte de résultats financiers satisfaisants pour la société". Notre employeur en a-t-il le droit ? Il me semblait que les parts variables devaient être budgétées exactement de la même manière que les parts fixes...
Merci beaucoup pour vos éclaircissement.
Bonjour,
La rémunération du salarié ne peut pas être modifiée sans son accord exprès. Vous disposez d’une clause sur votre contrat de travail fixant le principe d’une rémunération variable déterminée par une lettre d’objectifs en annexe. Selon les informations que vous me donnez, votre employeur ne peut pas modifier cette rémunération variable sans accord de votre part. Vous pouvez donc refuser de signer cet avenant qui modifie un élément essentiel de votre contrat de travail. Votre employeur ne peut pas sanctionner ce refus.
En savoir plus : https://www.village-justice.com/articles/salaries-sachez-contester-modification-votre-contrat-travail-2019,32651.html
Judith Bouhana
Avocat spécialiste en droit du travail
www.bouhana-avocats.com
La juriprudence mentionnée laisse t’elle supposer que l’on peut décoréler le montant des commissions, indépendemment du chiffre d’affaires signé ?
Un salarié licencié courant 2023 pour "insuffisance professionnelle" peut il prétendre au versement de tout ou partie du montant des commissions mentionnées dans son plan de commission applicable à l’année en cours, malgré l’absence de chiffre d’affaires ?
Dans l’hypothèse où le contrat de travail du salarié mentionnz que, en plus du montant de son salaire fixe, une rémunération variable s’ajoute sous forme de commission, sans toutefois préciser le montant ; le montant variable était révisé tous les ans.
Le plan de commission applicable à l’année 2023 a été signé par les deux parties seulement fin mars 2023.
Dés lors, le salarié peut il exiger le verserment du montant des commission malgré l’absence de chiffre d’affaires réalisé au moment de son départ sur l’exercice concerné ?
Bonjour, la question a déjà été tranchée à de multiples reprises, les objectifs doivent être fixés en début d’exercice. Si tel n’est pas le cas, le salarié peut en effet solliciter le règlement de la prime d’objectif :
En savoir plus, par exemple : https://www.village-justice.com/articles/panorama-des-primes-objectifs-2022,44161.html
Judith Bouhana
Avocat spécialiste en droit du travail
www.bouhana-avocats.com
Bonsoir
En prévision d’un licenciement que deviennent les primes acquises sur les contrat signés , mais qui ne me seront payées qu’au fur et à mesure des règlements échelonnés du client ? Même question s’il me reste à percevoir des primes actées dont le montant est supérieur au plafond annuel ?
En vous remerciant
Bonjour, ces primes restent dues par l’employeur conformément à ce qui est prévu dans votre contrat, d’après ce que vous indiquez donc un règlement de la prime calculé en fonction de chaque règlement échelonné du client. Donc pour tous les contrats signés par votre intermédiaire vous avez un droit de regard sur leur règlement et le paiement de votre prime consécutive même après votre licenciement. Je ne comprends pas votre deuxième question pouvez-vous la préciser ? Voulez-vous dire que vous dépassez le plafond de la prime d’objectifs fixés ? Qu’est-il alors prévu par votre contrat ? Là encore celui-ci doit s’appliquer même après votre licenciement dès lors que vous avez respecté les conditions fixées pour le versement de votre prime d’objectifs. Je pense qu’une consultation en cabinet d’avocats spécialiste en droit du travail avec vos documents contractuels serait utile, ce forum n’étant pas destiné à une consultation juridique précise mais à des réponses simples permettant d’orienter l’internaute.
Judith Bouhana
Avocat spécialiste en droit du travail
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