Le Conseil constitutionnel valide les pénalités pour restitution tardive du dépôt de garantie au locataire.

Par Frédéric Zumbiehl, Juriste.

11844 lectures 1re Parution: 3 commentaires 4.89  /5

Explorer : # restitution dépôt de garantie # sanctions locatives # proportionnalité des peines # indemnisation locataire

Un propriétaire devant restituer 177 € à son locataire a été condamné à payer 1900 € de majoration légale de retard « loi ALUR ». Celle-ci est jugée constitutionnelle par le Conseil constitutionnel. On est d’accord…ou pas.

-

La loi ALUR du 24 mars 2014 a considérablement renforcé les sanctions en cas de restitution tardive du dépôt de garantie au locataire d’habitation. Jusque-là, il était prévu que le solde dû –après application d’éventuelles retenues– produisait intérêt au taux légal. Compte tenu de la faiblesse de ce dernier (taux de 0,04 % en 2013 ou 2014) [1], ce n’était sans doute pas très dissuasif. Depuis la loi ALUR, « le dépôt de garantie restant dû au locataire est majoré d’une somme égale à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard. » (article 22 de la loi du 6 juillet 1989 sur les locations à usage d’habitation principale). Cela n’a plus rien à voir.

Au point que la Cour de cassation, sensible aux arguments d’un propriétaire condamné à restituer 177 € de dépôt de garantie et…1.900 € de majoration de retard, a accepté de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Elle a jugé que « la question présente un caractère sérieux en ce que, fixée indépendamment du montant du dépôt de garantie à restituer après compensation des sommes dues par le preneur et sans que le juge puisse tenir compte des circonstances à l’origine du retard de paiement ni de la bonne ou mauvaise foi du bailleur, la majoration prévue par l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 pourrait être qualifiée de sanction ayant le caractère d’une punition contraire, par son automaticité et l’absence de pouvoir de modulation accordé au juge, aux exigences de proportionnalité et d’individualisation des peines qui découlent de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». (C.Cass., 3ème civ., 13 décembre 2018, n°18-17.729).

Le Conseil constitutionnel vient néanmoins de déclarer ledit article 22 conforme à la Constitution. Certes, il rappelle que les principes de proportionnalité et d’individualisation des peines « s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition ». Mais il estime que la majoration contestée « présente un caractère indemnitaire [et] ne constitue pas une sanction ayant le caractère d’une punition ».

En effet, elle est directement « versée au locataire lésé ». D’autre part, il y a bien un lien entre le montant de la majoration et l’« ampleur du préjudice » comme sa « durée ». Puisque le dépôt de garantie exigible d’un locataire est plafonné à un mois de loyer (ou deux mois s’agissant des meublés), il n’est pas illogique de fixer des pénalités à hauteur de 10 % du montant du loyer par mois de retard entamé. Dans ces conditions, le Conseil juge « inopérants » les griefs tirés des principes de proportionnalité et d’individualisation des peines (décision n°2018-766 QPC, 22 février 2019).

On n’est pas convaincu.

Pourquoi, s’il s’agit d’indemniser le locataire, ne pas tenir compte du montant effectivement dû au locataire (après application des retenues sur dépôt de garantie) ? Pourquoi ne pas permettre au juge de moduler la majoration « loi ALUR » en fonction du préjudice réellement subi par le locataire ?

La Cour de cassation défend depuis longtemps le principe de réparation intégrale du préjudice, « de telle sorte qu’il ne puisse y avoir pour la victime ni perte ni profit » (C.Cass. Civ. 2e, 9 nov. 1976, n° 75-11.737). Dès lors, la « réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être forfaitaire » (C.cass., Civ. 2e, 20 novembre 2014, n° 13-21.250). C’est d’ailleurs ce qui explique, côté bailleur, que le juge ne peut admettre une retenue sur le dépôt de garantie qu’en présence de justificatifs précis et ne saurait fixer celle-ci « à une somme forfaitaire » (C.Cass, Civ. 3ème, 26 juin 2007, n°06-16.644).

Le Conseil constitutionnel lui-même semble défendre le principe de réparation intégrale, que ce soit indirectement au nom de l’égalité devant les charges publiques ou du droit de propriété (voir décision n° 99-425 DC du 29 décembre 1999 à propos de l’indemnisation des porteurs d’« emprunts russes ») ou plus directement au nom du principe de responsabilité (QPC n°2016-533, 14 avril 2016).

Certes, il arrive que la loi prévoie une indemnisation forfaitaire de certains préjudices. C’est le cas par exemple de la réglementation en matière d’accidents du travail, objet de la décision précitée de 2016. Si, dans cette affaire, le conseil constitutionnel a validé l’entorse au principe de réparation intégrale, c’est au vu des objectifs d’intérêt général poursuivis par la loi, en particulier « l’automaticité, la rapidité et la sécurité de la réparation des accidents du travail » (décision du 14 avril 2016 précitée).

Concernant la restitution tardive du dépôt de garantie, quel serait le motif d’intérêt général justifiant une indemnisation forfaitaire ? S’agit-il de « favoriser le règlement rapide des nombreux contentieux qui en découlent », objectif d’intérêt général que le Conseil constitutionnel évoque « l’air de rien » au milieu de son argumentation ?

En second lieu, pourquoi, au sujet du préjudice lié à la restitution tardive du dépôt de garantie, le Conseil constitutionnel parle-t-il de «  durée de ce préjudice  » ? Un préjudice n’a pas de durée. Un retard peut avoir une durée, de même qu’un problème de trésorerie, mais pas le préjudice, qui est la conséquence du dommage subi. Le préjudice est ce qu’il est, au moment où le juge statue. La durée du retard dans la restitution du dépôt de garantie peut évidemment aggraver le préjudice subi, mais tout dépend des circonstances. Ainsi, un retard d’un an aura moins de conséquence pour un jeune locataire « de bonne famille » épaulé par ses parents qu’un retard d’un mois pour un locataire « sans le sou ».

Un propriétaire agit mal en négligeant de restituer rapidement le dépôt de garantie de son locataire. C’est certain. Mais comment, avec l’aval du Conseil constitutionnel, un propriétaire ayant tardé à restituer le dépôt de garantie (après application de retenues justifiées) se retrouve-t-il à devoir payer plus de dix fois la somme due au locataire, sans que le juge puisse moduler la majoration légale en fonction des circonstances ? Le lien avec le préjudice subi par le locataire parait bien ténu. Il est difficile d’y voir autre chose qu’une sanction. Or, la loi ayant banni des baux d’habitation toutes clauses pénales au bénéfice du propriétaire, il ne faudrait pas donner l’impression que, pour le législateur, les sanctions ne doivent se situer que d’un seul et même côté.

Frédéric ZUMBIEHL, juriste Union nationale des propriétaires immobiliers

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

36 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1La méthode de calcul du taux d’intérêt légal a été modifiée à compter de 2015 (ordonnance du 20 août 2014 relative au taux de l’intérêt légal). Les taux sont dorénavant plus importants. De plus, un taux majoré est désormais prévu pour les créances des particuliers n’agissant pas pour des besoins professionnels

Commenter cet article

Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 24 février 2020 à 03:25
    par Claire G , Le 26 juillet 2019 à 14:32

    Bonjour,
    J’ai lu votre article avec attention et intéressement.
    Toutefois, je trouve regrettable de défendre une vision qui me paraît "pro-bailleur" dans le contexte actuel du marché locatif et dans la faiblesse législative qui entoure cette relation bailleur-locataire.
    En effet, vous vous interrogez sur la réalité du préjudice subi par un locataire qui tarde à recevoir son dépôt de garantie après avoir quitté son logement. Ne trouvez-vous pas, objectivement, que la comparaison de deux états des lieux, d’entrée et de sortie, peut raisonnablement s’effectuer par un particulier ou une agence dans un délai d’un mois ? Un mois supplémentaire est même accordé en cas de dégradations, ce qui permet de chiffrer le montant des travaux à effectuer. D’autant plus que la loi permet au propriétaire bailleur de fonder ces retenues sur de simples devis.
    Le préjudice subi par le locataire est réel. Les propriétaires se permettent trop souvent de faire traîner la situation sans justification, le locataire subit ce retard et doit parfois effectuer de nombreuses relances pour récupérer une somme qu’il a déboursée et qui lui est due.
    Mis à part le cas de locataires peu précautionneux et peu respectueux, la partie faible à protéger par le législateur est bien le locataire.
    Par ailleurs, votre comparaison entre le préjudice subi et le niveau de vie du locataire ("un retard d’un an aura moins de conséquence pour un jeune locataire « de bonne famille » épaulé par ses parents qu’un retard d’un mois pour un locataire « sans le sou ».") est tout bonnement choquante.
    Ainsi, le bailleur devrait-il évaluer le niveau de ressources de son locataire pour décider s’il va ou non lui rendre son dépôt de garantie dans les délais ? Ces appréciations sont hors de propos.
    Les montants dont il est question dans la décision que vous commentez semblent en effet démesurés. De mon point de vue il s’agit d’un cas isolé. Beaucoup de locataires ne demandent même pas de justificatifs pour les retenues effectuées sur leur dépôt de garantie, nous pouvons imaginer ce qu’il en est de la majoration en cas de retard...

    • par Nina , Le 14 février 2020 à 15:54

      Je suis entièrement d’accord. Avec votre commentaire. Je suis actuellement dans le même cas que le locataire cité dans cet article. Mon ex-proprietaire refuse de me rendre 175e de mon dépôt de garantie sans aucune justifications et désormais ne répond plus à aucun de mes mails. Elle semble coutumière du fait et possède plusieurs appartements qu’elle loue. Ces pratiques sont abusives et malheureusement beaucoup trop de propriétaires agissent de la sorte. Lorsque nous entrons dans un appartement, nous devons nous empresser de payer ce dépôt de garantie, le loyer et la taxe d’ordures ménagères. Ces sommes sont exigibles le jour même. Mais lorsque nous quittons les lieux, en le laissant dans un état irréprochable, le propriétaire laisse traîner, des jours des semaines et parfois des mois avant de nous rendre notre dû. Ce n’est pas normal. Beaucoup trop de locataires jettent l’éponge faute de connaissances sur leurs droits et sous le poids de la lourde administration à fournir pour avoir un recours en justice. Je suis contente pour ce locataire 1900 e c’est mérité et ça servira de leçon au propriétaire qui ne recommencera certainement plus à grappiller des euros à chaque locataire. En ce qui me concerne je me battrais jusqu’au bout pour avoir gain de cause.

    • par VINCENT , Le 24 février 2020 à 03:25

      Bonjour
      j’ai lue vos commentaires et je souhaite demander conseil.
      Voila j’ai quitté mon logement depuis le 20 novembre avec état de lieux de sortie faite sans aucune dégradation retenue , j’ai dû faire appel à un huissier pour récupérer mon dépôt de garantie qui m’a été rendu avec plus de deux mois de retard. Cependant on m’a rendu mon dépôt sans être indemnisé ni être remboursé du préjudice encouru, que puis-je faire ? Tout en sachant que la lettre de l’huissier précise le montant de l’insemnistaion et du préjudice encouru. L’appartement est géré par une agence, agence que j’ai appelé plusieurs fois mais qui m’envoyait bouler tout le temps. L’huissier s’est adressé au propriétaire, je soupçonne l’agence de ne pas vouloir m’indemniser et que le propriétaire
      ne le sait pas. Avez-vous des solutions pour moi ?
      Je vous remercie par avance.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27854 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs