La responsabilité pour trouble anormal de voisinage, une responsabilité de plein droit.
On date généralement de 1844 le principe, dégagé par la Cour de cassation, selon lequel nul ne doit causer à autrui des troubles excédant « la mesure des obligations ordinaires du voisinage » (C.Cass., civ., 27 novembre 1844). Ce principe a été dégagé avant même la théorie de l’abus du droit de propriété [1].
La victime démontrant un trouble anormal de voisinage (TAV) peut ainsi engager la responsabilité « de plein droit » de l’auteur du trouble. Cela signifie qu’aucune faute – par exemple la violation d’une réglementation – n’a à être démontrée, seule comptant la démonstration d’un trouble excédant les inconvénients inhérents au fait même de « vivre ensemble ».
Avec la loi du 15 avril 2024, cette théorie fait son entrée dans le Code civil, au sein de la section consacrée à la « responsabilité extracontractuelle ». Ainsi, le nouvel article 1253, premier alinéa du Code civil, énonce que « le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte ».
On remarque ici que le Code civil dresse une liste limitative des personnes à qui l’on peut reprocher un trouble anormal de voisinage, là où les tribunaux se donnaient la latitude d’imputer un trouble à tout type de « voisin occasionnel ». En particulier, il semble qu’il ne soit plus possible de reprocher un TAV à un constructeur. Il reste néanmoins possible d’engager sa responsabilité de droit commun (mais une faute doit alors être démontrée) ou bien de reprocher un trouble anormal de voisinage au maître d’ouvrage, par exemple le propriétaire (c’est alors lui qui devra, s’il veut exercer une action récursoire contre le constructeur, démontrer une faute ou la violation d’une obligation contractuelle…).
L’exonération pour « pré-occupation » des activités agricoles poussée au maximum.
Le Code civil n’entrant pas dans le détail, le caractère anormal du trouble sera toujours, comme avant, apprécié in concreto par les tribunaux en fonction du contexte.
Dans ce cadre, les juges ont toujours eu tendance à tenir compte du fait que le trouble invoqué pouvait être antérieur à l’installation du voisin qui se plaint, qu’il s’agisse de pré-occupation collective (en s’installant dans un quartier industriel, on doit supporter des troubles plus importants que dans un quartier résidentiel) ou de pré-occupation individuelle (telle exploitation existait avant l’arrivée du voisin qui se plaint). Concernant la pré-occupation individuelle, la sanctuarisation de nombreuses activités économiques est même prévue par la loi depuis 1977.
Ainsi, jusqu’à aujourd’hui, l’article L.112-16 du Code de la construction et de l’habitation, devenu l’article L.113-8 du CCH, énonçait que « les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions ».
La loi du 15 avril 2024 reprend ce principe, en l’amendant quelque peu, à l’article 1253, second alinéa du Code civil : la « responsabilité [pour TAV] n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités, quelle qu’en soit la nature, existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal » (l’article L.113-8 du CCH est par là même abrogé).
On remarque d’emblée que, avec le passage d’une liste précise d’activités protégées à un renvoi à toutes les « activités, quelle qu’en soit la nature », le champ de l’exonération pour pré-occupation est sensiblement élargi.
Par ailleurs, les « activités agricoles » bénéficient d’une protection renforcée. En effet, concernant toutes les autres activités, s’il est admis que celles-ci puissent être menées à des « conditions nouvelles », c’est à la condition que celles-ci ne soient pas « à l’origine d’une aggravation du trouble anormal ».
Concernant les activités agricoles, un changement dans les conditions d’exploitation sera dans tous les cas admis s’il résulte « de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règlements » ou si l’activité est menée « sans modification substantielle de leur nature ou de leur intensité » (nouvel article L.311-1-1 du Code rural et de la pêche maritime, inséré après L.311-1 qui définit les activités agricoles).
Les juges devront notamment préciser ce que l’on entend par « modification substantielle ». Par ailleurs, compte tenu du terme « activités », la protection des troubles préexistants bénéficie-t-elle au simple habitant ou au retraité qui a conservé quelques cages à poules, non dans le cadre d’une activité économique, mais uniquement par loisir ?
Hélas, on peut craindre que cette nouvelle loi, adoptée dans le sillage de la loi du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, ne va pas tarir les contentieux sur ce sujet, notamment entre « ruraux » et « néo-ruraux ». D’où l’envie de conclure, comme le professeur Laurent Bloch, que le nouveau texte « fleure bon l’air de la campagne (électorale ?) » [2].