Le contexte : un dispositif fiscal stratégique pour le secteur.
Dans cette affaire [1], une société de production de spectacles avait obtenu un agrément provisoire du Centre national de la musique (CNM) en 2019 pour la production d’une tournée musicale afin de bénéficier du crédit d’impôt spectacle vivant.
Les phases de création et de répétition du spectacle (du 20 au 24 juin 2019) avaient été assurées par le label du groupe, la société requérante ayant intégralement remboursé les frais engagés (salaires, charges sociales et frais de résidence) avant d’assurer elle-même le rôle d’employeur pendant la tournée.
Suite à sa demande d’agrément définitif déposée le 22 juin 2022, le CNM a refusé cet agrément par une décision du 20 juillet 2022, conduisant à la saisine du tribunal administratif.
Le crédit d’impôt spectacle vivant (CISV) permet aux entreprises du secteur de bénéficier d’un avantage fiscal significatif : 15% des dépenses éligibles pour les grandes entreprises, porté à 30% pour les PME1. Ce dispositif, codifié à l’article 220 quindecies du Code général des impôts (Article 220 quindecies du Code général des impôts), vise à soutenir la création artistique et la production de spectacles vivants.
Les conditions d’éligibilité du crédit d’impôt : un cadre déjà contraignant.
Le législateur a prévu plusieurs conditions cumulatives pour bénéficier de ce dispositif.
En premier lieu, l’entreprise doit être assujettie à l’impôt sur les sociétés et exercer l’activité d’entrepreneur de spectacles vivants au sens de l’article L7122-2 du Code du travail (Article L7122-2 du Code du travail).
Sur le plan territorial, les dépenses doivent être réalisées par des entreprises établies en France, dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.
Le spectacle doit par ailleurs présenter plusieurs caractéristiques matérielles :
- présenter des coûts de création majoritairement engagés sur le territoire français ;
- comprendre au minimum quatre représentations dans au moins trois lieux différents ;
- respecter les jauges maximales définies réglementairement selon la catégorie du spectacle :
- 2 100 personnes pour les concerts de musiques actuelles ;
- 4 800 personnes pour les comédies musicales ;
- 1 700 personnes pour les concerts vocaux et de musique de chambre (≤ 15 musiciens) ;
- 2 500 personnes pour les concerts symphoniques ;
- 2 100 personnes pour les spectacles d’humour.
Mais surtout, elle doit avoir la responsabilité du spectacle et supporter le coût de sa création. C’est principalement sur ces deux derniers points que la décision apporte un éclairage nouveau.
Le décret du 7 septembre 2016 (Décret n° 2016-1209 du 7 septembre 2016) relatif au crédit d’impôt au titre des dépenses de création, d’exploitation et de numérisation d’un spectacle vivant musical prévu à l’article 220 quindecies du Code général des impôts précise les modalités de contrôle de ces conditions :
- un agrément provisoire doit être obtenu avant le début des dépenses ;
- un agrément définitif doit être délivré dans un délai de trente-six mois ;
- le Centre national de la musique (CNM) vérifie le respect des conditions légales.
En cas de non-obtention de l’agrément définitif, l’entreprise doit reverser l’intégralité du crédit d’impôt perçu.
Le point de blocage dans l’affaire.
Dans le cas d’espèce, malgré des efforts financiers significatifs, la société n’a pas convaincu les juges. En effet, bien que l’entrepreneur de spectacle ait remboursé l’intégralité des frais de résidence ayant permis la création du spectacle, payé les salaires et charges sociales et été l’employeur pendant la tournée, le tribunal a considéré que ces éléments étaient insuffisants.
La raison ? La société n’était pas l’employeur lors de la phase de création, celle-ci ayant été assurée par le label du groupe.
L’analyse juridique de la décision : une interprétation stricte de la responsabilité artistique.
Dans sa décision du 15 novembre 20243, le Tribunal administratif de Paris apporte une précision déterminante sur l’interprétation de l’article 220 quindecies du CGI, particulièrement sur la condition tenant à "la responsabilité du spectacle, notamment celle d’employeur à l’égard du plateau artistique".
Les juges administratifs consacrent une approche finaliste en considérant que la responsabilité du spectacle implique nécessairement une participation effective à sa création. Le tribunal administratif considère que la responsabilité du spectacle, au sens de l’article 220 quindecies du CGI, implique nécessairement "une participation active aux côtés des auteurs, compositeurs, chorégraphes et metteurs en scène" ainsi qu’une "responsabilité dans les choix, dans la préparation et la mise en œuvre du spectacle".
La seule prise en charge financière des coûts de création, même intégrale, est jugée insuffisante. En effet, le tribunal considère que le législateur a entendu réserver le bénéfice du crédit d’impôt aux entreprises qui participent activement à la création artistique, au-delà du simple financement.
Une décision en tension entre soutien à la création et réalité économique.
La décision du tribunal administratif s’appuie sur les travaux parlementaires pour rappeler que le législateur a entendu "soutenir les entreprises employant des artistes en développement, stimuler l’emploi dans les entreprises de petite taille et contribuer à la pérennisation de certains emplois artistiques".
Cette approche, si elle est compréhensible dans son objectif de soutien à la création, apparaît particulièrement sévère pour les producteurs.
En effet, alors même que la société requérante avait intégralement financé la phase de création et assuré le rôle d’employeur pendant la tournée, le tribunal considère que ces efforts financiers ne suffisent pas à caractériser la "responsabilité du spectacle" exigée par les textes. Cette position jurisprudentielle, qui impose une implication directe dès la phase de création, méconnaît la réalité économique du secteur où la dissociation entre la création artistique et la production est une pratique courante et souvent nécessaire.
Une nécessaire clarification législative ?
Face à cette interprétation restrictive, une intervention du législateur pourrait s’avérer nécessaire pour préserver l’efficacité du dispositif. Une clarification des critères d’éligibilité, prenant en compte la diversité des modèles de production dans le spectacle vivant, permettrait de sécuriser l’accès au crédit d’impôt pour l’ensemble des acteurs du secteur.
Conclusion.
Cette décision, qui s’inscrit dans un mouvement général de contrôle accru des dispositifs fiscaux incitatifs, risque de fragiliser un secteur déjà confronté à des défis économiques majeurs. Elle appelle à une réflexion plus large sur les outils de soutien au spectacle vivant et leur adaptation aux réalités du terrain.