Les affaires C-119/22 et C-149/22 concernaient des demandes de CCP déposées par la société Merck pour des combinaisons de principes actifs : respectivement (i) sitagliptine et méformine, et (ii) ézétimibe et simvastatine. Les brevets de base portaient sur un principe actif (respectivement la sitagliptine et l’ézétimibe), mais incluaient des revendications dépendantes en combinaison avec un autre principe actif (respectivement la méformine et la simvastatine). Merck avait également déjà obtenu des CCP pour la sitagliptine et l’ézétimibe seuls. Les questions posées étaient dès lors les suivantes : premièrement, une telle combinaison peut-elle être protégée en vertu de l’article 3 c) du règlement sur les CCP ? Deuxièmement, peut-elle être protégée, le cas échéant, en vertu de l’article 3 a) ?
Pour rappel, la CJUE a initialement rejeté la protection des combinaisons de produits au titre des articles 3 a) et 3 c) combinés dans les affaires Actavis (C-443/12 et C-577/13) lorsque la combinaison était revendiquée dans un brevet de base dans lequel seul l’un des deux composants de la combinaison constituait l’unique objet de l’invention. La compréhension de ce rejet implique de revenir au cœur du problème : l’interprétation de l’article 3 a). Si les décisions relatives à l’article 3 c) sont peu nombreuses, celles relatives à l’article 3 a) sont particulièrement nombreuses et souvent confuses.
L’article 3 du règlement CCP prévoit ainsi qu’un CCP peut être délivré, à condition que « le produit soit protégé par un brevet de base en vigueur » (a) et que « le produit n’ait pas déjà fait l’objet d’un CCP » (c). La position adoptée par rapport à l’article 3 a) influence donc nécessairement et directement l’interprétation de l’article 3 c). En effet, selon la manière dont on définit le produit couvert par un brevet de base en vertu de l’article 3 a), l’on admet ou non qu’une combinaison soit admissible en vertu de l’article 3 c). Par exemple, si la seule mention du produit dans la revendication suffit pour considérer qu’un produit est couvert par le brevet de base, cela implique que ledit produit ne puisse alors pas être protégé en combinaison avec un autre produit au sens du 3 c).
Toutefois, trois critères de conformité à l’article 3 a) ont été envisagés par les tribunaux : (i) le test dit « de la contrefaçon », selon lequel il suffit que le produit approuvé soit couvert par les revendications du brevet de base ; (ii) le test du « spécifiquement identifiable » (ou « spécifié »), selon lequel le produit approuvé doit non seulement être couvert par les revendications du brevet de base, mais doit également être suffisamment identifiable (de préférence en tant que composé spécifique) dans les revendications et/ou la description du brevet de base ; (iii) enfin, le test de l’« invention » (ou du « progrès inventif »), selon lequel le produit approuvé doit également refléter la contribution inventive apportée par le brevet.
Le test de la contrefaçon (i) a été rejeté par la CJUE dans l’affaire Medeva (C-322/10), en faveur du second critère. La Cour a en effet estimé qu’un produit n’était protégé par un brevet de base, conformément à l’article 3 a) du règlement, que s’il était « spécifié dans le libellé des revendications ». Cependant, à partir de l’arrêt Actavis (C-433/12 et C-577/13), qui a introduit le test (iii) du progrès inventif en plus du test (ii), la position de la Cour européenne s’est progressivement éloignée de Medeva, en assouplissant son approche de la notion de produit couvert par le brevet de base. Ainsi, dans l’affaire Teva (C-121/17), la CJUE a introduit un test en deux étapes pour évaluer si un produit combiné répondait aux exigences de l’article 3 a) : (1) la combinaison de principes actifs relève nécessairement, à la lumière de la description et des dessins de ce brevet, de l’invention couverte par le brevet, et ; (2) chacun de ces principes actifs doit être « spécifiquement identifiable », à la lumière de toutes les informations divulguées par le brevet, à la date de dépôt ou de priorité de la demande.
En outre, dans l’affaire Royalty Pharma (C-650/17), la Cour a confirmé le critère du « spécifiquement identifiable », mais a également estimé qu’une simple définition fonctionnelle du produit dans le brevet de base ne satisfaisait pas au point 3 a), si le produit approuvé avait été « développé après la date de dépôt ou de priorité du brevet de base, à la suite d’une activité inventive indépendante ».
Affirmer que cette jurisprudence de la CJUE relative à l’interprétation de l’article 3 a) est confuse serait un euphémisme. Ladite confusion provient essentiellement du mélange des critères (ii) de « spécifiquement identifiable » et (iii) de « progrès inventif » mentionnés ci-dessus. Ainsi, depuis la jurisprudence Medeva, qui se concentre sur le test du « spécifiquement identifiable » (ii), la Cour a modifié son interprétation de l’article 3 a), ce qui lui permet, dans l’arrêt rapporté, de considérer qu’il ne suffit pas qu’un produit soit expressément mentionné dans les revendications du brevet de base pour qu’il soit couvert par ce brevet ; il faut que ce produit relève de l’invention couverte par le brevet. Cette interprétation de 3 a) autorise la Cour à considérer qu’un CCP peut porter sur la combinaison d’un produit spécifiquement couvert avec un autre produit en vertu de 3 c). En d’autres termes, la réinterprétation de 3a) a joué un rôle essentiel dans la réinterprétation de 3c).
Au-delà des critiques légitimes que suscitent les décisions de la CJUE, il ne fait guère de doute que c’est le texte européen lui-même qui est en cause, du fait de son caractère sibyllin.
En l’absence de précisions, la notion de « produit couvert par le produit de base », qui est au cœur de l’article 3, ne peut manquer de soulever des débats. En tout cas, la jurisprudence abondante et complexe relative à l’article 3 du règlement CCP rappelle la nécessité de réformer ce texte.
Bien sûr, nous pourrions écrire une thèse de doctorat sur la mauvaise qualité des législations européennes en général et sur les moyens de les améliorer (même si le fait d’employer des juristes plutôt que des économistes et des technocrates pour rédiger des normes résoudrait en grande partie les problèmes).
Mais, ce n’est pas notre sujet aujourd’hui, même si c’est le cœur du problème et si nous devrions y repenser à l’heure des discussions relatives au CCP unitaire (européen). Il faut espérer que cette nouvelle proposition de règlement apportera des réponses, et surtout qu’il n’aggravera pas la confusion, en particulier en excluant la compétence de la Juridiction Unifiée du Brevet (« JUB »), qui demeurera, pourtant, en tout cas, compétente pour statuer sur les CCP nationaux liés à des brevets de base sur lesquels elle serait amenée à statuer.