Au cours de la période de crise sanitaire, puis depuis, la question du port du masque sanitaire [1] fait l’actualité [2], des associations contestent [3] une telle obligation, les citoyens s’interrogent et rivalisent d’ingéniosité [4] pour se protéger le visage.
Durant le mois d’août 2020, des préfets ont imposé par arrêtés le port du masque sur certains des territoires de leurs départements. Cela est permis par le décret n°2020-860 du 10 juillet 2020, autorisé par la loi n°2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire.
A date de publication de cet article, cette question d’actualité n’était pas tranchée. Depuis, le flou demeure, entre les règles issues de la crise sanitaire et celle de la loi du 11 octobre 2010. Il nous parait nécessaire d’y répondre d’une manière juridique, pour ne rien commettre d’illégal : en effet, le masque sanitaire, lors qu’il est porté sur le visage, dissimule celui-ci à la vue - ce qui est a priori interdit.
Que dit la loi ?
La loi a apporté une réponse en 2010, pour répondre à une toute autre question d’actualité [5] : la loi du 11 octobre 2010 [6] a interdit le port d’une « tenue destinée à dissimuler son visage » [7].
Cette interdiction est applicable à « l’espace public », définit comme l’ensemble formé des « voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affecté à un service public » [8]. Sans rentrer dans la discussion de ce qu’est cet « espace public », il est certain que les voies publiques en font partie.
Le fait de ne pas respecter cette règle est sanctionnée pénalement, par une contravention [9] de 2ème classe [10] (qui pouvait être remplacée par un stage de sensibilisation - mais le renvoi conduit à une disposition pénale abrogée en mars 2019 [11]).
Peu importe l’intention, puisqu’il s’agit d’une contravention [12].
Précisons d’emblée deux choses. Tout d’abord, la question du port du masque sanitaire ne se pose pas en lien avec des manifestations : n’entre pas ici en jeu l’application de l’article 6 de la loi n°2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, qui a créé un article 431-9-1 du Code pénale visant à sanctionner le fait de « dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime » « au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis ».
Ensuite, la loi de 2010 a créé l’incrimination de port forcé d’une tenue dissimulant le visage : toute personne qui oblige quelqu’un d’autre à porter un masque sur la voie publique, peut être sanctionnée pénalement au titre de l’article 225-4-10 du code pénal, disposant que « le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ».
Il convient alors de s’interroger sur le fait de savoir si l’injonction d’un policier peut constituer un « commandement de l’autorité légitime » de l’article 122-4 du Code pénal (dont l’alinéa 2 dispose « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal »). Indubitablement oui, car les agents des forces de l’ordre constituent une telle autorité légitime ; leur obéir en ce sens n’est pas manifestement illégal, eu égard à la circonstance de pandémie vécue actuellement.
Une circulaire fournit une interprétation de la loi et en préciser les modalités d’application. La circulaire du 2 mars 2011 [13] précise les « éléments constitutifs de la dissimulation du visage dans l’espace public » : l’infraction est constituée dès lors qu’est rendue impossible l’identification de la personne (quand bien même, précise la circulaire, « le visage soit intégralement dissimulé »). Elle fournit une liste non exhaustive de telles tenues : « sont notamment interdits, sans prétendre à l’exhaustivité, le port de cagoules, de voiles intégraux (burqa, niqab…), de masques ou de tout autre accessoire ou vêtement ayant pour effet, pris isolément ou associé avec d’autres, de dissimuler le visage ».
La difficulté de ce texte est qu’il souligne d’un côté l’absence de nécessité d’une intention de dissimulation, de l’autre la destination de la tenue, ayant pour objet [14] de rendre impossible l’identification de la personne. Cela se résout par la simple constatation par les forces de l’ordre du résultat du port de la tenue : si la personne peut être identifiée, l’infraction n’est pas caractérisée.
De son côté, la jurisprudence s’est principalement concentrée sur la conformité de cette disposition avec la Constitution [15] ou la CEDH [16].
Qu’est-ce qu’un « espace public » ?
Dans la situation actuelle, l’enjeu de définir cet « espace public » est de savoir, de manière très pratique, si les commerces y sont englobés.
En premier lieu, « l’espace public » comporte « les voies publiques » : le rapport [17] établi par Jean-Paul Garraud prend soin d’indiquer qu’il convient de retenir l’acception la plus large des voies publiques, autrement dit pas celle qui les réduit au domaine public, mais celle retenue par la Cour de cassation, c’est-à-dire « tout passage accessible, route ou chemin, ouvert au public » [18]. Ce point ne pose pas difficulté.
Ensuite, le droit précise que le dernier élément de cet « espace public » est constitué par les « lieux affectés à un service public », catégorie bien définie, constituant un des critères de la domanialité publique selon la jurisprudence administrative [19] et le Code général de la propriété des personnes publiques [20]. De la même manière, ce point ne pose pas difficulté.
Enfin, il convient de compléter cette détermination de l’« espace public » [21], qui comprend également les « lieux ouverts au public » : plusieurs textes y font référence, comme la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité [22] qui permet la vidéosurveillance dans « les lieux et établissements ouverts au public », ou la loi du 11 février 2005 relative aux personnes handicapées, s’agissant de l’accessibilité de certains lieux [23].
De fait, la jurisprudence judiciaire [24] a précisé qu’un lieu ouvert au public est « accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions » [25]. Dès lors qu’un commerce répond à cette définition, l’interdiction s’y applique.
La circulaire du 2 mars 2011 fait la même analyse : « constituent des lieux ouverts au public les lieux dont l’accès est libre (plages, jardins publics, promenades publiques…) ainsi que les lieux dont l’accès est possible, même sous condition, dans la mesure où toute personne qui le souhaite peut remplir cette condition (paiement d’une place de cinéma ou de théâtre par exemple). Les commerces (cafés, restaurants, magasins), les établissements bancaires, les gares, les aéroports et les différents modes de transport en commun sont ainsi des espaces publics ».
Quid de l’intérieur des véhicules ?
La circulaire précitée du 2 mars 2011 indique qu’ « à l’exception de ceux affectés aux transports en commun les véhicules qui empruntent les voies publiques sont considérés comme des lieux privés. La dissimulation du visage, par une personne se trouvant à bord d’une voiture particulière, n’est donc pas constitutive de la contravention prévue par la loi » [26]. Cela signifie, en analyse, que le port du masque sanitaire est possible à l’intérieur des véhicules particuliers, mais pas dans ceux des transports en commun - là où pourtant le risque de contagion est le plus élevé.
Quelles exceptions à cette interdiction ?
L’article 2 de la loi de 2010 prévoit des exceptions, de cette manière :
« l’interdiction prévue à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles ».
Premièrement, les « pratiques sportives, de fêtes », ou les « manifestations artistiques ou traditionnelles » permettent, à leurs occasions, de cacher tout ou partie du visage. Ce champ large d’exceptions englobe par exemple les rallyes automobiles, les carnavals, les processions religieuses « dès lors qu’elles présentent un caractère traditionnel » [27].
Le port du masque sanitaire en cas de pandémie n’entre pas dans ces cas.
Deuxièmement, une autre exception réside dans les impératifs professionnels : « si elle est justifiée par (…) des motifs professionnels ». Il s’agit de prendre en compte les besoins liés au travail, en matière d’hygiène et de sécurité [28], par exemple le port d’un masque de soudeur lors d’une soudure, le port d’un masque de protection lors d’un déminage par un artificier.
À l’évidence, la question qui nous occupe aujourd’hui n’est pas tranchée par cette disposition (si ce n’est pour les services de secours).
Une troisième exception réside dans les impératifs de santé : « si elle est justifiée par des raisons de santé ». Étonnamment, la circulaire de 2011 est muette sur ce point. Qu’est-ce donc que ces "raisons de santé" ? Une pandémie mondiale constitue-t-elle une telle « raison » ? Sauf avis officiel du gouvernement (cf. infra), le problème de pandémie reste en droit une situation générale, abstraite ; alors que l’interdiction - et sa répression pénale - impose une analyse concrète de la situation, à l’instant de la constatation par l’agent contrôleur - pas encore verbalisateur. Cette approche concrète impose alors que l’individu qui veut se dissimuler le visage (ce à quoi aboutit le port du masque) établisse en quoi sa santé le contraigne à cela. Tous les individus sains n’auraient alors aucun motif concret pour s’appliquer cette exception, si ce n’est celui d’être vivant, situation trop générale pour nécessiter un document - ubuesque - en ce sens. Même si la mode est à l’attestation sur l’honneur, ce mode de preuve n’est qu’une affirmation personnelle, non corroborée par ailleurs.
Or, en droit pénal [29] comme en droit civil [30], « Nul ne peut se constituer de preuve à soi-même » : l’attestation personnelle comme quoi la protection de sa santé justifie n’est donc pas un élément de preuve suffisant. Le caractère pénal de la règle impose une preuve établie par une tierce personne [31] qui ait qualité pour jauger de l’état de santé - un professionnel de santé, indépendant et impartial.
Un tel résultat est proprement contraire aux contraintes issues de la crise sanitaire, tendant à éviter les contacts et à soulager les professionnels de santé pour leur permettre de se dédier aux tâches essentielles de lutte contre le virus Covid-19, ou contre toute autre affection. Il s’en déduit que cette exception liée à la santé n’est pas adéquate à répondre à l’urgence du moment.
Cette mauvaise réponse nous amène à la dernière exception : « si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires ». La circulaire précitée de 2011 liste un certain nombre de textes rentrant dans cette catégorie [32], relatifs à la circulation routière ou aux services publics de l’enseignement ou de la santé.
Cette disposition nécessite donc qu’il y ait une consigne nette des autorités de l’État, autorisant ou imposant le port du masque sanitaire. Le texte de la loi de 2010 permet que le port du masque pour motif de santé soit autorisé ou rendu obligatoire (« prescrite »).
La forme de cette consigne doit, selon la loi, prendre la forme d’une disposition législative (loi ou ordonnance ratifiée) ou réglementaire (décret, ordonnance non ratifiée ou arrêté ministériel), pour avoir une portée absolue. En raison du caractère pénal de la loi, mettant en place cette contravention, il en ressort que la voie la plus adéquate est le décret, voie prévue constitutionnellement pour l’établissement des contraventions [33]. Cela se justifie d’autant que l’épidémie touche le pays entier - d’où la nécessité juridique et biologique d’autoriser ce port à l’ensemble du pays, non pas à l’échelle d’une collectivité locale [34].
Vu l’ampleur de l’épidémie, qualifiée de pandémie par l’OMS [35], vu le droit actuellement en vigueur sur ce point (non affecté par la loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020 [36], il ressort clairement qu’il appartient au seul gouvernement d’énoncer et d’adopter une telle mesure, par voie d’annonce officielle en terme de communication si nécessaire, mais surtout par décret sur le plan juridique.
Or, à la date de rédaction (16/04/2020), aucun texte ne va dans ce sens : ni la loi du 23 mars 2020 précitée, ni le décret n°2020-293 du 23 mars 2020 [37], ni aucune ordonnance [38], ni les autres textes adoptés et publiés [39].
Crise sanitaire Covid-19.
Les textes promulgués [40] depuis le début de la crise n’ont pas abordé la question du port du masque. La seule disposition l’évoquant réside dans les annexes 1 successives de décrets [41] : « les masques doivent être portés systématiquement par tous dès lors que les règles de distanciation physique ne peuvent être garanties ». Cette disposition en annexe est la seule exception nationale existante dans le cadre du régime d’exception issue de la crise sanitaire Covid-19.
La formulation est large : le masque est à porter quand on est près d’une personne (à moins d’un mètre) ou que l’on va probablement y être. Cela impose d’être attentif à l’évolution de la situation, à anticiper sur la concentration des personnes [42]. Il en résulte qu’il est autorisé de mettre un masque lorsqu’on est au contact d’autres individus, ou qu’on va très certainement l’être. Avant ou après, l’interdiction redevient la règle.
Depuis, la loi n°2020-856 du 9 juillet 2020 (« organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ») confère le droit au Gouvernement de prendre des mesures pour combattre le coronavirus. Par suite, en application, le décret n°2020-860 du 10 juillet 2020 [43] donne pouvoir aux préfets d’instaurer des zones de port obligatoire du masque, sous conditions : « dans les cas où le port du masque n’est pas prescrit par le présent décret, le préfet de département est habilité à le rendre obligatoire, sauf dans les locaux d’habitation, lorsque les circonstances locales l’exigent » [44].
Il existe donc des exceptions identifiées, l’une nationale, les autres locales, à chaque fois selon les circonstances autres.
En synthèse.
Entre mars et mai 2020, le port du masque n’a pas été autorisé, puisque rien ne venait établir juridiquement que l’épidémie permettait le port du masque. Une consigne nette du gouvernement était nécessaire, transcrit dans un texte. Puisque la République française est un État de droit, il n’y avait aucun droit à « suspendre » l’application de la loi du 11 octobre 2010, hors la voie législative traditionnelle.
La formulation des exceptions possibles et l’absence de disposition nouvelle a créé une incertitude, entre interdiction et obligation du port du masque.
La loi de sortie de crise sanitaire, du 9 juillet 2020, a résolu ce dilemme, écartant tacitement l’application de la loi de 2010 en donnant possibilité au gouvernement de créer des exceptions. Ce qui a enfin été concrétisé juridiquement par le décret du 10 juillet 2020, nationalement ou localement selon les circonstances.
C’est là qu’interviennent les différents textes pris dans le cadre de la crise sanitaire de cette année [45].
Discussions en cours :
Suite au déconfinement du 11 mai 2020, les règles de droit ont évolué, pour les commerces du moins.
Cf. l’article au lien suivant :
https://www.village-justice.com/articles/port-masque-port-des-gants-dans-commerce,35290.html
Selon les termes du discours du Premier Ministre le 28 avril 2020, le port du masque doit être autorisé dans l’espace public, sous conditions. Parfois imposé.
Nous attendons les modalités précises et donc les textes (décret ou arrêté, ou ordonnance), qui valident ces annonces.