Contrairement aux juridictions de première instance et d’appel, [1] [2] également appelées « juges du fond », la Cour de cassation ne rejuge pas le dossier qui lui est soumis : en effet, son office n’est pas un « troisième degré de juridiction » mais bien une « voie de recours extraordinaire » [3].
À ce titre, son rôle se borne à contrôler la bonne application de la règle de droit eu égard aux faits tels qu’établis par les juges du fond, outre le respect de la procédure.
Autrement dit, il est totalement vain de discuter des faits et des éléments de preuve devant la Cour de cassation, ceux-ci relevant de l’appréciation dite « souveraine » des juges du fond.
Qu’est-ce qu’un « moyen » ?
Pour faire simple, un « moyen » est un « grief », c’est-à-dire un « argument », par lequel le demandeur au pourvoi prétend aboutir à la « cassation » de la décision qu’il conteste, c’est-à-dire à son annulation.
Puisque la Cour de cassation ne rejuge pas les faits, les moyens qui lui sont soumis doivent impérativement s’articuler en droit en invoquant au moins une règle dont la violation est alléguée.
Le moyen est nécessairement dirigé à l’encontre d’un ou plusieurs éléments du dispositif [4] ou des motifs [5] de la décision attaquée, voire les deux.
Par exemple, il peut être dirigé à l’encontre du rejet d’une requête en nullité, d’une déclaration de culpabilité, d’une qualification pénale, du prononcé d’une peine, d’une condamnation sur intérêts civils ...
Le moyen peut lui-même se ramifier en « branches », chaque « branche » correspondant à une déclinaison du grief formulé au titre d’un même moyen. Chaque branche peut à elle seule donner lieu à cassation, indépendamment des autres.
Enfin, la cassation peut être « totale » ou « partielle », car un moyen peut remettre en cause l’intégralité du dispositif de la décision attaquée, ou une partie seulement.
Par exemple, un moyen formulé à l’encontre de la partie du dispositif portant sur les intérêts civils ne pourra aboutir qu’à la cassation de l’arrêt sur lesdits intérêts, et non sur la déclaration de culpabilité, ni sur la peine.
Quels sont les moyens recevables en cassation [6] ?
Pour être recevable, [7] un moyen doit :
soit être d’ordre public et de pur droit,
soit avoir déjà été discuté devant les juges du fond,
soit s’évincer des motifs et/ou du dispositif de la décision attaquée elle-même,
soit être un moyen de QPC [8].
Les moyens d’ordre public sont ceux d’une telle gravité qu’ils doivent être soulevés d’office par le juge.
C’est le cas, par exemple, de la prescription en matière pénale : elle doit être relevée d’office et elle peut être soulevée pour la première fois en cassation, à la condition toutefois « que se trouvent, dans les constatations du juge du fond, les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur » [9].
Cette condition s’explique en ce que le moyen s’en retrouverait, autrement, mélangé de droit et de fait ; or, l’on a déjà vu que l’appréciation des faits ne relevait pas du contrôle de cassation.
Autrement dit, le moyen nouveau en cassation doit être « d’ordre public et de pur droit » [10].
S’il n’est pas d’ordre public, le moyen ne peut être soulevé en cassation qu’après l’avoir d’abord été par devant les juges du fond.
Par exemple, il a été jugé que
« le demandeur est mal fondé à se prévaloir pour la première fois devant la Cour de cassation du fait qu’il ne serait pas le conducteur du véhicule, dès lors que, régulièrement cité, il n’a pas comparu à l’audience ni ne s’est fait représenter et n’a pas déposé de conclusions » [11].
Surtout, il faut ici rappeler que les moyens de nullité doivent être soulevés « in limine litis », c’est-à-dire avant toute défense au fond, [12] et ce, dès la première instance, impérativement [13].
Il en va de même concernant les exceptions d’illégalité des actes administratifs soulevées en application de l’article 111-5 du Code pénal [14].
Idem concernant les moyens de nullités commises en première instance, lesquelles doivent avoir été soulevées en appel pour être recevables en cassation [15].
Ainsi, lorsque ces conditions sont remplies, toute violation de la loi (en réalité toute violation d’une norme juridique quelle qu’elle soit) peut être soulevée par devant la Cour de cassation.
Également, lorsqu’il n’a pas été discuté devant les juges du fond, un moyen peut être soulevé en cassation parce-qu’il s’évince de la décision attaquée elle-même.
C’est tout particulièrement le cas lorsque, par exemple, la décision n’a pas été rendue par le nombre de juges requis, ou que le Ministère public n’a pas été entendu en ses réquisitions [16].
Autre exemple, il a été jugé qu’encourait la cassation, au visa de l’article 513 du Code de procédure pénale, l’arrêt rendu sans la lecture d’un rapport oral à l’audience, y compris sur intérêts civils et y compris lorsque la Cour d’appel statue à juge unique, ce qui fait grief à toutes les parties au procès [17].
C’est le cas, plus couramment, lorsque la suffisance des motifs porte interrogation [18] : ainsi, il est de jurisprudence constante que « l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence. La contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à leur absence » [19].
De même, les juges du fond sont tenus de répondre à chaque demande formulée par les parties [20] et à chaque moyen péremptoire de défense, à peine de nullité de la décision [21].
S’agissant d’un arrêt de condamnation, les motifs de la décision doivent non seulement faire apparaître tous les éléments constitutifs de l’infraction [22], mais encore justifier le quantum de la peine retenue conformément à l’article 132-1 du Code pénal (i.e. en tenant compte des circonstances de l’infraction, de la personnalité de l’auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale), qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale [23].
Enfin, le moyen de QPC, étayé par mémoire distinct, est également recevable, même pour la première fois en cassation [24]. Il convient de soulever, le cas échéant, dans le mémoire au fond, un moyen pris d’un défaut de base légale, au visa des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, compte tenu de l’abrogation escomptée du texte incriminé, par renvoi au mémoire spécial QPC [25].
Ou, plus simplement, le moyen soulevé au sein du mémoire au fond pourra se borner à rappeler la QPC telle que formulée dans le mémoire spécial, au visa des articles 61-1 et 62 de la Constitution prévoyant la QPC [26].
Comment rédiger son (ses) moyen(s) de cassation ?
La loi n’impose (presque) aucun formalisme quant à la rédaction des moyens de cassation.
Toutefois, un mémoire personnel se présente classiquement de la manière suivante.
L’on commence par une page de présentation que l’on intitule, en caractères bien visibles, « Cour de cassation » et « Chambre criminelle », puis « Mémoire personnel », ou éventuellement « Mémoire additionnel », que l’on peut même numéroter (« Mémoire additionnel n°... »).
S’il s’agit d’un mémoire QPC, la mention « Question prioritaire de constitutionnalité » doit impérativement figurer en intitulé [27].
Sont ensuite mentionnées les références indiquées sur la déclaration de pourvoi [28] à savoir la juridiction, le numéro de pourvoi, les nom et prénom du demandeur s’il s’agit d’une personne physique, le nom de la société et de son représentant et numéro d’immatriculation s’il s’agit d’une personne morale, le numéro de l’affaire ainsi que les date et numéro de la décision attaquée.
Enfin, est mentionné le nom du demandeur en ces termes :
« Pour : Monsieur/Madame X (prénom Nom), demeurant (adresse) [29], demandeur/demanderesse » [30].
Vient ensuite un rappel des faits et de la procédure, intitulé comme tel, généralement résumé de manière relativement succincte ; l’on prendra soin de rappeler le dispositif des décisions de première instance et d’appel (ou seulement de première instance s’il s’agit d’un jugement du Tribunal de police insusceptible d’appel).
Si des conclusions ont été déposées par devant les juges du fond, un simple « copier/coller » actualisé fait généralement l’affaire.
L’on poursuit avec un intitulé « Discussion » dans lequel sont présentés les moyens de cassation [31].
Il convient de faire apparaître clairement chacun des moyens en les titrant : « Premier moyen », « Second moyen » …
S’il n’y a qu’un seul moyen, on l’intitulera « Moyen unique ».
La rédaction du moyen se fait classiquement en deux versions : une première version « synthétique » qui sera reprise par la Cour de cassation au sein de son arrêt avec des guillemets, et qui prend la forme d’une seule phrase (même très longue), suivie d’une seconde version « détaillée » qui expose le moyen, doctement et de manière développée et détaillée, sous la forme d’un texte.
Le rédacteur peut se contenter de l’une ou l’autre de ces deux versions, sans qu’il ne soit nécessaire de cumuler les deux.
Toutefois, il est absolument nécessaire de viser le texte de loi dont la violation est invoquée [32] ; Il peut en réalité s’agir de n’importe quel texte ou norme juridique (principe juridique, article d’une convention internationale … il ne peut toutefois s’agir d’une simple jurisprudence ni d’une simple publication doctrinale).
La version synthétique du moyen peut se rédiger ainsi :
« Il est fait grief à la décision attaquée d’avoir … [33], aux motifs … [34] alors que … [35] ».
Si le moyen est divisé en plusieurs branches, les numéroter. Chaque branche commence par « que ».
Le texte dont la violation est alléguée doit impérativement apparaître quelque part dans la phrase, peu importe où (au début en intitulé du moyen, au milieu, à la fin …).
Exemple fictif d’un moyen divisé en deux branches, susceptible d’aboutir à une cassation partielle :
« Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné Monsieur X à la peine de N mois d’emprisonnement avec sursis, aux motifs que la gravité des faits et la personnalité du prévenu justifiaient une peine d’emprisonnement de N mois avec sursis [36].
alors :
1°/ que selon l’article 132-1 du Code pénal, la nature, le quantum et le régime de la peine sont fixés notamment en fonction de la situation matérielle, familiale et sociale de l’auteur conformément à l’article 130-1 du même code ; que, dès lors, en se bornant à faire état de la gravité des faits et de la personnalité du prévenu, la Cour d’appel a violé les textes susvisés [37].
2°/ qu’en se bornant à faire état, de manière abstraite, de la gravité des faits et de la personnalité du prévenu sans plus de détails au sujet de ces éléments, la Cour d’appel a entaché ses motifs d’insuffisance et par suite a violé les articles 132-1 et 130-1 du Code pénal, ensemble l’article 593 du Code de procédure pénale ».
Comme on peut le voir, il n’est pas inutile de procéder à des sauts de lignes afin d’améliorer la lisibilité de la phrase.
De même, le rédacteur est libre de mettre certains éléments en gras ou en majuscules s’il estime améliorer ainsi la lisibilité.
Exposer ensuite la version « détaillée » : le raisonnement du moyen sous la forme d’un texte, tout à fait classique, en l’étayant sa guise avec de la jurisprudence, des textes de doctrine ...
Enfin, le mémoire se termine par le dispositif, généralement rédigé ainsi :
« Par ces motifs, et tous autres à produire, déduire, suppléer, au besoin même d’office,
Monsieur/Madame X conclut à ce qu’il plaise à la Cour de cassation de :
Casser et annuler l’arrêt attaqué [38], avec toutes conséquences de droit ».
Indiquer les éventuelles pièces jointes au mémoire, étant précisé que les pièces nouvelles ne sont pas recevables en cassation.
Surtout, il est impératif de terminer le mémoire, au bas de la dernière page, par la signature manuscrite du demandeur en personne au pourvoi, en y faisant clairement apparaître ses nom, prénom, et éventuellement sa qualité de représentant de la personne morale [39].
Si le demandeur est mineur, il peut aussi s’agir de la signature de son représentant légal présenté comme tel [40].
Discussions en cours :
Quel est l’intérêt de cet article ? Démontrer que les avocats ne servent à rien et que leur travail est facilement accessible. Ce qui signifie in fine que nous sur facturons ???? Entre la théorie que vous expliquez, et la pratique, il y a des kilomètres.....
Dans un précédent article dont le lien se situe en introduction du présent, il a été rappelé :
Enfin, si l’idée qu’un justiciable puisse vouloir rédiger lui-même son propre mémoire devant la Chambre criminelle vous effraie, je vous laisse le soin d’adresser votre réclamation, non pas à votre serviteur qui ne fait que partager son savoir, mais à votre député qui déposera une proposition de loi pour abroger ces dispositions.
Je tenais à vous remercier pour le partage de connaissances. Votre contribution à une bonne justice en France est indéniable. Je confirme ce que vous avez dit à propos de l’aide juridictionnelle et de l’impossibilité de se pourvoir en cassation, sur une base très contestable d’absence de motifs sérieux, émanant du Bureau d’aide juridictionnelle.
Je dois me pourvoir en cassation, suite à une décision de la cour d’appel et croyez-moi, vous m’avez permis d’obtenir des précisions et des informations qui me permettront de rédiger mon mémoire. Je vous en remercie, car à cause du coût des frais d’avocat, le justiciable pauvre n’est pas vraiment défendu en France, en dépit de l’aide juridictionnelle.
Aucun problème et merci pour votre retour.
N’hésitez pas à m’envoyer un courriel (adresse indiquée en signature) si vous souhaitez une aide personnalisée pour votre dossier.
Car, même avec un toturiel complet, exposer un raisonnement juridique, en cassation qui plus est, est un exercice qui demande un certain entraînement et qui ne s’improvise pas.
C’est toujours un plaisir de partager ses connaissances, cher Kablan.
N’hésitez pas à me contacter (adresse mail dans ma signature) si vous voulez que nous ayons une discussion personnalisée au sujet de votre dossier.
Bien cordialement.